(Le Monde @ 16 avril 2004 a écrit :M. Chérèque déplore "une catastrophe pour la CFDT", déjà en perte de vitesse
La cfdt n'avait pas besoin de cela. Après les lendemains difficiles de la réforme des retraites et la crise qui l'a secouée entre l'automne et l'hiver 2003, la décision du tribunal de Marseille, jeudi 15 avril, constitue un coup dur. En donnant raison à 35 chômeurs contre l'Unedic et les Assedic, la justice invalide en partie l'accord passé entre les syndicats CFDT, CFE-CGC et CFTC et les organisations patronales, pour réviser la convention de l'Unedic.
"Je suis content pour les chômeurs, mais c'est une catastrophe à double titre, a déclaré le secrétaire général de la confédération, François Chérèque, jeudi soir sur la chaîne câblée Public-Sénat. D'abord pour notre système d'indemnisation. Ensuite pour la CFDT : la signature de l'accord est aujourd'hui difficile à assumer." De fait, la CFDT n'est pas sortie de l'épreuve.
Son soutien à certaines réformes proposées par le gouvernement n'est pas toujours compris par la base, encore majoritairement sympathisante de la gauche - ainsi que l'indique un sondage effectué par CSA pour le mensuel Liaisons sociales(réalisé le 21 mars auprès de 5 913 électeurs). D'après cette étude, les personnes qui se disent "proches de la CFDT" votent à 45 % pour la gauche - dont 41 % pour le seul PS -, et à 35 % pour la droite.
Cette crise larvée a entraîné de nombreux départs et un recul sensible aux élections professionnelles. Dans la fonction publique hospitalière - le secteur d'origine de M. Chérèque -, la baisse est importante : les résultats, proclamés le 22 décembre 2003, attestent une diminution de l'influence de la CFDT, qui n'a recueilli que 24,08 % des suffrages (- 4,55 points). A la SNCF, où la confédération a enregistré de nombreuses défections, son score s'est effondré le 25 mars, passant de 18,5 % en 2002 à 9,01 % dans les comités d'établissement et 7,47 % chez les délégués du personnel - sans avoir pu présenter des candidats partout.
A la Caisse nationale des caisses d'épargne, au début de ce mois, la CFDT a perdu 13 points, n'obtenant que 17 % chez les représentants du personnel ; à EDF, la baisse est d'environ 4 points ; au ministère des finances, elle dépasse 4,3 points...
Dans un communiqué du 17 mars, la CFDT-douanes admettait un recul de 3,72 points, tout en indiquant que le syndicat "résiste nettement mieux que dans d'autres secteurs d'activité...". Cet aveu n'empêche pas la CFDT d'invoquer certains gains dans le secteur privé : + 6,2 % en décembre aux Chantiers de l'Atlantique ; + 3,4 % au GAN en février ; + 2,4 % chez AXA au mois de mars.
Pour la première fois depuis de très nombreuses années, la confédération de M. Chérèque annonce une baisse de ses effectifs (- 1,73 point, avec 873 777 adhérents en 2003), essentiellement dans le secteur public - les effectifs du secteur privé restant stables (- 0,06 %). Selon le document publié par la CFDT, "le fléchissement -apparaît- dans toutes les régions". Outre les départs, le nombre de nouveaux adhérents faiblit aussi - 43 421 enregistrés en 2003, contre 66 660 l'année précédente.
Pour autant, la direction brocarde ceux qui avaient annoncé une "hémorragie" après la réforme des retraites. Les démissions pour "désaccord" ne dépasseraient pas 16 500 - "dont environ 6 000 départs collectifs", assure Jacky Bontems, secrétaire national.
Le chiffre est difficile à vérifier. "Ridicule, commente le SNU-CLIAS, qui regroupe les fonctionnaires territoriaux sortis en nombre de la CFDT pour rejoindre la FSU. Pour la seule fédération CFDT-Interco -fonctionnaires territoriaux-, nous estimons les départs individuels ou collectifs aux alentours des 15 000." La CGT, qui se défend de vouloir débaucher des adhérents de la centrale concurrente, tient une comptabilité précise des transferts en provenance de la CFDT. Un tableau, sobrement intitulé "Point des affiliations des syndiqués CFDT à la CGT", fait état, au mois de janvier 2004, de plus de 7 000 transferts, marqués de la mention "réalisé" ou "en cours".
La FSU revendique pour sa part entre 5 000 et 6 000 arrivées, dans une vingtaine de départements, venant des syndicats "interco" de l'environnement, du syndicat du Trésor d'Ile-de-France ou des enseignants du SGEN-CFDT dans les Alpes-Maritimes et en Indre-et-Loire. Le syndicat SUD évoque aussi de quelques milliers d'adhésions, chez les cheminots et dans la santé. L'UNSA, enfin, récupère certaines équipes militantes cédétistes.
Fait nouveau : celles-ci ne sont plus issues de secteurs marqués par une tradition d'opposition au sein de la CFDT, mais sont formées de militants désireux d'un syndicalisme réformiste, qui ne se reconnaissent plus dans leur confédération. L'UNSA s'est ainsi constituée à EDF grâce à d'anciens responsables de la CFDT.
Après quinze ans de militantisme cédétiste - et dix-sept ans de présence à GDF -, André Canovas en est parti, au mois de février, abandonnant ses mandats et le poste de permanent qu'il occupait depuis 1990. "La CFDT a abandonné le terrain qui était le sien, celui du réformisme combatif", explique-t-il. A l'en croire, de nombreux autres dirigeants devraient bientôt faire de même. Un membre du comité directeur fédéral de la CFDT-chimie énergie l'a déjà rejoint. Six sections de l'UNSA énergie devraient être créées avant la fin mai.
"Il peut y avoir encore des départs dans le SGEN ou dans les banques, mais je ne crois pas à une deuxième vague", relativise M. Bontems, admettant cependant la nécessité de débattre du réformisme prôné par la CFDT, à l'heure où le syndicat semble avoir plus de mal que jamais à justifier sa stratégie.
Rémi Barroux
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