L'altermondialisme est-il révolutionnaire ?

Message par Barikad » 18 Fév 2004, 10:38

a écrit :IDÉES Le livre qui décrypte les nouvelles dynamiques de force du «village planétaire»
L'altermondialisme est-il révolutionnaire ?


PAR ZAKI LAÏDI *
[18 février 2004]

L'altermondialisme est bien moins radical que ne fut le syndicalisme révolutionnaire du XXe siècle. Il propose de faire payer les riches (taxe Tobin) mais non de bloquer le fonctionnement du système capitaliste en appelant à la grève générale. Il parle de construire des alternatives au néolibéralisme mais pas d'alternative au capitalisme. Il ne parle pas du rôle d'avant-garde d'une classe, mais d'une alliance entre les «multitudes productives» pour reprendre l'expression de Negri et Hardt.


Ces deux auteurs voient la finalité de leur action – appelée pompeusement Telos de la multitude – moins dans la destruction du capitalisme que dans ce qu'ils appellent le droit à la réappropriation (...). Le terme de réappropriation est d'ailleurs au coeur de l'énonciation altermondialiste. La plate-forme Attac parle de «se réapproprier ensemble l'avenir de notre monde», tandis que la plate-forme du G 10 (intersyndicale des syndicats SUD et le Syndicat national unifié des impôts) parle de «se réapproprier l'avenir». L'emploi récurrent de ce terme n'est pas sans importance. La réappropriation se veut comme une réponse à une logique de dépossession à laquelle s'identifie la mondialisation. Mais en même temps, elle laisse ouverte la question des modalités de cette appropriation, notamment pour tout ce qui touche au régime de la propriété (appropriation collective des moyens de production).


Tout ceci pourrait porter à penser que l'altermondialisme se ferait volontiers l'adepte des thèses réformistes de Edouard Berstein qui disait que «le but n'est rien et le mouvement est tout», signifiant par là que l'horizon politique du socialisme était la réforme plutôt que la révolution. Le même Toni Negri rappelait par ailleurs que la seule opposition valable aux thérapies néo-libérales était le retour aux solutions keynésiennes. Mais ces apparences sont souvent trompeuses. Car l'altermondialisme, au demeurant non homogène, présente, par rapport à une vision réformiste de la mondialisation, plusieurs différences essentielles (...).

On sent bien l'existence d'un courant qui veut donner un contenu identitaire et culturel à l'altermondialisme pour éviter soit de le réduire à la dénonciation du néolibéralisme, soit pour le soumettre à un déterminisme économique. Cet altermondialisme civilisationnel et libertaire cherche à faire de l'altermondialisme un espace ouvert et poreux qui assumerait le fait de se chercher.


S'y opposerait un altermondialisme beaucoup plus politique – qui se dit mouvementiste – et dont la finalité serait au fond de se doter d'instruments d'action et non pas seulement d'espace de dénonciation. Réduire l'altermondialisme à Porto Alegre serait à ses yeux aussi inopérant que d'avoir un Davos sans le FMI ou l'OMC (...).

L'altermondialisme mouvementiste, pour sa part, est très clairement lié à l'extrême gauche et notamment à la LCR en ce qu'il veut faire de l'altermondialisme un levier politique anticapitaliste et anti-impérialiste, une sorte de cinquième internationale dont il serait l'aiguillon. Son ambition est de «donner la ligne» à l'altermondialisme. Son inspiration est très clairement trotskiste en ce qu'elle privilégie toujours le politique et l'organisationnel, quitte à négliger les contenus concrets donnés à l'action collective. (...)


La troisième tendance, qui est d'inspiration souverainiste, est à la fois politiquement plus prudente – ce qui ne signifie pas nécessairement moins radicale – et plus traditionnelle dans ses buts. Elle veut conserver à l'altermondialisme sa diversité et son pluralisme non parce qu'elle serait en soi attachée à la diversité et au pluralisme, mais parce qu'elle juge la situation pas assez mûre pour passer à une structuration politique organisée.


Cette position, qui est celle du leadership d'Attac, est en tous points conforme à la tradition communiste ou proto-communiste que le PC ou le chevènementisme représentent assez bien. On sent bien au sein de cette tendance une volonté de trouver un débouché politique à son anticapitalisme à travers l'action de certains Etats par exemple. D'où l'immense investissement politique placé dans le Brésil de Lula avant son arrivée au pouvoir. Mais, depuis, les tenants d'un «altermondialisme étatisé» sont entrés dans une phase de désenchantement. Les positions prises par Lula, tant sur l'autorisation des OGM que sur l'ouverture totale des marchés agricoles européens – et pas seulement l'abandon des subventions aux exportations – ont montré que le Brésil cherchait avant tout à défendre ses intérêts nationaux, quitte à habiller son libéralisme outrancier dans un tiersmondisme verbal.

De ce point de vue, l'échec du sommet de Cancun n'aura pas été pour Attac un bonheur sans mélange (...). Lula a, d'une certaine manière, tué l'esprit de Porto Alegre. Cette défection symbolique ne peut donc que conduire un mouvement comme Attac à se reposer la question du débouché politique de son action (...).


Contrairement à une idée répandue, l'électorat de la gauche française n'est pas plus hostile que l'électorat de droite à la mondialisation. C'est même l'inverse qui est vrai. A la question «Diriez-vous que la mondialisation de l'économie va être une menace ou une chance pour nos entreprises et nos emplois ?», les électeurs socialistes répondent oui à 46%, les communistes à 20%, les écologistes à 37%, les gaullistes à 37%, les centristes à 39% et les libéraux (Madelin) à 33% (...).


Le coût électoral d'une distanciation vis-à-vis de l'altermondialisme devrait donc être pour un parti comme le PS relativement faible. D'autant que si ce dernier est confronté à la perte du soutien des classes populaires, celles-ci sont (...) sous-représentées dans l'altermondialisme. Pourtant, ce constat mérite d'être très sérieusement nuancé par plusieurs facteurs. Il faut tout d'abord comprendre que pour un parti, il y a entre ses dirigeants et son électorat une médiation essentielle : celle des militants. Comme on le sait, leur influence politique n'est pas négligeable. Or cette base militante est sociologiquement beaucoup plus proche de celle des altermondialistes que des électeurs du Parti socialiste. Pour comprendre, donc, les positionnements du PS face aux altermondialistes, il faut tenir compte de cette médiation militante essentielle.

Ce qui saute aux yeux quand on prend en compte cette médiation, c'est bien évidemment la surreprésentation des cadres et des professions intellectuelles qui constituent (...) les gros bataillons de l'altermondialisme. Autant dire que, sociologiquement, le PS ne peut pas ne pas tenir compte de l'altermondialisme, sauf naturellement à penser qu'il doit changer de base militante, pour en avoir une plus en phase avec son électorat. Il y a sur ce plan une différence essentielle entre la droite et la gauche face à la mondialisation, car le profil sociologique des altermondialistes est nettement moins présent à droite qu'à gauche (...).

L'altermondialisme ne peut pas être considéré comme un syndicalisme. D'autant qu'à la différence des syndicats, les altermondialistes ne sont soumis à aucune contrainte de responsabilité publique (...). Leur extrême hétérogénéité, doublée de leur forte dépendance vis-à-vis des médias, a pour principale conséquence de les placer dans une logique de surenchère qui, dans le cas français, est étroitement liée à l'influence culturelle de la gauche souverainiste, c'est-à-dire communiste, et de l'extrême gauche. Pour l'heure, l'altermondialisme est davantage parvenu à se réapproprier les échecs politiques de la mondialisation qu'à véritablement se réapproprier le changement social en présentant des alternatives concrètes ou crédibles.

* Politologue, chercheur au Centre d'études et de recherches internationales (Ceri) de Sciences po. Zaki Laïdi est l'auteur d'Un monde privé (Hachette «Pluriel», 2001) et du Sacre du présent (Flammarion, collection «Champs», 2002). Il publie aujourd'hui La Grande Perturbation (Flammarion), un livre qui observe et interprète la mondialisation et le vaste changement social qu'elle implique. Nous en publions en exclusivité un extrait.
Barikad
 
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