La classe ouvriere vue par une Verte

Message par magdalene » 22 Oct 2003, 21:45

les Verts en quête de l'électorat populaire ?

CITATION Chat
La classe ouvrière en héritage
LE MONDE TELEVISION | 22.10.03 | 17h40
L'intégralité du débat avec Aurélie Filippetti, enseignante et conseillère municipale (Les Verts) du 5e arrondissement de Paris, mercredi 22 octobre. Aurélie Filippetti est l'auteur de Les Derniers Jours de la classe ouvrière (Stock).

CONSCIENCE ET CULTURE DE CLASSE

Nitin : D'après vous, d'où vient la perte de ce qu'on appelait la "conscience de classe" et la désaffection d'une grande partie des ouvriers pour la chose publique, que ce soit à travers le syndicalisme ou la politique ? La bureaucratie rampante des grands syndicats ? Du défaitisme ? La montée de l'individualisme ?

Aurélie Filippetti : Je pense que c'est parce qu'on a cassé le travail ouvrier.  "On", ce sont les chefs d'entreprise qui avaient en charge l'avenir économique des zones industrielles. On a assisté à une succession de plans sociaux, de restructurations, mais aussi à un éclatement des horaires de travail pour briser les solidarités collectives. En plus, la mémoire ouvrière n'a jamais été valorisée dans notre pays. Par exemple, en Lorraine, on a rasé toutes les usines. C'est comme si l'on disait aux gens qui ont travaillé là qu'il ne s'y est rien passé, qu'il n'y a pas eu d'histoire en ce lieu. Je crois qu'on a besoin de travailler sur la mémoire ouvrière.

Mat : J'ai du mal à comprendre votre définition de la classe ouvrière. J'habite dans un petit village où il y a beaucoup d'ouvriers. Je n'ai pas l'impression qu'il existe un sentiment d"identité collective" particulier à ces gens. L'individualisme est partout. Pour ce qui est de la politique, il est clair que les suffrages se sont tournés vers l'extrême droite (28 % dans le cas de mon village).

Aurélie Filippetti : Le titre de mon livre découle de mon interrogation sur les moyens de lutter contre l'individualisme. Plus on est exploité, plus on a besoin de solidarité collective.

Doudou : La classe ouvrière est-elle la "France d'en bas" ?

Aurélie Filippetti : Ceux qui parlent de la France d'en bas ne savent pas ce qu'est la classe ouvrière.

Juanito : Avec la disparition de la culture de classe, comment peut-on construire une autre contre-culture portant des systèmes de représentation et symboliques vigoureux ?

Aurélie Filippetti : Il y a un gros travail à faire pour améliorer la syndicalisation, la démocratie dans les entreprises, pour que les travailleurs puissent faire entendre leur avis sur les politiques économiques menées par les cadres d'entreprises. On peut aussi développer le secteur coopératif, où les ouvriers se partagent la propriété de l'entreprise.  :huh:

Kler : Est-ce à dire que les syndicats ne sont pas à la hauteur ?

Aurélie Filippetti : Le taux de syndicalisation est de 9 % en France : 11 % pour le public, 6 ou 7 % pour le privé. Il y a donc un problème de représentativité.  La CGT a cependant amorcé une mutation qui me semble intéressante.

TiberiJ : Le syndicalisme peut-il apporter un soutien aux ouvriers dès lors qu'il est corporatiste et qu'il ne s'imprègne pas de perspectives économiques et sociales plus larges ?

Aurélie Filippetti : Le syndicalisme est poussé à être corporatiste par l'évolution du droit du travail, qui, malheureusement, va de plus en plus vers des accords d'entreprise aux dépens des lois qui s'appliquent à tous.

Aytzr : Comment se fait-il que les traitements des questions de l'espérance de vie moindre des ouvriers par rapport à d'autres catégories de travailleurs, et de la souffrance physique journalière subie au travail ne soient pas des priorités nationales et européennes ? Comment se fait-il qu'un tel scandale soit silencieux ?

Aurélie Filippetti : Très bonne remarque. Dans notre programme sur les retraites, nous avions inscrit la prise en compte de la pénibilité du travail et de l'espérance de vie à la retraite. Pour moi, c'est un état de fait insupportable. Mon père est mort à 54 ans des suites d'un cancer des poumons, parce qu'il était mineur. Et je ressens là une injustice terrible.

JohnNemo : Pour avoir conscience de sa classe, il faut déjà qu'un individu ait conscience de lui-même, c'est-à-dire qu'il se soit bâti une identité. Comment une identité peut-elle se constituer avec des enfants élevés par les crèches, l'école maternelle, le collège et le lycée ?

Aurélie Filippetti : Plus on vient d'un milieu modeste, et plus l'école est la seule chance de s'en sortir.

LA MÉMOIRE OUVRIÈRE

Malabar : Avez-vous le sentiment d'avoir écrit un livre politique ?

Aurélie Filippetti : Oui. Parce que justement, j'ai fait un travail de mémoire indispensable, selon moi, pour construire l'avenir. J'ai voulu rendre justice à des gens qui ont participé par leur travail et par leur engagement à l'espoir en un monde plus juste.

Doudou : Mais justement la classe ouvrière n'a pas de mémoire, elle est obligée de se faire représenter ou de se taire. Et si elle avait une mémoire exprimable, elle ne serait plus une classe exploitée ou en tous cas elle aurait pris son destin en main.

Aurélie Filippetti : Je ne crois pas qu'il est vrai que la classe ouvrière n'a pas de mémoire. Mais elle n'a pas accès aux moyens classiques, à la "culture bourgeoise", qui est le vecteur traditionnel de transmission de cette mémoire, par exemple la littérature. Mais aussi la sociologie, l'histoire...

Argentina : Il y a aussi la mémoire orale chez moi, en Argentine, elle est très importante.

Aurélie Filippetti : Oui, bien sûr. Mon récit est basé sur cette mémoire orale qui m'a été transmise par ma famille. Mais on sait que cette mémoire orale est fragile, parfois les gens n'ont pas conscience de sa valeur.

Seb : On ne parle plus des ouvriers. Ne serait-ce pas précisément parce que l'immense majorité des politiciens qui se croient habilités à parler au nom de la classe ouvrière n'ont jamais vu un ouvrier de près ? Il n'y a pas un ouvrier dans les rangs des députés PS, et un seul pour le PC !

Aurélie Filippetti : Je suis entièrement d'accord avec vous. De même, il y a 5 % d'enfants d'ouvriers dans les grandes écoles françaises. On peut dire que cette discrimination recoupe les discriminations qui s'exercent à l'égard des beurs, des enfants d'immigrés.

Stef : Sans doute l'environnement est-il un vecteur des injustices sociales mais votre parti est-il une organisation ayant des bases dans le mouvement ouvrier ? En tant que normalienne, rencontrez-vous beaucoup d'ouvriers ?

Aurélie Filippetti : J'ai le sentiment que la classe ouvrière sert de faire-valoir électoral qu'on trahit après, car il n'y a pas vraiment d'alternative autre que celle du renversement du capitalisme et l'établissement d'une véritable démocratie sociale. Malheureusement, toutes les révolutions prétendument prolétariennes se sont retournées contre les ouvriers eux-mêmes. Il suffit de voir la manière dont les ouvriers sont actuellement exploités en Chine.
Je suis normalienne, mais je suis fille d'ouvriers, et toute ma famille est ouvrière...

Raoul : Votre définition personnelle de la classe ouvrière ?

Aurélie Filippetti : C'est une question difficile. Ce sont les travailleurs qui ont pris conscience que l'identité collective, du point de vue de la société, était plus importante que l'individualisme. Par leur solidarité, ils dépassent la condition de travailleur manuel dans laquelle les classes dominantes voudraient les maintenir.


Doudou : Si l'on disait qu'un ouvrier est celui qui n'a que sa force de travail pour vivre ?

Aurélie Filippetti : Oui... Mais un ouvrier a aussi une conscience politique, une intelligence et des aspirations.
:ohmy:

Gérard : Pourquoi dites-vous, dans votre roman, "nous ne sommes pas comme eux", à propos des ingénieurs des mines ?

Aurélie Filippetti : C'est surtout les ingénieurs qui considéraient que les ouvriers ne faisaient pas partie de leur caste, et n'étaient pas comme eux.

Concepcion : Y a-t-il encore une classe ouvrière ?

Aurélie Filippetti : Les problèmes qui se posent aujourd'hui aux ouvriers sont comparables à ceux des employés du tertiaire, souvent des femmes, travailleuses à temps partiel imposé, précaires (par exemple dans la grande distribution et les centres d'appels). Il y a aussi des gens qui sont exclus du monde du travail et que l'on cherche à opposer à des travailleurs "pauvres", présentés comme privilégiés. Tout est fait pour empêcher le sentiment d'appartenance collective de ces gens qui, à mes yeux, représentent une nouvelle classe laborieuse.

Seb : Je partage votre analyse sur le déficit de mémoire de la classe ouvrière, mais pourquoi chercher absolument à y voir la volonté d'un "on" quelconque, d'un ennemi de classe ? Le travail n'a-t-il pas évolué ? Souhaitez-vous faire revenir tous les ouvriers derrière d'immenses chaînes de montage pour qu'ils retrouvent la culture de classe ?

Aurélie Filippetti : Si l'on s'interroge sur la dépolitisation du monde ouvrier, on ne peut pas s'en remettre à une fatalité. Il faut chercher les éléments structurants qui ont conduit à cette perte de repères. Le refus de reconnaître la valeur de la mémoire ouvrière contribue à la dévalorisation du monde du travail et du monde politique. Mais, pour moi, il y a des responsables à cela. Ceux qui parlent par exemple d'une "France sans usines". Il faut rappeler qu'il y a encore 6 millions d'ouvriers en France, aujourd'hui.

PARTIS POLITIQUES ET CLASSE OUVRIÈRE

Stef : On constate que la perte d'influence du mouvement ouvrier va de pair avec les attaques que subit l'ensemble du monde du travail aujourd'hui (retraite, chômage massif, racisme...). Comment pouvez-vous prétendre parler en faveur du monde du travail alors que votre parti (les Verts) a coopéré avec une gauche qui n'a cessé de lui porter des mauvais coups (attaques contre le pouvoir d'achat, licenciements) ?

Aurélie Filippetti : Il faut faire la différence entre la gauche mitterrandienne et les militants qui sont engagés dans le combat pour la justice sociale. Les Verts ont été les premiers à dire que l'environnement était le nouveau vecteur des injustices sociales.  :bravo:

Tupello : Si la classe ouvrière existe, comment peut-elle se retrouver représentée par les partis de l'ex-gauche plurielle ?

Fav : Les ouvriers votent-ils pour les Verts ?

Aurélie Filippetti : Je suis trop jeune pour avoir envie de me concentrer sur le bilan de la gauche plurielle. :blink:  C'est dommage que les Verts ne soient pas davantage ancrés dans les milieux ouvriers. Mais nous sommes un parti jeune aussi, et on a besoin de temps pour expliquer que l'environnement et le social sont les deux faces de la même médaille.

Rachid : Et l'extrême droite ?

Aurélie Filippetti : L'extrême droite est présente dans les quartiers ouvriers, car elle profite de l'insécurité sociale pour agiter ses thèses xénophobes. Mais Jean-Marie Le Pen est l'homme politique qui a le plus profond mépris pour les ouvriers.

Rachid : Le Front national s'est-il dirigé vers les ouvriers (par des discours séduisants...) ou les ouvriers, exaspérés et peu "instruits", se sont-ils réfugiés chez lui, en dernier recours ?

Aurélie Filippetti : Le FN a fait une politique de conquête des quartiers défavorisés, en utilisant des discours simplistes pour répondre à des situations tragiques. Mais, même si l'on peut trouver des explications sociales au vote FN, je suis quand même en colère contre ceux des ouvriers qui votent FN, car ils oublient que derrière le racisme au faciès, il y a le racisme de classe. On s'en prend aujourd'hui aux "Arabes", on s'en prendra demain aux autres ouvriers. :ohmy:

Jaurès : Quel regard portez-vous sur la disparition du Parti communiste dans le paysage politique et dans la place qu'il avait acquise dans le monde ouvrier ?

Aurélie Filippetti : Pour moi, le Parti communiste français a une lourde part de responsabilité dans la désillusion du politique au sein du monde ouvrier. Malheureusement, avec le PCF disparaît en même temps toute la contre-culture portée par l'identité communiste. Le communisme était aussi un moyen pour les ouvriers d'accéder à une fierté, à une reconnaissance. Et les injustices sociales n'ont pas disparu avec la chute du mur de Berlin.

Yamine : Comment les partis politiques de gauche "traditionnelle" peuvent-ils regagner l'espace et donc le vote ouvrier ?

Aurélie Filippetti : En s'intéressant plus qu'ils ne l'ont fait jusqu'à présent au monde ouvrier, au monde du travail, et en écoutant un peu moins les sirènes des grands patrons d'entreprises qui disposent d'instruments de lobbying puissants. Les travailleurs modestes, eux, n'ont pas ces outils de lobbying.

Cyril : La gauche bobo n'est-elle pas très éloignée des aspirations actuelles de la classe ouvrière, qui a envie de consommer et de prospérer ? L'écologie n'est-elle pas une préoccupation de riches ?

Aurélie Filippetti : Les principales victimes des désastres environnementaux sont toujours les plus modestes. C'est vrai en France et c'est surtout vrai à l'échelle mondiale. Si l'on ne se bat pas pour une écologie de gauche, qui rappelle cette imbrication entre les injustices sociales et les prédations environnementales, on laisse à penser que l'environnement est une cerise sur le gâteau, alors qu'au contraire il est au cœur du problème. Pensons à la question de la répartition de l'eau dans le monde.

LES VERTS ET LA CLASSE OUVRIÈRE

Stef : Pourquoi êtes-vous écologiste et non pas communiste, puisque vous semblez tenir à ce monde ouvrier, qui ,comme je le pense avec vous, est le seul capable d'apporter des droits nouveaux. Alors, en tant que fille d'ouvrièrs, n'avez-vous pas le sentiment de faire un choix de carrière en étant chez les Verts plutôt qu'à militer auprès de Lutte ouvrière ?

Aurélie Filippetti : Si j'avais voulu faire un choix de carrière, je ne serais pas allée chez les Verts. L'écologie fait partie de mes valeurs et, en outre, j'ai voulu tirer les leçons de l'effondrement des pays de l'Est qui rendait impossible pour moi un engagement au PC. Mais ce que j'aime chez les Verts, c'est aussi la démocratie participative, qui n'existe pas à Lutte ouvrière.


Pierre : Pourquoi beaucoup d'enseignants sont-ils de gauche ? Vous êtes personnellement enseignante. Y a-t-il selon vous un lien entre les enseignants et les ouvriers? Si oui, de quel type ?

Aurélie Filippetti : Les enseignants font partie de ce que Bourdieu appelait la main gauche de l'Etat, c'est-à-dire qu'ils sont au contact direct des réalités sociales.

Gogo : Vous dites n'avoir pas adhéré au PC puisque le mur tombait. N'est-ce pas justement à ce moment qu'il fallait le faire, sans hypothèque dorénavant ? Les Verts c'est un peu bien-pensant, non ?

Aurélie Filippetti : Vu l'image catastrophique qu'ont les Verts en ce moment, je ne suis pas sûre que ce soit bien-pensant... Mais, pour moi, le combat c'est le combat de la gauche. Je suis plus attachée à la gauche qu'à quelque parti que ce soit.

TiberiJ : En tant qu'enseignante, pensez-vous que, depuis trente ans, l'éducation nationale ait apporté de meilleures réponses, de meilleures armes, aux enfants des classes ouvrières ?

Aurélie Filippetti : Il faut lire le livre de Stéphane Béaud, qui dit que l'on n'a pas redéfini un projet pour l'éducation nationale avec la démocratisation de l'enseignement. Je pense qu'il ne faut pas se contenter de l'égalité des chances, qui reproduit les inégalités sociales, mais il faut viser l'égalité des résultats. Il n'est pas normal que, depuis trente ans, le pourcentage d'enfants de milieux modestes dans les grandes écoles, par exemple, ait baissé.

Toto : Comment d'après vous peut-on concilier la logique du profit avec le respect de l'environnement et le respect des ouvriers ? En d'autres termes, comment peut-on être écologiste sans remettre en cause radicalement le système capitaliste ?

Aurélie Filippetti : L'écologie implique une transformation profonde des modes de production et de consommation. C'est une logique de développement durable, sur le long terme, qui s'oppose à la logique du profit à court terme. En plus, l'écologie nécessite qu'on considère le monde comme un tout, et donc que l'on refuse l'exploitation des plus pauvres par les plus puissants.

Toto : Vous êtes révolutionnaire alors ?

Aurélie Filippetti : Non, je suis non violente.


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