CITATION (Le Monde @ 4 octobre 2003)
La mort filmée d'une Nigériane expulsée de Belgique
LE SOUVENIR de Sémira Adamu est ravivé, en Belgique, à l'occasion d'un procès inhabituel, puisqu'il a permis de voir comment cette Nigériane, devenue malgré elle le symbole de la lutte des sans-papiers, a été victime d'une sorte de crime d'Etat. La jeune femme de 20 ans, que les autorités tentaient pour la sixième fois d'expulser, est morte le 22 septembre 1998, étouffée par des gendarmes qui, pour la maintenir de force dans un avion de l'ex-Sabena, appliquaient une technique légale à l'époque : celle du "coussin".
Poignets entravés, dos plié vers l'avant, Sémira fut maintenue pendant plusieurs minutes dans une position qui allait favoriser un coma dû à un manque d'oxygène. C'est ce qu'a déterminé un médecin légiste. Le coussin, dont l'usage était enseigné aux policiers chargés des expulsions, était utilisé pour empêcher les expulsés de protester.
Le sort de Sémira est au cœur du procès qui se déroule devant le tribunal correctionnel de Bruxelles. Cinq gendarmes flamands, trois subordonnés et deux officiers, y sont jugés pour des faits qui, à l'époque, entraînèrent la démission du ministre de l'intérieur. Diffusées à la télévision et dans la presse, des images ont bouleversé le prétoire. Elles montrent trois hommes qui, filmés par l'un de leurs collègues, poussent consciencieusement le coussin sur le visage de la jeune Nigériane en échangeant quelques propos, puis en plaisantant.
Le film, censé au départ illustrer une expulsion se déroulant conformément à la loi, est aujourd'hui une pièce à conviction déterminante. Il décrit, pendant de longues minutes, comment se commet un crime contre une candidate réfugiée qui avait toujours clamé qu'elle refusait, dans son pays, un mariage avec un sexagénaire polygame et meurtrier.
Devant le tribunal, les ex-gendarmes ont dit qu'ils n'avaient fait qu'appliquer le règlement. Le procureur du roi semble leur donner raison : il n'a requis que des peines légères, assorties de sursis. Les parties civiles ont réclamé, en vain, que s'appliquent les dispositions d'une loi antiraciste. Néanmoins, pour les défenseurs des droits de l'homme, le procès est déjà une sorte de victoire : il a fallu attendre trois ans et demi, depuis la fin de l'instruction, pour qu'il débute enfin.
Jean-Pierre Stroobants
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