("La Montagne" @ 16-09-2009 a écrit :Clinique de Moulins : les chirurgiens « responsables de sa mort »
Le patron de la clinique de Moulins et un orthopédiste ont été condamnés, hier, à un an et demi et un an de prison ferme. Ils ont laissé mourir sans soins appropriés un ouvrier grièvement brûlé dans leur propre établissement.
Aucun expert n'a déchargé les docteurs Briat et Dumontier lors de l'audience au tribunal correctionnel de Moulins, Patrice Canonne n'aurait pas dû mourir (voir notre édition du 2 juillet). Cet homme de 40 ans était certes grièvement blessé par l'explosion des émanations du pot de colle avec laquelle, en août 2004, il posait, à l'aide d'un chalumeau, le revêtement de la piscine de rééducation de la clinique Saint-Odilon. Mais il aurait pu être sauvé et, s'il est mort, les deux chirurgiens en sont « entièrement responsables », a jugé, hier, le tribunal.
Jean-Paul Briat, 66 ans, spécialiste en chirurgie digestive et directeur de la clinique, avait été le premier à examiner l'ouvrier brûlé aux jambes, aux bras et au visage :
Pansement et hydratation
« Il était debout quand je l'ai vu. Il a refusé d'être emmené à l'hôpital. Alors, comme il souffrait terriblement, je lui ai donné de la morphine. Pour le reste, j'ai appelé mon collègue ». Philippe Dumontier, 58 ans, n'est pas plus spécialisé dans les brûlures. Il est orthopédiste :
« J'ai d'abord refusé, car ce n'est pas mon domaine. Mais le Dr Briat a insisté ». L'orthopédiste a prescrit des pansements et une hydratation par perfusion.
"Qu'il pisse sa morphine"
C'est tout. Et c'était trop peu. Patrice Canonne a été installé dans une chambre de la clinique alors que les chirurgiens avaient vu les brûlures : « On avait estimé la surface atteinte à 20-25 % ». Le président Thierry Grandame a repris les expertises :
« Elles parlent, elles de 45 %. Et de toute façon, à 15 %, on envoie aux "grands brûlés. Tout médecin le sait. S'il avait été pris en charge aux "grands brûlés, il avait 55 % de chances de survie ».
Pas de soins médicaux appropriés, et même pas d'attention, a relevé la famille. Au fil des jours, sa fièvre montait à 41°, il peinait à respirer, ne pouvait plus se lever : « Il avait les yeux qui sortaient de la tête ». Aucun médecin n'a rassuré ses proches. Les infirmières ont juste transmis une de leurs réflexions : « La fièvre, c'est normal, faut qu'il pisse sa morphine »...
"Un dossier à pleurer"
Le patron de la clinique a confirmé en creux le délaissement du patient : « Je lui disais bonjour en passant le matin. On a sans doute eu un défaut de coordination ».
Après quatre jours d'agonie, Patrice Canonne a été évacué à l'hôpital. Les urgentistes sont restés ahuris : « Une odeur nauséabonde s'est dégagée d'un pansement. C'était verdâtre sous un autre ». Patrice Canonne est décédé le 4 août 2004, laissant une veuve et quatre filles de 4 à 11 ans.
« Un dossier à pleurer », a résumé l'avocate de la famille, Me Mercier-Rayet : « Et à hurler. S'il n'avait pas été un simple ouvrier, il aurait certainement eu droit à plus d'attention ». Même diagnostic pour le procureur Gérard Davergne : « Cette descente aux enfers de la souffrance, comment admettre ça ? Vous l'avez réduit à rien ».
Il avait requis de la prison avec sursis et une amende pour les chirurgiens. Le tribunal est donc allé bien au-delà, car les trois ans de prison prononcés contre les chirurgiens ne sont assortis que de dix-huit mois et deux ans de sursis.
Éric MOINE