CITATION
Entretien avec Arlette Laguiller, députée européenne et porte-parole de Lutte ouvrière
LE MONDE | 20.09.03 | 13h23
"Droite ou gauche, c'est toujours le Medef qui dicte".
Le texte de cet entretien a été relu et amendé par Mme Laguiller.
Comment appréciez-vous le climat social en cette rentrée ?
Il y a un profond mécontentement. Le gouvernement se conduit comme un chauffard qui écrase tout sur sa route. On le voit avec les 800 000 chômeurs qui vont se retrouver avec des ressources moindres, la baisse des crédits pour l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), le jour férié que l'on veut reprendre et encore une fois faire payer par les salariés. Face à ces mesures en rafale, je ne vois pas comment il ne pourrait pas y avoir de réactions dans les semaines à venir. D'ailleurs, ce gouvernement paraît un peu déstabilisé aujourd'hui.
Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?
Il a reculé sur la réforme de l'allocation logement aux étudiants, sur la décentralisation des personnels non enseignants de l'éducation nationale. On sent des divergences au sein de l'UMP. Cela ne m'étonnerait pas qu'il y ait un remaniement ministériel.
Ce gouvernement Raffarin, vous le jugez pire que le gouvernement Jospin ?
Comme les gouvernements précédents, il se préoccupe avant tout des intérêts du grand patronat. Vous savez, la gauche, qui a gouverné quinze ans depuis 1981, a elle aussi bien préparé l'état dans lequel le monde du travail se trouve aujourd'hui. Elle a ouvert la voie à la droite.
La façon dont le gouvernement Raffarin s'attaque au monde du travail - en passant en force - est sans doute la seule chance pour la gauche de retrouver des voix. Mais, même si les attaques du gouvernement Raffarin paraissent plus brutales, je crois que les travailleurs qui pensent qu'après tout ce serait peut être moins pire avec la gauche se trompent. Droite ou gauche, c'est toujours le Medef qui dicte.
Vous rencontrez la LCR vendredi. Où en est l'accord envisagé ?
Il est en bonne voie, ce sera aussi une réponse au barrage qui nous est opposé par la réforme du mode de scrutin.
S'il n'y avait pas eu de réforme du mode de scrutin, il n'y aurait pas eu d'alliance ?
La réforme du scrutin n'est qu'un argument de plus. D'ailleurs, on s'est présenté ensemble aux élections européennes de 1999. Et on ne se voit pas se présenter ensemble aux européennes et séparément aux régionales. Cela fait un tout.
Vous avez donc changé d'attitude vis-à-vis de la LCR ?
Non, nous avions des choses à lui dire par rapport au vote Chirac au second tour de la présidentielle, par exemple. En politique, il faut s'expliquer franchement. Mais ce que nous partageons, c'est la défense des travailleurs, des chômeurs et des pauvres. Nous sommes les seuls à défendre l'interdiction des licenciements, qui sera un des thèmes de notre campagne commune.
Vous-même, serez-vous candidate ?
Ce n'est pas encore décidé, mais je continuerai à faire de la politique, dans mon organisation ou comme élue. Même si, pour nous, le but des élections n'est pas d'avoir des élus mais de défendre un programme politique, quand nous avons des élus, nous exerçons toujours nos responsabilités. Le socialiste Jean-Paul Huchon explique très bien, dans un livre récent, qu'au conseil régional d'Ile-de-France, qu'il préside et où je suis élue, je vote tout ce qui concerne les travailleurs, le social, etc. Au Parlement européen, c'est pareil. J'ai fait faire une petite statistique : par exemple, à la session de juillet 2002, on a voté pour la moitié des rapports présentés au vote.
A l'extrême gauche, on entend dire parfois que le PCF est mort. Partagez-vous cette analyse ?
Le PCF est un parti qui est encore capable de réunir des centaines de milliers de personnes à la Fête de L'Huma. Ce n'est pas rien. En même temps, la direction du PCF n'offre aucune autre perspective à ses militants que de s'associer au PS, elle les emmène dans le mur. Nous, nous nous adressons à eux en les côtoyant dans les luttes.
Il y a eu un autre grand rassemblement cet été, sur le Larzac. Vous vous sentez proche de ce mouvement ?
Ce rassemblement a bénéficié du climat antigouvernemental exprimé par les grèves du printemps. Qu'il y ait des dizaines de milliers de jeunes qui aient envie de crier leur révolte... Bon. Mais la révolte ne suffit pas. José Bové préfère la révolte à la révolution. Je pense qu'il a tort.
Vous pensez quoi de José Bové ?
Je me sens solidaire de certaines de ses actions et de ses idées. D'autres pourraient me gêner.
Sur les OGM, par exemple ?
Pas sur les OGM en général, encore que les scientifiques ont l'air de se mobiliser plutôt pour les défendre... C'est un peu comme Attac. Parfois on se retrouve côte à côte, parfois non. Ces mouvements ne sont pas des partis politiques. Moi, j'essaie de construire un parti politique communiste, trotskiste, révolutionnaire. On n'a pas attendu l'altermondialisme pour être internationalistes. Nous, on veut que les choses soient claires. Il faut appeler le capitalisme par son nom. On tient à dire qu'on combat le capitalisme. La classe ouvrière, elle en crève qu'on n'appelle pas un chat un chat !
Propos recueillis par Christine Garin et Caroline Monnot
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