(liberation a écrit :Le triste record de l’injustice américaine
Condamné à vie en 1981 au Texas, James Lee Woodard a été mis hors de cause grâce à un test ADN. L'affaire met en lumière, une nouvelle fois, les errements de la justice américaine.
De notre correspondante à New York MARIA PIA MASCARO
QUOTIDIEN : vendredi 2 mai 2008
James Woodard, 55 ans, se serait sans doute passé du triste record qu’il détient : celui de l’homme ayant passé le plus de temps à tort derrière les barreaux, aux Etats-Unis. Mardi à Dallas, après plus de vingt-sept ans d’incarcération, cet homme arrêté alors que Reagan venait d’être élu président, a enfin été innocenté d’un crime qu’il n’a pas commis. «Dès son arrestation, il a dit au monde son innocence, mais personne n’a écouté», a déclaré Jeff Blackburn, l’avocat chargé de son dossier à l’Innocence Project, l’association qui a permis sa remise en liberté.
Amie violée et étranglée. Le cauchemar de James Woodard a commencé une nuit de décembre 1980 quand le corps sans vie de sa petite amie, Beverly Ann Jones, 21 ans, a été retrouvé sur les berges de la Trinity River au sud de Dallas. La jeune femme avait été violée avant d’être étranglée par son ou ses assaillants. James Woodard fut immédiatement soupçonné sur la base de deux témoignages. Le père de la victime, qui s’est par la suite rétracté, avait alors déclaré que James était venu demander des nouvelles de sa fille le soir du crime. Une voisine a également affirmé avoir vu James et sa petite amie cette nuit-là. «Nous avons toujours pensé que ce témoignage ne tenait pas la route», explique Natalie Roetzel, la directrice d’Innocence Project au Texas. Plus grave pour James Woodard, des éléments de preuve qui auraient pu l’innocenter au moment de son procès n’ont jamais été transmis à la défense. La nuit du crime, Beverly Ann Jones avait en effet été aperçue par un certain Theodore Blaylock, montant dans une voiture en compagnie de trois hommes qu’il n’a cependant jamais été en mesure de décrire. Un an plus tard, Theodore Blaylock fut lui-même tué par une femme alors qu’il tentait de la violer dans sa voiture. Son témoignage ne fut jamais pris en considération par l’accusation : une violation flagrante de la procédure, mais qui n’est pas pour autant passible de sanction selon les lois texanes.
Persévérance. En juillet 1981, James Woodard est donc condamné à la prison à vie pour viol et meurtre par strangulation. Depuis, il avait déposé six demandes de révision de son procès et de deux tests d’ADN, sans succès. «Ses recours furent si nombreux qu’il fut accusé d’abuser du système», souligne Natalie Roetzel. C’est finalement au programme mis en place par le nouveau procureur du district, Craig Watkins, que Woodard doit son salut. Dès son élection, cet ancien avocat met sur pied un programme en collaboration avec l’Innocence Project permettant à des étudiants en droit de revoir des cas d’inculpation douteux. La persévérance d’un jeune étudiant vaudra à Woodard de voir une de ses demandes de test ADN enfin acceptée. Les résultats sont clairs : il ne pouvait être ni le violeur ni le meurtrier de son amie.
James Woodard est le 216e condamné à avoir ainsi été innocenté grâce à une analyse ADN. Il est le 18e pour le seul comté de Dallas, qui détient le record du plus grand nombre de prisonniers innocentés après une telle analyse. «Cela ne veut pas forcément dire que le comté a commis le plus grand nombre d’erreurs judiciaires, mais que son système pour les découvrir est aujourd’hui plus efficace», estime Natalie Roetzel.
«Un grand bol d’air frais». A sa sortie du tribunal, mardi, James Woodard a levé les bras en signe de victoire. «Ce que j’ai vraiment envie de faire, c’est de respirer un grand bol d’air frais.» Il a le droit de toucher 50 000 dollars par année d’incarcération. «Mais le gouvernement prélève 43 % d’impôts, souligne Natalie Roetzel, certains innocentés préfèrent renoncer à cette somme et poursuivre l’Etat pour dommages et intérêts.» James Woodard a passé sa première nuit dans un appartement mis à disposition par un membre de l’Innocence Project, qu’il pourra occuper jusqu’à ce qu’il trouve un logement à sa convenance.