a écrit :Collectifs antilibéraux, les leçons d'une campagne électorale
Après l'échec des candidatures unitaires aux présidentielles, le même scénario a commencé à se reproduire pour les législatives.
Significatives à cet égard ont été les premières réactions à la proposition lancée par Olivier Besancenot de construire ensemble une " opposition politique " afin de permettre au monde du travail de résister aux attaques que le nouveau gouvernement ne manquera pas de porter, quel qu'il soit, de droite ou de gauche.
Le candidat " unitaire " José Bové s'est empressé d'ironiser sur la bonne volonté de la LCR, se dépêchant surtout de ne pas répondre sur le fond, tant ses choix politiques à l'égard de la gauche gouvernementale restent volontairement et délibérément ambiguës. Quant à la direction du PCF, elle n'a guère daigné répondre, ses préférences étant clairement marquées depuis longtemps.
Dans les collectifs, cela ne va guère mieux. Partout ils sont éclatés, affaiblis, divisés ou réfugiés dans l'abstention. La fuite en avant sur le terrain des législatives est désormais un moyen de contourner les questions délicates et s'affranchir du moindre bilan. Sans succès ! Le PCF n'a pas attendu longtemps pour être lui aussi à l'affût et rejouer le même scénario. Il remplit tranquillement des listes de candidats qui ne laissent guère de doute sur ses intentions, quelle que soit d'ailleurs la " sensibilité " de ses différents courants !
Prétendre qu'il serait possible de refaire avec les législatives ce qui a échoué avec les présidentielles ne peut aboutir qu'à de nouvelles désillusions. Les petites phrases assassines sur celui ou celle qui serait censé(e) être plus ou moins unitaire que les autres ne serviraient dans ce cas qu'à masquer une nouvelle fois les raisons de cet échec.
Ce sont d'autres préoccupations qui devraient être à l'ordre du jour dans les collectifs. Bien des militants qui se retrouvent encore aujourd'hui dans les collectifs se connaissent souvent depuis longtemps. Ils savent qu'ils se retrouveront à nouveau ensemble dans les luttes, quel que soit le gouvernement élu. Mais il manque dans les collectifs un débat de fond qui permette de renouer des relations de confiance après cette longue période de dérive autour de la question électorale.
Il nous faut revenir sur le projet comme sur la méthode qui ont conduit à l'échec, si nous voulons reconstruire ensemble d'autres perspectives, sans attendre.
La campagne des présidentielles, une épreuve de vérité La campagne qui a commencé dans les faits depuis plusieurs mois est à cet égard une véritable leçon de choses. Officiellement l'immense majorité des collectifs s'est prononcé le 10 septembre en faveur du texte " Ambition et stratégie ". Pendant des semaines, le journal l'Humanité s'est littéralement déchaîné contre la LCR accusée d'avoir rompu l'unité pour des raisons sectaires, forcément sectaires puisque paraît-il il n'y avait pas l'ombre d'une divergence sur l'alliance avec le Parti socialiste.
Trois mois après, le PCF a du engager seul sa campagne. On a pu alors vérifier le contenu réel de sa politique, une fois dégagée des contraintes de l'unité de façade avec les collectifs : c'est bien l'unité de toute la gauche qui est restée pour sa direction un horizon indépassable.
Ce n'est pas une surprise : Marie-George Buffet l'avait annoncé très clairement dès le 29 mai 2005. Mais cela montre au moins une chose : les recompositions politiques que l'on tente par en haut, sur la base d'un texte où l'on discute des virgules, ne peuvent conduire qu'à un jeu de dupe.
Une vraie bataille politique aurait supposé de convaincre sur le fond des centaines, voir des milliers de militants du PCF et des collectifs. Il aurait fallu évidemment avoir soi-même les idées claires sur ses enjeux réels. Et placer la question électorale au bon endroit : non comme un point de départ mais comme un point d'arrivée, et vérifier entre temps les convergences réelles, notamment dans les luttes. Au lieu de cela, ce sont les méthodes d'état-major qui ont été reproduits à l'échelle de centaines de collectifs, avec en bout de course une seule question : pour ou contre Marie-George Buffet, ou José Bové, ou Clémentine Autain, ou Francis Wurtz, achevant de transformer la dérive électorale en farce politicienne.
La deuxième leçon de chose nous est donnée aujourd'hui par la campagne de José Bové. Il y a d'abord la méthode, paradoxale, puisque l'un des arguments des collectifs et de José Bové en particulier est de prétendre " faire de la politique autrement ". Avec un brin de démagogie contre les organisations (politiques), c'est en réalité toute forme de démocratie, et donc de contrôle et de débat véritable, qui a été balayée par un plébiscite virtuel, orchestré après le 10 décembre sur Internet afin de lancer sa candidature.
La fuite en avant s'est imposée comme jamais pour faire vivre le mythe d'une dynamique unitaire, croire qu'il suffit d'être unitaire pour qu'il y ait une dynamique, et masquer les raisons politiques de la division, en réduisant inévitablement l'unité à une posture qui ne sert qu'à dénoncer les autres comme sectaires (puisqu'ils ne sont pas ralliés !), voir à justifier des pratiques indéfendables, notamment au moment de la recherche des parrainages.
Cela n'a évidemment rien d'un accident de parcours mais renvoie quant au fond à l'impasse dans laquelle les collectifs se sont vite fourvoyés : avant comme après le 10 décembre, la seule question a été de trouver le bon candidat et la bonne combinaison électorale, puisque en dehors des élections, point de salut !
Le détournement des collectifs sur le terrain électoral Il y a une convergence fondamentale entre Bové et Buffet : chacun-e avec ses mots et son style, lyrique pour l'un (" Aux urnes citoyens ! Préparons l'insurrection électorale ! "), ou dramatique pour l'autre (" l'enjeu décisif que représentent les présidentielles "), défend la même antienne, l'idée qu'il est possible de changer la vie grâce au bulletin de vote, après avoir justifié pendant des mois cet autre bluff que fut le " score à deux chiffres " destiné à balayer les doutes et les objections.
L'usage du bulletin de vote condense bien des interrogations autour de l'antilibéralisme. C'est la question déterminante car elle renvoie à une série de débats que les antilibéraux et les anticapitalistes ont malheureusement rarement menés jusqu'au bout : non seulement sur ce que nous voulons changer, mais aussi sur les moyens d'y parvenir et la manière de transformer un rapport de force.
" Diverse, [la gauche de transformation sociale] doit s'unir pour peser dans la vie politique française et disputer l'hégémonie à la ligne sociale-libérale actuelle du parti socialiste " peut-on lire dans un tract de la campagne Bové. Tant que les militants des collectifs resteront prisonniers de leurs raisonnements institutionnels, la question du Parti socialiste restera incontournable : c'est une évidence arithmétique qui ne disparaîtra pas par magie au sein du parlement. Mais rêverie oblige, les mêmes aimeraient bien un autre PS, un Parti socialiste plus à gauche, en espérant qu'une gauche antilibérale plus forte électoralement l'y obligerait.
Le PCF n'a jamais raisonné autrement et l'on touche bien au fond des divergences et des illusions enracinées depuis longtemps dans le mouvement ouvrier comme dans le mouvement social. Elles renvoient à des questions qui malheureusement ont été bien peu débattues jusqu'au bout.
Et d'abord celle-ci : que faut-il changer ? Pour beaucoup, l'essentiel serait de changer le rapport de force avec le PS, en cherchant la meilleure combinaison électorale possible pour faire pression. Mais dans ce cas, que pourrions-nous espérer avec un parti socialiste un peu plus à gauche, du moins en paroles ? Serions-nous nostalgique à ce point d'une époque où Mitterrand s'emportait contre le capitalisme (que l'on se souvienne par exemple du congrès de refondation du PS en 1971), héros d'une gauche qui savait… vraiment duper les travailleurs ? Ou faut-il croire en une gauche vraiment à gauche, pas seulement en paroles ? Mais avec quelle marge de manœuvre ? Que pourrait faire un gouvernement antilibéral, honnêtement réformiste ? Mener une autre politique mais sans s'attaquer au pouvoir du patronat, et agir comme si le libéralisme était une option parmi d'autres dans le fonctionnement actuel du capitalisme ?
C'est évidemment un contresens qui a été longuement discuté au fil des articles de Débat militant.
Comprendre les logiques internes du capitalisme, c'est forcément poser autrement la question du débouché politique. Non pas comme un substitut aux luttes, ou un raccourci, tentation qui existe toujours parce que sur ce terrain, effectivement, rien n'est facile. Mais comme un politique pour les luttes, qui pose comme un objectif explicite la question du pouvoir, d'abord sous la forme du contrôle, contrôle de l'économie, contrôle de l'Etat, mais aussi l'objectif d'un gouvernement des travailleurs, issu de ces nouvelles formes de pouvoir nées dans les luttes, par les travailleurs eux-mêmes. Auquel cas, le rapport de force à changer n'est pas celui entre partis de gauche au sein du parlement. Mais sur le terrain de la lutte de classe face au patronat et à son Etat, quel que soit le gouvernement.
C'est cette réflexion en commun et ces expériences de luttes qui auraient pu unifier progressivement les collectifs autour d'un vrai projet : la capacité au quotidien à proposer une politique alternative à l'inertie des directions syndicales, l'élaboration d'un plan d'urgence qui ne soit pas un long catalogue électoral de 125 propositions où chacun vient faire son marché, mais un vrai plan pour les luttes autour de quelques revendications essentielles qui changent réellement le rapport de force entre le monde du travail et la classe capitaliste. Et ouvrir la question du parti : non pas un parti antilibéral, réformiste, conçu comme un moindre de mal dans la période actuelle, alors que celle-ci offre au contraire bien d'autres possibilités, mais un parti des luttes, pour le pouvoir des travailleurs, un parti anticapitaliste où la questions du réformisme et de la révolution est une question réellement débattue jusqu'au bout, parce que le capitalisme mondialisé tel qu'il se déploie aujourd'hui lui donne de fait une grande actualité.
Reconstruire une perspective commune Excès d'optimisme au lendemain du 29 mai, vite qualifié d'événement majeur, puis désillusion aujourd'hui, au point que certains se demandent si ils n'ont pas rêvé, le mouvement de balancier auquel nous assistons aujourd'hui est pour le moins caricatural. La gauche du Non aurait disparu ! Du moins dans les sondages des présidentielles. Mais les sondages, et même les élections grandeur nature, sont-elle une fois de plus la bonne mesure ?
Le détournement sur le terrain électoral des aspirations unitaires comme l'incapacité à faire vivre un véritable front social et politique pour les luttes (pourtant nécessaire et possible comme l'a montré un peu plus tard le mouvement contre le CPE) n'était pas inscrit dans les gènes des collectifs du 29 mai, même si dès le départ cette ambiguïté a fortement existé dans le cadre de l'appel Copernic.
Il y a bien eu une dynamique réelle autour du 29 mai : ce fut un vote certes, à l'occasion d'un référendum, avec toutes les limites et les ambiguïtés que cela peut avoir, mais il y a eu aussi le refus par ces mêmes électeurs du " réalisme " prôné par la gauche du Oui, les discussions à n'en plus finir sur les 20 ans d'expérience gouvernementale par le PS comme par le PCF, la volonté pour beaucoup même de manière confuse de trouver un " débouché " aux luttes, mélange d'illusion électorale mais aussi volonté sincère de leur donner une plus grand efficacité et de poser la question du parti, comme il y a eu en même temps la participation à ces luttes, depuis le retour des grandes manifestations au printemps 2005 jusqu'au CPE, et leur prolongement dans le privé, aujourd'hui sur les salaires et sur l'emploi.
Ce n'est pas la situation objective qui a limité la possibilité pour la LCR de gagner de l'influence, mais sa stratégie. La Ligue ne s'est pas trompée sur les symptômes, à la différence de LO qui est largement passée à côté : il y a bien eu depuis 1995 l'apparition d'un phénomène nouveau, une gauche " radicale " qui a accompagné la remontée des luttes parallèlement à l'effondrement du stalinisme, l'émergence d'un milieu souvent prisonnier encore de bien des raisonnements réformistes, mais qui porte aussi par ses choix et par ses ruptures, même partielles, d'autres ambitions.
Qu'a fait la LCR pour les convaincre de ses perspectives ? Ou qu'a-t-elle fait au contraire qui prolonge sur le terrain de l'électoralisme tout ce qu'il reste d'illusions et de scories du passé ?
Aujourd'hui les possibilités de reconstruire un cadre d'action et de débats politiques permanents, en s'appuyant sur ce qu'il y a de commun, sont moins évidentes. Mais l'échec des candidatures unitaires peut être une chance si nous saisissons à temps les possibilités de tirer les bilans ensemble. Dégagés de cette pression électorale qui conduit souvent à l'unité de façade, les révolutionnaires peuvent à nouveau débattre librement, sans rabattre à priori sur leur programme. Agir en commun avec nos divergences ou malgré elles n'est pas insurmontable, bien des militants échaudés par l'expérience de l'unité à tout prix peuvent aujourd'hui le comprendre.
Mais cela suppose aussi de clarifier nos propres perspectives. Une démarche unitaire avec des militants venus d'horizons divers n'a de sens et d'efficacité que si elles s'appuie en même temps sur une claire volonté de regrouper directement celles et ceux qui ont conscience que la construction d'un parti anticapitaliste, un parti des travailleurs est la tâche de l'heure, un parti pour la lutte de classe, en rupture avec les institutions de la bourgeoisie.
Jean-François CABRAL