a écrit :Marc Peschanski, Arlette dans les gènes
LE MONDE | 19.03.07 | 16h48 • Mis à jour le 19.03.07 | 16h48
Bouille rondouillarde à la Bernard Blier, un petit homme affable, sur une place de marché, vend à la criée Lutte ouvrière. Difficile d'imaginer, sous ses allures de père tranquille, un révolutionnaire pur jus. Et tout aussi difficile de se représenter un biologiste de haut vol, champion des cellules souches et des maladies génétiques.
A 55 ans, Marc Peschanski a passé l'âge de refaire le monde et de croire aux lendemains qui chantent. Mais il n'a rien cédé de ses indignations et de ses révoltes de jeunesse. "Ce qui me lie toujours à l'extrême gauche, de manière indéfectible, c'est une colère viscérale contre l'injustice", dit-il. Pas un jour il n'allume la radio sans "bouillir" à l'annonce de dizaines de morts en Irak, de massacres et de viols au Darfour ou d'un affolement des places boursières qui va "rendre peut-être quelques riches moins riches, mais surtout faire crever de faim des milliers de petites gens".
Alors, quand il en a le loisir, il retrouve ses réflexes de militant, prête main-forte à ses anciens camarades pour une distribution de tracts, anime des débats scientifiques à la fête de Lutte ouvrière, contribue bien sûr au financement de l'organisation, donne son nom - comme suppléant - pour les élections législatives et municipales. Et se fend de tribunes enflammées dans les journaux, où il épouse avec "le coeur et la raison" la cause d'Arlette Laguiller, pour "sa fidélité" à ses convictions.
Le combat politique, chez les Peschanski, est une histoire de famille. Le père, Alexandre, "aventurier de la révolution", la mère, Dora, "intellectuelle brillante", restent des modèles presque écrasants. L'un et l'autre, nés avec le XXe siècle dans des familles juives d'Europe de l'Est, séduits très tôt par le sionisme socialiste, émigrent en Palestine où ils se rapprochent bientôt du Komintern, qui lie dès lors leurs destins. Lui rejoint les brigadistes d'Espagne, elle gagne la France. Pendant l'Occupation, ils entrent dans le réseau de résistance Beck-Markowska, sont arrêtés par la police de Vichy, torturés, échappent au peloton d'exécution, sont internés dans des camps en Allemagne. A la Libération, il devient directeur d'une petite entreprise, elle chimiste au CNRS. Communistes toujours.
Révolution, recherche : c'est à ces deux mamelles que seront nourris les trois fils Peschanski. Hasards de la génétique ou besoin d'affirmer son identité ? L'aîné de la fratrie, Robi, physicien, est resté communiste. Le benjamin, Denis, historien, a viré socialiste. Marc, lui, a choisi le trotskisme. Il avait tout juste 15 ans et, la déstalinisation aidant, était "prêt à entendre que le communisme était un idéal magnifique, trahi par les dirigeants de l'Union soviétique".
De ces années d'activisme, il garde le souvenir fiévreux d'un "engagement total", d'une "vie incroyablement riche de contacts et de discussions", de "lectures et d'apprentissages permanents". Loin de l'image de secte austère et prude attachée à Lutte ouvrière, même si, reconnaît-il, "nous étions des professionnels de la politique plutôt que des surboums". Au bout de dix ans, il rend sa carte, "épuisé" comme l'est alors toute l'extrême gauche.
Il se replonge à plein temps dans des études de médecine, où il voit "la possibilité de servir concrètement à quelque chose". Puis, syndrome familial encore, se lance dans une carrière scientifique jalonnée de succès, à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Il y étudie les mécanismes de la douleur, avant de se passionner pour les toutes nouvelles découvertes sur la plasticité du cerveau. Elles l'amènent à réaliser les premières greffes neuronales en France sur des patients atteints des maladies de Parkinson et de Huntington, auxquels il réussit à donner entre quatre et six années de rémission.
La publication de ces résultats spectaculaires est une consécration... qui le laisse "mal dans ses baskets", n'ayant plus rien à trouver, ou à prouver. Une pause en Angleterre, et il se relance avec les cellules souches, dans lesquelles il voit un formidable espoir de traitement de certaines affections neurodégénératives. Les lois françaises de bioéthique interdisant les recherches dans ce domaine, il se bat bec et ongles pour leur révision. Et crée en 2005, sur le Génopole d'Evry, l'Institut des cellules souches pour le traitement et l'étude des maladies, I-Stem, cofinancé par l'Association française contre les myopathies (AFM). Son ambition est d'identifier, en travaillant sur des cellules porteuses de mutations génétiques rares, issues d'embryons humains ayant fait l'objet d'un diagnostic préimplantatoire, des molécules thérapeutiques facilement utilisables par les médecins et les patients.
Voilà qui en fait la cible de la récente polémique sur l'utilisation des dons du Téléthon, dont les milieux catholiques conservateurs refusent qu'ils servent à des travaux confinant, selon eux, à l'eugénisme. Choqué plus que blessé, Marc Peschanski fustige "une tentative des fondamentalistes de faire sortir les soutanes de la naphtaline".
"Comme en toute chose, il a réagi en militant, rapporte son frère Denis. C'est sa marque de fabrique : pour lui, la politique et la recherche procèdent d'un même engagement humaniste." C'est ce qui lui vaut "l'admiration et l'amitié" d'Arlette Laguiller. "Face à la montée des intégrismes religieux, il est essentiel de défendre une vision philosophique matérialiste, pense la candidate - pour la sixième fois - à l'élection présidentielle. Marc est de ceux qui font avancer le combat scientifique et le combat politique."
Comme chercheur, lui-même se sent légitimé à proclamer que, décidément, ce monde ne tourne pas rond. "Dans mon secteur, la médecine et la biologie, je vois ce que la société peut produire de meilleur. Les avancées thérapeutiques sont fantastiques. Cela n'empêche pas que, pour plus de la moitié de l'humanité, la vie et la mort restent dictées par des enjeux d'argent et de pouvoir", fulmine-t-il.
Ses diatribes agacent parfois ses proches, irrités de "son obstination à toujours avoir raison". D'autres lui reprochent "un ego à la mesure de son talent", ou encore une ambition dévorante, qui conduit ce farouche défenseur du service public à se tourner vers le privé pour subventionner son laboratoire. N'a-t-il pas droit, comme le capitalisme, aux contradictions ? L'Inserm lui a demandé de choisir une devise. La réponse a fusé : "De la nature comme des hommes, combattre les injustices."
Pierre Le Hir