(Combat Ouvrier 23 9 2006 a écrit :Il y a cinquante ans, à Paris, le premier congrès des écrivains et artistes noirs
Du 19 au 22 septembre 1956, se déroula Paris le premier congrès des écrivains et artistes noirs. Il fut organisé par le professeur Alioune Diop, fondateur de la revue « Présence africain »e en 1946. Y participèrent de nombreux poètes et écrivains noirs déjà célèbres dont les Sénégalais Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop, le Malien Amadou Hampathé Bâ, les Martiniquais Aimé Césaire, Frantz Fanon, Edouard Glissant, le Jamaïcain Marcus James, l’Haïtien Jean Price-Mars, le Noir américain Richard Wright, pour ne citer que ceux là. William Dubois, fondateur du « Niagara Movement » aux USA, et de la NAACP (association pour la promotion des gens de couleur), pionnier de la lutte contre les discriminations envers les Noirs aux USA, ne fut pas autorisé par les autorités des USA à quitter le pays pour se rendre au congrès. Malgré des désaccords, bon nombre de ces artistes et écrivains noirs de talent se réclamaient du mouvement de la «négritude», néologisme crée par Aimé Césaire et dont lui et Léopold Sédar Senghor furent les principaux leaders. On peut dire que la «négritude» était un mouvement politico littéraire issu à la fois du surréalisme, du nationalisme noir culturel et politique, par exemple du «mouvement de la renaissance noire» des années 20 et 30 à Harlem, le quartier noir de New York, d’une remémoration de l’Afrique, de la traite et de l’esclavage. Il fut aussi un cri de protestation contre le racisme et le colonialisme avec ici et là quelques références au marxisme. Tous ces aspects entremêlés apparaissent dans les ouvrages des uns et des autres sous une esthétique littéraire et poétique travaillée par ces auteurs de culture française parvenus tous à une grande maîtrise de la langue qu’ils ont su modeler à leur manière. Mais il y avait aussi une politique.
UN CONGRES A FORTE CONNOTATION POLITIQUE
Malgré l’intitulé du congrès, son caractère politique était plus qu’évident. Et ce pour la bonne raison que si ses participants étaient des personnalités et notables noirs déjà connus de par leurs écrits littéraires, ils étaient aussi des personnalités du monde politique. Un certain nombre d’entre eux étaient membres, sympathisants ou proches des partis communistes liés alors à Moscou comme l’étaient du reste une grande partie des intellectuels de cette époque dans le monde. Césaire lui, jusqu’en 1956, et R.Wright avaient été membres de leurs partis communistes respectifs. Certains aussi avaient déjà des mandats politiques. D’autre part, le congrès se situait en pleine période d’une décolonisation douloureuse. Deux ans avant, ce qu’on appelait alors l’Indochine, le Vietnam aujourd’hui, avait conquis son indépendance au Nord à l’issue d’une longue guerre contre la France. La victoire décisive des troupes Vietminh à Dien Bien Phu contre l’armée française ne datait que de deux ans. La guerre d’Algérie faisait rage opposant troupes françaises aux troupes du FLN (Front de libération nationale) algérien. Frantz Fanon était un des membres de la direction du FLN chargé de missions extérieures. En Afrique noire, les élites et cadres noirs utilisaient le mécontentement des masses pour préparer avec les gouvernements français une forme de décolonisation plus ou moins douce préservant l’essentiel des intérêts impérialistes français. Mais cela n’empêchait pas périodiquement les heurts et manifestations sanglantes opposant les masses africaines aux soldats français dans tel ou tel pays du pré carré africain français. Aux Antilles, des groupes autonomistes et indépendantistes commençaient à apparaître sur fond de misère, et de mécontentement. Là les fédérations «départementales» du PCF, fortes et bien implantées dans la classe ouvrière impulsaient des luttes. Aux USA, la discrimination raciale commençait de révolter une grande partie des masses noires et le mouvement des droits civiques de Martin Luther King ralliait des milliers de Noirs. En Haïti, des groupes, parfois armés, et un certain nombre d’intellectuels tentaient déjà de s’organiser contre la dictature que François Duvalier allait renforcer à sa prise du pouvoir en 1957. Et les prisons commençaient de se remplir d’opposants dont bon nombre furent torturés ou massacrés. Parmi eux, plusieurs furent à l’époque militants ou proches du PCUH (Parti communiste unifié d’Haïti).
UN ENVIRONNEMENT MARQUÉ PAR LE STALINISME
Il n’est pas étonnant que dans un tel contexte les leaders noirs réunis à ce congrès aient pu susciter un grand espoir au sein d’une partie de la jeunesse de ces pays coloniaux.
Ils suscitaient d’autant plus d’espoir que le mouvement communiste international auquel ils étaient peu ou prou liés pendant des années le suscitait aussi. Les partis communistes regroupaient des millions d’adhérents de par le monde toujours en 1956. L’onde de choc de la révolution d’octobre avait été si puissante qu’elle suscitait encore la contagion idéologique. Et cela en dépit du stalinisme qui trompait les masses en URSS et dans le monde car il n’avait plus rien à voir avec les principes qui avaient guidé la révolution d’octobre dirigée par Lénine et Trotsky et par la classe ouvrière autonome et armée. Mais pendant longtemps encore, ceux qui voulaient se battre contre l’exploitation capitaliste, contre le colonialisme et le racisme se tournaient vers les PC, vers Moscou. Inversement, l’URSS ouvrait largement ses bras à tous ceux sur qui de près ou de loin, elle pouvait s’appuyer pour illustrer sa propagande contre le bloc capitaliste dirigé par les USA. Dans la guerre froide que lui imposait l’impérialisme, l’URSS ne cherchait nullement à engager le fer contre les puissances impérialiste. Elle avait juste besoin d’alliés pour défendre, soutenir et exalter le régime stalinien de l’URSS et s’en servir pour illusionner les travailleurs du monde entier. Et en URSS pour illusionner et opprimer ces mêmes travailleurs. C’est la raison pour laquelle l’URSS de Staline a beaucoup flatté les intellectuels du monde entier et donc aussi cette élite intellectuelle noire dont elle percevait bien le parti qu’elle pouvait en tirer. En même temps qu’elle se prévalait de l’alliance de ces intellectuels, la politique stalinienne l’utilisait pour chloroformer, tromper les travailleurs des «partis frères» ou influencés par eux.
DE L’ART VERS QUELLE POLITIQUE ?
Ces Noirs, étant parvenus pour beaucoup au sommet de brillants cursus universitaires, agrégés, médecins, historiens, philosophes, écrivains ou artistes, reconnus par leurs pairs français comme André Breton ou Jean Paul Sartre et d’autres, s’étaient donc forgés une notoriété mondiale et singulièrement parmi une fraction des Noirs. La porte était donc ouverte à ceux qui entendaient utiliser cette notoriété pour entamer et parfaire une carrière politique. Les gouvernements français y virent parfois une bonne aubaine pour faire de certains d’entre eux des auxiliaires de leur politique de décolonisation puis de ce qu’on a appelé «le néo colonialisme».
Léopold Sédar Senghor, plusieurs fois ministre français fut aussi le premier président de la république du Sénégal. De fait, le chantre de la négritude et de la promotion des peuples noirs fut aussi l’auxiliaire en chef de la politique impérialiste au Sénégal et par là même en Afrique. Il n’hésita pas à emprisonner des opposants comme par exemple Blondin Diop, jeune militant d’extrême gauche mort en prison en 1968. Et ce n’est qu’un exemple de la politique du «poète».
Aimé Césaire fut tout au long de sa vie député maire de Fort de France, siégeant la plupart du temps aux côtés du Parti socialiste français, parti de gouvernement complice voire acteur de bien des forfaitures coloniales. Et si Césaire dénonça le colonialisme et ses horreurs, si son action avec d’autres, appuyée sur des mouvements de masse a permis de gommer bien des discriminations en Martinique et en Guadeloupe, de relever le niveau de vie de la population, on l’a rarement entendu critiquer la politique du Parti socialiste français et ses dirigeants. Bien d’autres, des artistes et écrivains du congrès de 1956 devinrent ministres dans leurs pays, délégués à l’ONU ; ou notables dans nombre d’institutions nationales ou internationales.
Sur le plan politique ce premier congrès des artistes et écrivains noirs permit que soient dénoncés le colonialisme et le racisme. Il contribua à faire connaître ces artistes et écrivains politiques noirs. Mais il était aussi le début d’un processus qui allait permettre la mise en place, la reconnaissance officielle d’une palette de nouveaux notables noirs. Ces derniers se posèrent en une sorte de classe politico intellectuelle au-dessus des masses noires, s’appuyant sur elles parfois comme tremplin de carrière, les opprimant parfois directement. A plus forte raison n’ont-ils jamais eu de politique ou de vision réelle pour la libération des masses noires opprimées et pauvres. Ce sont ces dernières qui trouveront par elles mêmes les voies de leur propre émancipation du joug de l’impérialisme dont l’oppression raciale est une des nombreuses conséquences.