En accédant à ses nouvelles fonctions au diocèse de Lyon, le cardinal Barbarin s'était étonné de l'anachronisme. A l'hôtel de ville, le successeur de Raymond Barre, le socialiste Gérard Collomb, n'en avait pas fait autant de cas. Vendredi 8 septembre, comme chaque année ou presque depuis trois siècles, la Mairie de Lyon au grand complet devrait prendre le chemin de la pieuse colline de Fourvière pour participer à un cérémonial religieux, destiné, à l'origine, à placer Lyon sous la protection de la Vierge !
Au premier rang de la basilique de Fourvière, les élus de l'agglomération devraient se presser pour "ouïr" la messe donnée par le cardinal Barbarin et assister à la bénédiction de la ville. Parmi les fidèles, les centristes Michel Mercier et Anne-Marie Comparini, mais aussi le député et maire communiste de Vénissieux, qui, malgré les critiques de ses camarades, a décidé d'assumer publiquement "(son) héritage chrétien". Et, bien sûr, Dominique Perben, le ministre des transports et rival UMP de Gérard Collomb pour les prochaines élections municipales, qui, depuis l'annonce de sa candidature, n'a pas manqué une cérémonie. Aucun des plus fervents défenseurs de la laïcité ne s'en étonnera. La cérémonie du "voeu des échevins" est aussi ancrée à Lyon que le 14-Juillet en France.
Cette étrange communion des autorités civiles et religieuses lyonnaises remonte, selon les historiens, à l'année 1643, quand une épidémie de peste s'était abattue sur l'ex-capitale des Gaules, faisant des dizaines de milliers de victimes. Le 12 mars, réunis autour de leur prévôt, Alexandre Mascary - l'équivalent du maire -, à l'hôtel de la Couronne, la "maison de ville", les échevins (adjoints) décidèrent d'avoir recours à la Vierge Marie.
Ils s'engagèrent à lui élever deux statues et firent le voeu, pour eux et leurs successeurs, d'aller "toutes les fêtes de la nativité, le 8 septembre, sans robe, avec leurs habits habituels en la chapelle de Fourvière pour ouïr la messe, y faire les prières et les dévotions à ladite Vierge et lui offrir la quantité de sept livres de cire blanche en cierges et flambeaux et un écu d'or pour la disposer à recevoir en sa protection particulière la ville de Lyon". La peste fut éradiquée de Lyon, alors qu'elle sévissait toujours à Marseille. Miracle ?
Le rituel n'a été suspendu que lors de la période révolutionnaire. L'imprévisible Raymond Barre, maire (app. UDF) de 1995 à 2001, pourtant fort croyant, commit, la première année de son mandat, l'impair de déléguer son premier adjoint, Christian Philip, un protestant ! Réalisant l'ampleur de sa bourde, l'ancien premier ministre se rattrapa les années suivantes par une présence assidue. On raconte même qu'il offrit un écu en or, d'une valeur de 500 euros...
Son successeur, Gérard Collomb, a fait mieux. Alors que les maires avaient pris l'habitude de remettre chaque 8 septembre au cardinal le même écu enfermé toute l'année dans les coffres-forts de la basilique, le sénateur socialiste fait désormais frapper chaque année un nouvel écu.
"Pour moi, plaide Gérard Collomb, c'est une façon de marquer mon respect vis-à-vis des catholiques de la ville, de la même manière que j'irai à la cérémonie du Yom Kippour et à celle de la rupture du jeûne du ramadan. Ma conception de la laïcité est de traiter toutes les religions sur le même plan, avec une égale considération. C'est ce respect mutuel qui nous a permis de créer à Lyon un groupe, Concorde et solidarité, qui rassemble toutes les autorités religieuses. Cela fait que, dans des moments de tension entre communautés, ces autorités parlent d'une même voix. Pour ma part, j'invite régulièrement les différentes communautés religieuses à dîner à l'hôtel de ville. De même, dans un esprit de tolérance réciproque pour les laïques, j'avais participé aux célébrations de la franc-maçonnerie."
A 18 h 35, le 8 septembre, un coup de canon tiré des jardins jouxtant la basilique devrait annoncer aux Lyonnais la fin de la cérémonie de bénédiction.
Sophie Landrant
Décidemment ce cher guerin n'en rate pas une !