Éditorial Informations Ouvrières N°749 du mercredi 28 juin 2006
Qui a donné le pouvoir aux marchés ? Qui le leur retirera ?
EADS, Arcelor-Mittal, fusion GDF-Suez : le rythme du démantèlement de l’industrie nationale s’emballe.
En cinq mois de spéculation, les actionnaires d’Arcelor ont gagné plus de profits que dans les deux années qui ont précédé. « La victoire des marchés marque la défaite des politiques », souligne le quotidien du capital financier Les Echos. Soit. A condition de préciser : les « politiques » avaient en fait rendu les armes sans combat avant même la première escarmouche.
Le scénario est connu. Il y avait naguère dans ce pays une industrie puissante. Des entreprises nationalisées, notamment dans la production de l’acier et l’aérospatiale, ont été privatisées, puis « incorporées » dans des trusts prétendument européens. Airbus, puis EADS, Arcelor, c’était, nous disait-on, le prix à payer pour disposer d’entreprises capables de faire face aux concurrents nord-américains.
La suite ? La « concurrence libre et non faussée » instituée par le traité de Maastricht a permis la pénétration grandissante du capital de ces groupes par les fonds de pension nord-américains. Le traité de Maastricht a interdit toute forme d’intervention de l’Etat. L’heure serait-elle arrivée aujourd’hui du coup de grâce ? Arcelor absorbé par Mittal, EADS sous les coups de boutoir dislocateurs venus d’Outre-Atlantique : ces fleurons de naguère de l’industrie nationale seraient-ils condamnés à n’être plus que lointain souvenir ? Avec eux, des dizaines de milliers d’emplois devraient disparaître, s’ajoutant aux dizaines de milliers déjà liquidés ?
Et il faudrait assister passivement à cette « victoire des marchés sur les politiques » ? Et tout aussi passivement voir se répéter le même scénario pour la fusion annoncée de GDF-Suez ? Ou encore pour la liquidation des 400 000 hectares de vigne condamnés par la Commission de Bruxelles ?
Cette spirale désastreuse va-t-elle emporter tout le pays, son économie, la force productive de ses ouvriers, de ses paysans, ses conquêtes sociales, ses conquêtes démocratiques ?
Il n’y a à cela aucune obligation. Si « les marchés gouvernent », c’est à des « politiques » qu’ils le doivent, à ces responsables qui, au gouvernement, et quelle que soit leur couleur politique, se sont soumis aux exigences des traités européens. Ce sont ces « politiques » qui ont abdiqué du pouvoir de gouverner pour le transmettre aux « marchés », lesquels ne reconnaissent au bout du compte, comme seul gouvernement, que celui du capitalisme le plus puissant, celui des Etats-Unis.
L’heure n’est-elle pas venue d’arracher le pouvoir « aux marchés » ? L’heure n’est-elle pas venue de le redonner à un gouvernement investi par le peuple et mandaté par lui ? Un tel gouvernement pourrait conjurer la catastrophe qui menace d’engloutir le pays en prenant les mesures d’urgence qui s’imposent, comme la renationalisation de EADS, de la sidérurgie et d’EDF-GDF, et l’interdiction des licenciements.
Cela ne se fera pas sans rupture — rupture avec l’Union européenne, rupture avec les institutions de la Ve République — et sans élection d’une Assemblée constituante souveraine.
Telle est la position du Parti des travailleurs. On peut ne pas la partager. Mais qui peut prétendre qu’il soit possible d’instaurer une autre politique sans arracher « aux marchés » le pouvoir de gouverner que l’Europe de Maastricht leur a confié ?
Qui peut prétendre reconquérir la démocratie sans s’engager dans cette voie ?
Daniel Gluckstein