Fadela Amara

Message par Louis » 11 Mars 2003, 22:23

Issue d'une famille de dix enfants, Fadela Amara est née à Clermont-Ferrand en 1964, de parents algériens. En 1983, elle participe à la Marche des Beurs et milite à SOS Racisme à partir de 1986. En 2000, elle est élue présidente de la Fédération nationale des maisons des potes (FNMP).

Dans la jungle, les gazelles se font toujours bouffer par les lions. Pourquoi la jungle ? Partout en France et pas seulement dans les grandes villes, de nombreux quartiers sont devenus des ghettos. Ghettos d'abord parce qu'ils concentrent les familles les plus en difficulté. Ghettos surtout parce que la violence qui y règne est d'abord tournée contre soi-même, contre les rares services publics qui y sont encore, contre les habitants, contre les militants progressistes. Ghettos enfin parce que les droits les plus élémentaires n'y sont plus respectés. Dès lors, c'est la logique d'enfermement qui surdétermine les rapports sociaux.
On s'enferme chez soi à double tour. Les relations entre familles, entre générations, entre les adolescents eux-mêmes ne s'effectuent plus que sur le mode conflictuel. Les rapports que le quartier entretient avec l'extérieur, le centre-ville, les autres quartiers, les commerçants, les pompiers ou les médecins de nuit sont de plus en plus tendus. On fonctionne en vase clos, on a le sentiment que tout ce qui vient du dehors est une intrusion insupportable.
Les femmes sont les principales victimes de cette dérive. L'une des manifestations du ghetto est le retour en force des formes d'organisation sociales traditionnelles fondées sur le machisme et le patriarcat, la ségrégation, l'agressivité et le mépris, la misère sexuelle et les tabous, la force comme seule source d'autorité. Dans ce contexte, les filles deviennent des signes extérieurs de richesse, un enjeu de pouvoir et une propriété exclusive. Celles qui ont cru pouvoir vivre en femmes émancipées et libres sont taxées de putes, celles qui veulent rester conformes au modèle de la fille de bonne famille sont traitées comme des servantes. Placées devant cette alternative impossible, la plupart n'ont d'autre choix que le mensonge : fumer en cachette, rencontrer son mec dans un formule 1, faire l'amour à l'arrière des bagnoles, ou tout simplement aller au cinéma entre copines. Autant dire que les filles des quartiers ont vécu le débat sur la parité d'aussi loin que les soldes chez Hermès.

Dégradation

Le plus surprenant finalement, c'est le mutisme qui entoure la dégradation des conditions de vie et des rapports sociaux. Semaine après semaine, les médias nous bombardent de reportages et d'enquêtes sur l'insécurité. Y traite-t-on des femmes ? Jamais, si ce n'est sous l'angle sensationnel des tournantes ! Et que dire de l'absence des institutions chargées de la condition des femmes. Cela ne veut nullement dire que sur le terrain, acteurs, militants ou fonctionnaires ignorent la difficulté d'être femme et la nécessité de dénoncer les violences, les pratiques discriminatoires ou la précarité économique. Mais cette question n'est jamais abordée frontalement. Tout se passe comme s'il fallait s'excuser d'aborder la condition des femmes en noyant ces questions dans les problèmes sociaux plus larges, quitte à occulter une grande partie des problèmes. Si les violences sexuelles à l'école ou sur les discriminations raciales à l'emploi sont parfois dénoncées, ces belles paroles restent incantatoires et n'ont aucune portée concrète, faute de mise en place de structures et de mesures appropriées. C'est particulièrement vrai sur la précarité dont sont victimes des femmes dans le monde du travail. Voilà plus de vingt ans que les lois sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ont été votées. Pourtant, malgré les circulaires, les conventions et les lois, il n'existe pas véritablement de dispositif permettant de sanctionner ces inégalités de traitement.

Emancipation

Pour les femmes des quartiers, la différence entre les droits formels et les droits réels est encore plus forte. Il leur faut donc se réapproprier la parole, témoigner et agir. A mille lieux des discours misérabilistes, il s'agit de donner aux femmes la possibilité de s'affirmer en participant à des actions collectives. Elles joueront ainsi un rôle important dans le changement de leur quartier, dans la reconstruction d'un nouveau lien social, ce qui ne peut que renforcer leur propre émancipation. Car le silence et l'isolement sont les principales sources d'oppression. Faire face seule à des pressions psychologiques, familiales ou communautaires, se battre individuellement contre les préjugés et l'ignorance relève de l'impossible. Parce qu'elles sont souvent issues de l'immigration, les femmes des quartiers portent le poids d'une culture qui va parfois à l'encontre de leurs droits les plus élémentaires tels qu'ils sont formalisés dans notre pays.
Pourtant, toujours sans rejeter leurs origines et leur culture, un certain nombre d'entre elles sont investies dans des associations et agissent. Il faut donc que le combat de cette nouvelle génération, qui émerge peu à peu et de manière un peu disparate, redonne un souffle à de nouveaux combats féministes et ainsi offre de nouvelles relations sociales dans les quartiers. La Fédération nationale des maisons des potes leur donne la parole. En janvier 2002, les états-généraux des femmes des quartiers ont rassemblé plus de 250 femmes à la Sorbonne. A l'issue de ces états-généraux, la FNMP a lancé sa pétition "Ni putes ni soumises" et le manifeste de revendications des femmes des quartiers. Elle a mobilisé tout son réseau et a créée des commissions "femmes" dans chaque structure affiliée. Au-delà de la réussite de cette campagne qui a permis de déplacer le débat sur la place publique, l'idée de la Marche des femmes contre les ghettos et pour l'égalité s'est imposée d'elle-même. Depuis le 1er février, jour du départ de la marche à Vitry, lieu symbolique, afin de rendre hommage à Sohane (1), nous avons sillonné la France pour dénoncer les conditions de vie des femmes et des jeunes filles des cités. La marche se veut être un mouvement mixte parce que nous considérons que les mecs, eux-mêmes victimes du ghetto sans le vouloir, sont devenus des outils d'oppression de leurs soeurs. Parce que la mort de Sohane ne peut être traitée comme un triste fait divers, parce qu'il y a beaucoup de Sohane en puissance dans les quartiers, rendons-nous tous et toutes à la manifestation nationale le samedi 8 mars à 14 heures, place de la République.

Fadela Amara

1. Sohane avait 17 ans. Elle a été brulée vive par un jeune voisin.

Rouge 2007 06/03/2003
Louis
 
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Message par Screw » 11 Mars 2003, 23:01

C'est tout de même inhabituel: lutter dans les medias et les ministères pour faire évoluer les mentalités dans les quartiers!
Screw
 
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Message par stef » 11 Mars 2003, 23:05

:D :D :D :D :D :D :D :D :D :D :D :D :D :D
As tu vu le coup des "points de dialogues" annoncés par Raffarin et localisés... dans les commissariats !
stef
 
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