Les lycéens, article de l’Huma

Message par lenzo » 17 Juin 2005, 21:58

L’Huma du 16 juin :
a écrit :« Les lycéens ne sont pas violents »Thierry Lefebvre, historien, décortique la mise sous tension d’un mouvement victime de la répression.
Maître de conférences à l’université Paris-7, Thierry Lefebvre est historien des sciences et des médias. En 2003, suite au mouvement contre la réforme des retraites, il décide de s’intéresser à toutes ces mobilisations dites alternatives, signes de malaises profonds et fruits de minorités actives à la recherche de modes d’action nouveaux ou renouvelés. Réseau des bahuts, intermittents, antipub... l’historien multiplie les champs d’étude, avant de s’intéresser, dès janvier, au mouvement lycéen, à travers l’action de la Coordination lycéenne.

Le mouvement lycéen s’est construit en deux temps : les manifestations d’abord, puis les occupations. Comment l’expliquez-vous ?

Thierry Lefebvre. Le repère intéressant est la date du 8 mars. Avant, le schéma est assez classique : des manifestations plus ou moins spontanées qui se généralisent et enflent, jusqu’à rassembler 200 000 personnes. Puis il y a ce fameux défilé parisien du 8 mars, au cours duquel ceux que l’on a appelés des « casseurs » s’en prennent très violemment aux manifestants. Avec une telle ampleur, cela ne s’était jamais vu. Je pense que les syndicats classiques, FIDL et UNL ont eu peur de ne plus maîtriser les événements, de ne pas être en mesure d’assurer le service d’ordre. Ils se retirent peu à peu de la coordination. Très vite, des assemblées générales se réunissent, où l’on réfléchit à la façon de poursuivre l’action dans un tel contexte. Une coordination nationale se déroule le 12 mars et appelle à des blocages de lycées et des actions d’éclat, comme des occupations symboliques de lieux publics.

La colère de ne pas être entendu n’explique-t-elle pas aussi ce changement de  stratégie ?

Thierry Lefebvre. Bien sûr. À l’instar des intermittents en 2003, les lycéens vont éprouver le besoin de renouveler les formes d’action, quand ils jugent que les manifestations manquent d’efficacité. Mais le 8 mars demeure un élément déclencheur majeur et explique, en outre, que ces actions aient été si bien suivies.

Les premiers heurts avec la police commencent peu après. Que se passe-t-il ?


Thierry Lefebvre. Le 15 mars, les premiers - blocages de lycées démarrent à Nanterre, Aix-en-Provence, Talence... À partir du 21 mars, ils se multiplient, avec des occupations de - lycées parisiens prestigieux. Ils deviennent massifs et surtout médiatiques. Le pouvoir marque son intransigeance. On se rappelle la formule de François Fillon qui disait en substance : « À chaque occupation, je ferai intervenir la police. » Le SNPDEN, syndicat des chefs d’établissement, réagit nerveusement, définit les lycéens en lutte comme une minorité d’agités et tient à leur égard des propos extrêmement durs.

Peut-on parler de répression politique ?

Thierry Lefebvre. Oui, mais on ne peut pas la généraliser. Dans beaucoup d’endroits, les choses se passent très bien entre les profs, l’administration et les élèves. Mais parfois les échanges se durcissent. Beaucoup de jeunes expriment le besoin d’une activité politique au sein des lycées et on la leur refuse. Ce phénomène, au passage, dépasse le cadre du mouvement et met peu à peu en péril la citoyenneté. Par ailleurs, les jeunes mobilisés se font régulièrement qualifier de trotskistes, d’anarchistes... Le dénigrement est donc bien politique. Comme si, dans une démocratie, être d’extrême gauche était répréhensible.

Et peut-on parler de violences policières ?

Thierry Lefebvre. On les constate très rapidement lors des opérations de déblocages de lycées. À Paris, les élèves de Montaigne, de Balzac ou de Victor-Hugo se font sortir de façon extrêmement musclée. On assiste à des tabassages en règle. Le 24 mars, un sit-in devant le Sénat se fait déloger très brutalement. Les jeunes se font frapper, tirer les cheveux... Et il y a bien sûr la répression de la manifestation lilloise, le 7 avril, restée dans toutes les mémoires.

Les lycéens ne franchissent-ils pas eux également les limites ?

Thierry Lefebvre. Concernant la Coordination nationale et ses principaux animateurs, je puis vous assurer qu’ils ne sont pas violents. On constate, en revanche, avec le pourrissement de la situation, l’arrivée, mi-avril, de quelques éléments autonomes. Au cours de manifestations, ils lancent des cannettes, des bouteilles, sur les forces de l’ordre. Mais il s’agit là d’une poignée de personnes, parfaitement repérables et qui, d’ailleurs, n’ont jamais été ennuyées.

Au final, cette répression vise-t-elle singulièrement les jeunes ?

Thierry Lefebvre. Elle est dans l’air du temps. Un exemple : il y a peu, des chômeurs entrés dans le théâtre Hébertot afin de revendiquer l’accès à la culture ont fait 24 heures de garde à vue. Pourtant, ce type d’initiative, à l’instar de l’occupation de l’annexe du ministère ou de l’inspection académique de Bobigny, n’a pas pour finalité de nuire. Elles se veulent avant tout symboliques. Il y a deux façons d’y répondre : soit on envoie un médiateur et on discute. Généralement, c’est ce que les gens attendent et ils ressortent tranquillement au bout de quelque temps. Soit on envoie ipso facto les forces de répression. Alors, évidemment, ça peut chauffer.
Entretien réalisé par M.-N. B.

lenzo
 
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