a écrit :
Ne vous abstenez pas !
POUR une fois, la presse a remarqué l'événement : dans les rues de Paris, samedi dernier, 15 000 manifestants ont répondu à l'appel du Comité national pour la victoire du vote non à la Constitution européenne. Plusieurs journalistes ont même, à cette occasion, parlé de " succès ".
C'est vrai, ce fut un succès. Beaucoup d'observateurs en ont été apparemment surpris. Un journaliste posa même la question : " Donc, pour vous, les jeux ne sont pas faits ? "
Etrange conception de la démocratie. Un référendum doit être convoqué pour que le peuple se prononce… et avant même que la campagne soit engagée… on s'étonne que les jeux ne soient pas faits !
Eh bien, nous le répétons ici : les jeux ne sont pas faits, tout se concentre dans la mobilisation pour la victoire du vote non !
Certes, le camp du oui est fortement représenté dans l'alliance Chirac-Hollande. Mais cela suffira-t-il à emporter l'adhésion d'une majorité ? On peut en douter. Travailleurs des villes et des campagnes, chômeurs, retraités, jeunes, mères de famille, qui, tous ensemble, constituent l'immense majorité du peuple, ne pourraient-ils pas exprimer à travers le vote non le rejet de la politique destructrice de l'Union européenne et de sa prétendue Constitution ?
Oui, cela est possible, à une condition : le vote non.
Précisons : le vote non, et pas l'abstention !
La confédération syndicale CGT réunit son comité confédéral national (CCN) début février, avec pour thème : la Constitution européenne. Dans le document préparatoire à ce CCN (1), on peut lire : " Les enjeux sont importants. Mais quelle que soit l'issue des consultations des peuples d'Europe sur le projet de traité constitutionnel (…), le mouvement syndical aura toujours, en tout état de cause, à défendre les intérêts de tous les salariés. " Certes, certes… Mais est-il indifférent (" quelle que soit l'issue ") que ce soit le oui ou le non ?
Poursuivons. " Indépendamment du devenir du traité constitutionnel, des dizaines d'autres textes, directives ou règlements (…), sont actuellement en discussion et pourraient être mis en œuvre. " Indépendamment du traité constitutionnel ? Mais la " Constitution " européenne, c'est un recueil de procédures et de mécanismes institutionnels, qui ont tous pour fonction de démanteler les droits ouvriers et les conquêtes sociales. Un exemple : l'article I-3 stipule : " L'Union offre à ses citoyennes et ses citoyens un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée. " Si le non l'emporte, cet article, qui rend obligatoire la privatisation des services publics, sera balayé ! Donc, ce n'est pas " indépendamment " de la " Constitution " européenne que l'on combat. Si l'on est contre les privatisations et pour la défense des services publics, cela passe par la victoire du vote non, et rien d'autre.
" Au-delà du résultat du vote des citoyens ", lit-on encore dans le projet de la CGT, qui précise que " la CGT ne s'arrête pas à cette échéance ". Certes. Mais les travailleurs ne peuvent considérer cette " Constitution " avec autant d'indifférence, puisqu'elle est une arme pour détruire tous leurs droits, toutes leurs garanties, toutes les formes de la démocratie politique.
Voudrait-on par la sorte pousser les électeurs - et tout particulièrement les travailleurs - à considérer comme secondaire le référendum ? Voudrait-on les pousser à s'abstenir ?
Mais à qui et à quoi servirait cette abstention programmée ? Le projet de la CGT se conclut par un appel à se mobiliser en masse pour " le succès de la manifestation du 19 mars à Bruxelles ". Mais cette manifestation (lire page 8) est organisée par la Confédération européenne des syndicats (CES). Et cette CES fait campagne pour le oui à la " Constitution " européenne ! Et le président de cette CES, John Monks, a rencontré Jacques Chirac vendredi dernier, et déclaré qu'ils ont ensemble décidé " que l'avancée de l'Europe sociale devrait être placée au cœur des débats pour garantir des résultats positifs dans les divers référendums qui doivent se tenir ".
Le démantèlement de la Sécurité sociale avec la loi Douste-Blazy, la privatisation d'EDF-GDF et de La Poste, les fermetures en masse de services dans les hôpitaux, les maternités…, c'est cela, " l'avancée de l'Europe sociale " pour laquelle il faudrait manifester le 19 mars ?
Et c'est cette politique sur laquelle il serait indifférent de s'abstenir lors du référendum ?
Certainement pas !
Forts du succès de la manifestation du 22 janvier et du serment qui y a été adopté (lire page 16), nous disons : travailleurs, vous ne vous abstiendrez pas. Vous organiserez, nous organiserons " dans chaque ville, dans chaque village, dans chaque quartier " la mobilisation pour utiliser l'arme démocratique du suffrage universel pour sauver la démocratie menacée.
Nous voterons non. Nous ferons voter non.
(1) " Projet de contribution CGT au débat public sur les enjeux européens, et particulièrement sur le projet de traité constitutionnel pour l'Europe. "
Daniel Gluckstein