RESPU 323
ReSPUBLICA_N_323.doc
a écrit :La place du PCF et son avenir dans la vie politique et intellectuelle
française
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Entretien avec André Gerin, député, maire de Vénissieux
samedi 15 janvier 2005
André Gerin, député (PCF, Rhône), maire de Vénissieux, a entamé en
2002 son troisième mandat parlementaire. Notamment impliqué dans les
questions d'intégration et de politique de la ville, il s'exprime ici
sur l'avenir de son parti. Entretien réalisé par Marc-Émile
Tournemire.
Revue républicaine. Depuis 1994, les dirigeants du PCF nous assurent
que le parti est en mutation, qu'il incarne l'alternative, que le
redressement n'est pas loin. Malgré le coup de massue de 2002, les
régionales ont été l'occasion de renouer avec ce discours. Dans le
même temps, l'extrême gauche et les Verts tiennent le haut du pavé
médiatique et semblent donner le « la ». Que vous inspire cette
situation ?
André Gerin - L'idée de mutation du PCF ne me gène pas en soi, au
contraire. Encore faut-il savoir de quoi on parle. La mutation
engagée en 1994 était une mutation réformiste marquée par un
alignement sur la social démocratie, faisant, au fond, acte
d'allégeance au libéralisme. Cette politique, que l'on a vue à
l'ouvre de 1997 à 2001, a conduit à l'échec. A l'occasion des
régionales, un sursaut s'est opéré. Dans certaines régions, le PCF
est reparti à la bataille sous ses propres couleurs, revendiquant ses
racines, sa culture et son histoire, non pas sous une forme
conservatrice mais dans ce qu'on pourrait appeler une mutation
révolutionnaire. Quant à l'extrême gauche et les Verts, je ne sais
pas s'ils tiennent le haut du pavé médiatique mais s'ils semblent
donner le « la », comme vous dites, c'est bien parce que le PCF
n'occupe pas tout l'espace qu'il devrait occuper.
R.R. - Certains de vos camarades appellent à la constitution d'un
pôle radical avec les alternatifs, les trotskistes et autres
altermondialistes. Hors ce pôle, point de salut pour les communistes ?
A.G. - Pourquoi se limiter aux forces que vous citez ? Le
rassemblement s'opère en fonction d'objectifs concrets d'action. Il
est clair qu'en France aujourd'hui on ne mobilise pas les mêmes
forces sur la question de la laïcité, par exemple - où l'on peut se
retrouver côte à côte avec des gens de droite - et dans le combat
contre le capitalisme. Cela étant, votre question appelle une
deuxième remarque : la notion de pôle a quelque chose de corsetant.
Or à mon sens, un rassemblement ne peut être efficace que si chaque
force qui le compose préserve son identité et son champ d'action
propre.
R.R. - Vous plaidez pour une réactivation de la composante
révolutionnaire du communisme et en appelez aux utopistes.
L'attachement au terme « communisme », associé dans les esprits au
désastre des démocraties populaires et aux crimes de masse du
stalinisme et de ses dérivés, ne voue-t-il pas vos efforts à l'échec ?
A.G. - Les seuls qui puissent répondre à cette question sont les
communistes eux-mêmes. Il y a effectivement au sein du PCF des
adhérents qui pensent que le poids de l'histoire est tel qu'il faut
renoncer au communisme et, par exemple, se fondre dans un pôle tel
que vous l'évoquiez dans votre précédente question. Mais il y en a
beaucoup d'autres qui estiment que la composante communiste forte de
son histoire, de sa culture, de son expérience - et donc, y compris,
de ses échecs - est indispensable pour ancrer le combat contre le
libéralisme dans une optique réellement révolutionnaire et probante.
Cette question est en débat chez les communistes. C'est une bonne
chose. Je suis pour que ce débat se déroule de façon sereine, sans
drame. Et pour ma part, j'espère et je suis convaincu que les valeurs
communistes en sortiront confortées et actualisées.
R.R. - La campagne présidentielle de 2002 a marqué l'acmé du débat
sur l'héritage de 68. Les uns ont vitupéré « la haine de Mai », les
autres ont dénoncé « les maîtres censeurs ». Dans cette polémique
toujours d'actualité, on n'a guère entendu les communistes, sauf ceux
ralliés à Jean-Pierre Chevènement ou encore le polémiste se réclamant
du marxisme Alain Soral. Quelle est votre opinion sur le legs de Mai-
68 ?
A.G. - Mai-1968, dont il faut garder en mémoire la portée mondiale, a
vu émerger de nouvelles aspirations, notamment la revendication des
individus à plus d'autonomie, à une maîtrise plus grande de leurs
conditions de vie. Il est vrai que le PCF est passé à côté de ces
évolutions. Le patronat, en revanche, a su les exploiter pour diviser
les salariés en les enfermant dans l'individualisme et les plaçant
sous le charme de la société de consommation. Aujourd'hui, il existe
au courant jusqu'au sein du Parti socialiste pour liquider l'héritage
de 1968. Je pense que les communistes, qui, au long du XXe siècle,
ont si mal appréhendé les rapports entre l'individuel et le
collectif, négligeant le premier terme au profit du second, sont en
mesure aujourd'hui de porter ces valeurs d'un nouvel humanisme qui
revendique l'épanouissement de chacun dans le cadre d'un destin
collectif.
La Nation et l'Europe
R.R. - Jaurès disait : « Peu d'internationalisme éloigne de la
nation, beaucoup y ramène. » Avec l'inscription du volontarisme
industriel et du progrès social dans un projet national, le Parti
communiste a longtemps donné corps à cette idée. Comment expliquez-
vous le divorce du PCF avec l'idée de projet national et de
patriotisme ? Le parti ne s'est-il finalement pas pris les pieds dans
le tapis de l'idéologie progressiste ?
A.G. - Votre remarque n'est pas fausse encore que je ne parlerais pas
de l'idéologie progressiste mais plus simplement de l'union de la
gauche. Au nom de l'union de la gauche, dont nous avons fait un
véritable dogme, nous avons perdu le fil du combat pour la nation. Ce
combat demeure largement d'actualité. Ce qui ne veut pas dire que
l'union de la gauche ne le soit plus.
R.R. - Dans le débat sur le traité constitutionnel européen, les
partisans du « oui » rejoueront le coup de Maastricht, et
vitrioliseront « l'attelage hétéroclite des opposants ». Que leur
répondrez-vous ? Cela vous gêne-t-il de combattre aux côtés de
Nicolas Dupont-Aignan ou Philippe de Villiers ?
A.G. - Pour moi il est clair qu'il y a un « non » communiste au
projet de constitution européenne sur une base radicalement
anticapitaliste et qu'il y a un « non » républicain sur la base de la
défense de notre identité nationale.
La question sociale aux abonnés absents
R.R. - Les fonctionnaires sont sur-représentés dans l'électorat des
partis de gauche et dans les syndicats. Les ouvriers ont disparu des
discours de gauche, au profit des exclus, des fonctionnaires et des
cadres. Comment regagner la confiance des ouvriers et des petits
employés du secteur privé ?
A.G. - En étant sensible à leurs conditions de vie et de travail, en
les accompagnant dans leurs revendications, en ne leur promettant pas
la lune à la veille des échéances électorales mais en faisant un réel
effort pour construire un vrai projet communiste pour la France et le
partager avec eux.
R.R. - Les ouvriers et les employés ont tendance à fuir les centres
villes et la première couronne des villes pour gagner de lointaines
banlieues périurbaines, ce no man's land de la vie politique
française. Quelle réponse politique apporter à cette mutation
sociologique ?
A.G. - L'abstention et le vote FN posent un problème majeur à notre
démocratie. Je ne pense pas que ce soit l'éloignement des centres
villes ou une mutation sociologique qui en soit la cause mais plutôt
les politiques menées depuis plus de vingt ans qui ont conduit l'Etat
à déserter le terrain de ses missions les plus fondamentales : santé,
logement, etc.
Insécurité, intégration, laïcité : la République en question
R.R. - Votre discours sur l'insécurité et la toxicomanie refuse le
victimisme ou la démagogie. Ne vous sentez-vous pas isolé à gauche ?
Est-il encore possible de tenir un discours ferme sans passer pour un
extrémiste ?
A.G. - J'ai, certes, été longtemps isolé dans ma bataille pour la
tranquillité publique, contre les délinquances et plus récemment
contre les intégrismes et les racismes. Je le suis moins aujourd'hui
car quelques élections ont ramené aux réalités certains hommes de
gauche. Mais il est vrai que globalement la « classe politique »,
partis politiques en tête, ne mouille pas franchement la chemise sur
ces questions. Ce n'est certes pas pour moi une raison pour renoncer.
R.R. - Votre circonscription recouvre une partie des banlieues
populaires de Lyon, où la proportion d'immigrés et de jeunes Français
issus de l'immigration est importante. L'islam radical y trouve un
terrain propice à son développement. Comment, sur le terrain, contrer
le communautarisme, et promouvoir l'intégration et un islam à la
française ?
A.G. - En posant publiquement les problèmes, avec les intéressés eux-
mêmes, pour combattre les pseudo religieux qui pourrissent la vie de
nos quartiers et revendiquer des conditions d'exercice de la religion
musulmane digne d'un pays moderne. Il est important que les musulmans
eux-mêmes prennent leur part dans ces actions. C'est d'ailleurs ce
qui commence à se produire dans ma ville. Plus généralement, il faut
participer à toutes les batailles contre la misère, l'exclusion, le
chômage, sources bien souvent des replis communautaristes.
R.R. - Exhorter les autorités publiques à résoudre des problèmes
survenant dans l'espace public (notamment l'insécurité) ne saurait
s'accompagner de l'inaction des citoyens. En effet, la République est
d'abord l'implication des citoyens dans l'espace public. Comment dans
votre action municipale cherchez-vous à mettre en synergie l'action
publique et l'implication des citoyens ?
A.G. - Je suis bien d'accord avec l'idée que les citoyens sont
coresponsables des décisions qui les concernent. L'Etat, je l'ai dit,
a gravement failli dans ses missions. Ce n'est pas une raison pour
baisser les bras ou s'en tenir à une protestation de principe. Cela
étant l'implication des citoyens relève de l'action des partis
politiques, des syndicats, des associations. L'action municipale
n'est pas négligeable. A Vénissieux nous avons largement développé
les conseils de quartier avec élections des délégués de quartier,
mais cette forme d'implication ne couvre pas tout le champ de
l'intervention citoyenne, loin s'en faut.
R.R. - Pour finir, pourriez-vous nous dire ce que vous associez à la
République ?
A.G. - Pour moi la République, c'est le creuset culturel de la nation
française où se mêlent le siècle des Lumières, les avancées de la
Révolution française, les luttes sociales et politiques, les actions
contre le colonialisme, la Résistance. Il me semble que la bataille
majeure pour la République aujourd'hui, c'est de faire tomber les
bastilles de la finance pour instaurer jusque dans les entreprises -
domaine interdit de démocratie jusqu'à nos jours - une nouvelle
république autogestionnaire.
Recueilli par Marc-Emile Tournemire
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