Les juges de Juppé ont-ils violé la jurisprudence?

Message par faupatronim » 18 Jan 2005, 12:15

(Le Monde @ 17 janvier 2005 a écrit :Pour réduire son inéligibilité, les juges de M.  Juppé ont-ils violé la jurisprudence de la Cour de cassation  ?


La clémence de la cour d'appel ne garantit pas à Alain Juppé la possibilité d'un retour en politique dès 2006. Condamné à Versailles (Yvelines), le 1er décembre 2004, à une peine nettement inférieure à celle qui lui avait été infligée en première instance par le tribunal de Nanterre (Hauts-de-Seine) - 14 mois d'emprisonnement avec sursis et un an d'inéligibilité pour "prise illégale d'intérêts" -, l'ancien premier ministre semble, en effet, avoir bénéficié d'une flagrante erreur d'appréciation des magistrats, qui pourrait justifier l'annulation de la décision par la Cour de cassation.

Pour exonérer M. Juppé de l'inéligibilité automatique qui découlait de sa condamnation, la cour d'appel s'est, de fait, fondée sur une disposition du code pénal dont la haute juridiction proscrit catégoriquement, depuis 2001, l'utilisation en pareil cas.

Signalée par Le Canard enchaîné dans son numéro du 22 décembre, cette perspective n'a suscité aucun commentaire officiel depuis lors, mais c'est peu dire qu'elle suscite l'inquiétude de l'Elysée et de la chancellerie, où la défense de M. Juppé avait été préparée - et reste suivie - avec attention. Au lendemain de l'arrêt de Versailles, l'entourage du chef de l'Etat et celui du ministre de la justice avaient espéré que les sanctions mesurées ordonnées par la cour d'appel ne feraient l'objet d'aucune contestation, de sorte que le feuilleton judiciaire du financement du RPR s'achève enfin.

De fait, ni M. Juppé ni les trésoriers poursuivis n'ont formé de pourvoi en cassation, pas plus que le parquet général - qui avait pourtant requis, au procès, des peines plus sévères. La haute juridiction a cependant été discrètement saisie par l'ancienne intendante du RPR, Louise-Yvonne Casetta, condamnée à dix mois de prison avec sursis ; et l'imbroglio juridique créé par le sort réservé à M. Juppé pourrait inciter la chambre criminelle de la Cour de cassation à examiner l'ensemble de la décision, le cas échéant pour la remettre en cause.

Pour démêler l'écheveau juridique, le rappel des textes applicables au cas de M. Juppé s'impose. Reconnu coupable d'avoir tiré avantage - sinon organisé - un système par lequel des permanents du RPR étaient rémunérés sur les fonds de la Ville de Paris, M. Juppé encourait, en vertu de la loi du 19 janvier 1995 sur le financement des partis, cinq ans de radiation des listes électorales. Inscrite à l'article L7 du code électoral, cette clause entraînait, par combinaison avec l'article LO 130 du même code, l'incapacité à exercer toute fonction élective pour une période d'une durée double - soit dix ans.

Au terme du premier procès, le tribunal de Nanterre s'était estimé lié par la sévérité du législateur et avait imposé à l'ex-premier ministre cet enchaînement fatidique, dans son jugement du 30 janvier 2004.

Onze mois plus tard, la cour d'appel de Versailles, invoquant les au service de l'Etat" et l'absence d'enrichissement personnel, a considéré, à l'inverse, pouvoir l'en dispenser. Les magistrats se sont fondés, pour cela, sur l'article 132-21 du code pénal, qui dispose que "l'interdiction de tout ou partie des droits civiques (...) ne peut (...) résulter de plein droit d'une condamnation pénale" et autorise les juridictions à en exempter les condamnés lorsqu'elles le jugent nécessaire.

S'agissant de M. Juppé, ils ont donc écarté la peine automatique de dix ans d'inéligibilité, pour lui préférer une peine "complémentaire" dont ils pouvaient fixer librement le quantum, choisissant ainsi de ne lui imposer qu'une inéligibilité d'un an.

Pourtant, la contradiction des deux textes (code pénal contre code électoral) avait été tranchée par avance par la Cour de cassation dans le sens exactement inverse. Dans une décision datée du 1er mars 2001, relative à l'inscription contestée d'un élu sur les listes électorales à Dieppe (Seine-Maritime) après qu'il eut subi une condamnation pénale, la haute juridiction a affirmé que la sanction automatique prévue par la loi de 1995 devait primer sur le principe général énoncé par le code pénal, issu lui d'une loi de 1992, puisqu'elle a précisément été conçue pour y faire exception. De sorte que l'élu incriminé avait bel et bien été radié, malgré une décision contraire du tribunal d'instance de Dieppe.

"Les dispositions de l'article L7 du code électoral (...) dérogent au principe antérieurement posé par l'article 132-21 du code pénal", résumait sans ambiguïté l'arrêt qui cassa ce jugement, rappelant au passage une jurisprudence précédente, du 3 février 2000, par laquelle avait déjà été annulée, pour des raisons identiques, une décision du tribunal de Toulon.

Requérant en ce sens, le procureur général près la Cour de cassation avait insisté sur la chronologie. "Soucieux de moraliser la vie publique et particulièrement d'assainir le financement des partis politiques, expliquait-il, le législateur a, par la loi du 19 janvier 1995, rétabli l'automaticité de la mesure de non-inscription sur la liste électorale pour les auteurs des délits visés à l'article L7 du code électoral qu'avait supprimée l'article 132-21 du code pénal."

Le parquet général avait d'ailleurs jugé le cas soulevé à Dieppe assez important pour saisir de lui-même la Cour de cassation en l'absence de tout pourvoi - "dans l'intérêt de la loi", selon la formule consacrée. Quatre ans plus tard, le recours introduit par Mme Casetta le dispense d'une démarche similaire, mais suffit à troubler le scénario bien réglé du come-back annoncé de M. Juppé.

Hervé Gattegno
faupatronim
 
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