a écrit :Quand «Hardy» sort de l'ombre
E. F.
[10 février 2003]
Il y a encore quelques années, les journalistes peinaient à obtenir une photo de lui. Ce soir, il sera présent sur le plateau de «Mots croisés», sur France 2, en compagnie d'Arlette Laguiller. Robert Barcia, alias «Hardy», dirigeant historique de Lutte ouvrière, souvent présenté comme le seul véritable chef de l'organisation trotskiste, vient de confier dans un livre d'entretiens avec Christophe Bourseiller la «véritable histoire de Lutte ouvrière». S'il sort de l'ombre, c'est, dit-il, pour démontrer que «Lutte ouvrière est un mouvement beaucoup plus transparent qu'on ne le dit», qui n'a rien «d'un groupe clandestin». Il assure que «la pénombre très relative» qui a longtemps entouré son rôle à LO n'est due qu'au désintérêt des journalistes pour tout dirigeant autre qu'Arlette Laguiller jusqu'en 1995. Ensuite, «lorsque a débuté une campane malveillante et mensongère, puis carrément calomniatrice en 1998», il a préféré s'abstenir. C'est, même s'il s'en défend, pour répondre aux enquêtes journalistes qu'à 75 ans Robert Barcia accepte de raconter son parcours militant.
Engagé dans la Résistance alors qu'il n'était qu'adolescent, emprisonné à 15 ans, il a choisi le trotskisme après l'assassinat d'un jeune militant «à la Libération par des militants du PCF». Après les révélations de L'Express en 1998, il reconnaît avoir été «gérant de société», mais «sans être du côté du patronat !» précise-t-il.
Recrutée en 1962, alors qu'elle n'avait que 22 ans, Arlette Laguiller a été choisie comme porte-parole puis candidate à la présidentielle de 1974 parce qu'elle «dirigeait la grève du Crédit lyonnais» et qu'elle était «parfaitement représentative de notre organisation, de sa composition sociale (...), du milieu social dans lequel nous militons et dont nous voulons représenter les intérêts».
S'il reste flou sur la manière dont les décisions se prennent à Lutte ouvrière, et silencieux sur les débats qui peuvent traverser l'organisation, Robert Barcia justifie «le sérieux» et l'attitude «professionnelle» qu'il attend des militants de LO. Pour être recruté, il faut avoir «étudié sérieusement le programme» de LO, être «parrainé par au moins deux autres membres et que l'adhésion soit approuvée par une des instances de Lutte ouvrière».
«Quant au mariage, nous ne l'interdisons pas. Nous sommes contre !» Les militants, dit-il, ne sont «pas empêchés» de passer outre. «Par contre, un cadre de Lutte ouvrière qui se marie ne défend pas nos idées», écrit-il. Elever des enfants ? «Si on n'est ni riche ni aidé par des domestiques, (cela) empêchera de se qualifier réellement et de se consacrer à notre lutte». Et, à lire le dirigeant de LO, la lutte s'annonce sans fin. «Même si nous devons être les derniers à le faire, nous continuerons à défendre le programme communiste et la nécessité d'une révolution sociale dirigée par les travailleurs.»
a écrit :La désunion persiste chez les trotskistes
La Ligue communiste révolutionnaire (LCR) a réuni hier quelque 600 militants et sympathisants lors d'une Conférence nationale des salariés du public et du privé. A cette occasion, son porte-parole Olivier Besancenot a appelé à une mobilisation sociale pour un «nouveau décembre95». Il s'agit, a-t-il dit, de «préparer concrètement à la mobilisation sociale pour lutter contre les licenciements et défendre les retraites et les services publics».
Elsa Freyssenet
[10 février 2003]
La Ligue communiste révolutionnaire cherche à séduire les salariés du secteur privé ; Lutte ouvrière tente de redorer son blason terni ; et le Parti des travailleurs affirme que 2003 sera «l'année du renforcement». Les trois organisations trotskistes appellent invariablement à «l'unité des travailleurs», mais toujours chacune dans son coin. Arlette Laguiller (LO, 5,72%), Olivier Besancenot (LCR, 4,25%), et dans une moindre mesure Daniel Gluckstein (PT, 0,47%) ont «explosé les compteurs» à la présidentielle en rassemblant, à eux trois, près de trois millions de suffrages. Ni ce succès ni leur recul aux législatives de juin ne les ont incités à surmonter leurs divergences historiques. L'extrême gauche française a beau continuer de donner, par son pouvoir de nuisance, des sueurs froides à l'opposition, elle est toujours aussi éclatée. Les échéances électorales de 2004 ? «Trop tôt» pour en parler. Il faut d'abord s'opposer, «sur le terrain», aux licenciements, à la réforme du système de retraite, à la menace de guerre en Irak.
Et puis, en ce début d'année, chaque formation trotskiste a ses propres urgences. La plus discrète, le Parti des travailleurs, lance une campagne de réunions publiques pour ramasser des fonds et «porter plus loin ses propositions», notamment la retraite «pour tous» après 37,5 annuités de cotisations mot d'ordre repris par FO, où le PT est très bien implanté.
Lutte ouvrière, de son côté, cherche à démentir l'image sectaire que lui ont value des enquêtes journalistiques sur son fonctionnement interne et le refus d'Arlette Laguiller de choisir entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen au second tour. Robert Barcia, l'un des principaux dirigeants de LO, dont Arlette Laguiller est la porte-parole, a donc pris la plume (voir ci-contre) : «L'appel à voter Chirac reposait sur un mensonge (...) une énorme escroquerie» qui a permis à la gauche plurielle «d'éviter de s'expliquer devant son électorat» alors qu'«il n'y avait aucun risque que Le Pen soit élu», écrit-il. Et c'est parce que la Ligue communiste révolutionnaire d'Alain Krivine et Olivier Besancenot a «emboîté le pas à la gauche» en appelant à «battre Le Pen», que LO a refusé une répartition des circonscriptions entre les deux organisations aux législatives de juin. Après une liste commune LO-LCR aux européennes de 1999, LO a toujours refusé les avances de la LCR, jugeant cette dernière à la fois opportuniste et inconstante dans sa recherche d'alliance.
Pour prouver que le sectarisme n'est pas du côté de LO, Robert Barcia revient longuement sur les rendez-vous manqués, du fait de la LCR, dans les années 70 et 80. «Les sectaires, ce sont eux, affirme-t-il, car depuis le temps que la LCR fait des avances à tout ce qui s'agite et remue en France ou dans le monde et qu'elle se dit ouverte, aucune organisation un tant soit peu significative ne l'a rejointe même le temps d'une campagne électorale».
C'est effectivement une faiblesse majeure pour la LCR. «On n'a pas d'interlocuteurs», reconnaît Alain Krivine. Dans la foulée de la présidentielle, Olivier Besancenot a relancé l'idée de «bâtir un nouveau parti anticapitaliste». Encouragés par les 4,25% obtenus le 21 avril, implantés dans les mouvements antimondialisation, les dirigeants de la LCR espéraient, de surcroît, négocier avec LO, dans un rapport de force plus équilibré qu'en 1999. Mais LO n'a pas donné suite. A part quelques communiqués communs ponctuels, les discussions sont au point mort.
La construction d'un «pôle de radicalité» avec des communistes et des écologistes pour les échéances électorales de 2004 ? Les dirigeants de la LCR sont divisés entre ceux, minoritaires, qui y sont favorables sous condition, et ceux qui jugent rédhibitoire la participation du PCF et des Verts au gouvernement Jospin. «Il y a un discrédit de la gauche traditionnelle et on ne veut pas y être mêlé», explique Krivine, tandis qu'Olivier Besancenot fustige «la gauche light (qui) s'est définitivement convertie aux exigences de la mondialisation capitaliste» (1). Au PCF, les «refondateurs» sont intéressés, mais «que pèsent-ils ?», s'interroge Krivine, qui préférerait attirer à lui les militants communistes plutôt que les dirigeants. «On y verra plus clair après le congrès du PCF», tempère Christian Picquet, un responsable de la LCR. En attendant, la LCR compte encore et toujours sur le «mouvement social». «Bien sûr, il vaut mieux vivre dans un pays où il y a des élections que sous une dictature, écrit Besancenot ; mais aujourd'hui, si l'on veut obtenir quelque chose, il vaut encore mieux une forte mobilisation et une grande colère.»