par emma-louise » 21 Jan 2003, 09:05
Alain Hébert
Délit de militantisme
Alain Hébert a 47 ans. Mécanicien à la Direction des constructions navales, il est secrétaire général de l’union locale CGT de Cherbourg depuis 1989 et secrétaire de l’union départementale de la Manche depuis 2000. Il est aussi président du collectif contre le racisme et les idées d’extrême droite et de l’association de l’Artsenal, dont l’objectif est de construire un centre d’art flottant. De 1983 à 1989, il a été maire adjoint PCF à Equeurdreville-Hainneville. Il a quitté le PCF en 1995.
- Peux-tu nous parler de ton procès en appel, le 22 janvier à Caen ?
Alain Hébert - Tout d’abord, je pense qu’il faut faire le point sur la criminalisation de l’action syndicale. Celle-ci n’est pas une vue de l’esprit de quelques militants gauchistes. C’est véritablement un climat qui ne date pas d’aujourd’hui et qui a commencé sous l’ancien gouvernement de la "gauche plurielle". Il y a eu une accélération depuis le 21 avril 2002. Le gouvernement Raffarin veut absolument passer en force sur un certain nombre de sujets. Sa préoccupation n’est pas le dialogue social, mais une politique ultralibérale au service du capital menée le plus rapidement possible. Pour aller plus loin dans cette politique, il emploie tous les moyens et fait des militants syndicaux des délinquants. Aujourd’hui, on est dans l’ère du tout-délinquant.
Dans mon cas, on me reproche, sans preuves, d’avoir menacé et frappé un gendarme à l’occasion d’une manifestation contre la fermeture d’un hôpital. J’ai été condamné à six mois de prison dont un ferme. Mais ce qui gêne vraiment, c’est que je batte le pavé cherbourgeois depuis plusieurs dizaines d’années, avec les salariés, les chômeurs, pour construire au quotidien une société nouvelle, meilleure, et pour obtenir des améliorations des conditions de vie et de travail. C’est pour cela qu’en juin et juillet 2002, les autorités de Cherbourg, les représentants de ce gouvernement et du patronat ont décidé de mettre le paquet et de me condamner, pour l’exemple, pour être un militant. Evidemment la question de la solidarité envers Meguini, Bové et moi-même doit être dépassée et pour la manifestation du 22 janvier à Caen, le mot d’ordre est : "Il nous faut gagner de nouvelles libertés."
Il faut interpeller les gens pour qu’ils prennent conscience que si les libertés sont bafouées, que le droit de manifester est restreint, que l’expression des porte-parole protestant contre cette politique infâme que mène le gouvernement est empêchée, cela veut dire que demain on ne pourra pas gagner de nouveaux droits et que le progrès social va être mis dans un placard à balais. Les manifestations pour les libertés ne sont pas des manifestations de solidarité. Il ne s’agit pas d’aller défendre la liberté d’un autre qui s’appelle Alain Hébert, Albin Equerre, José Bové... mais il s’agit d’aller défendre la liberté, nos libertés fondamentales, pour pouvoir agir demain et gagner le progrès social.
Les questions des libertés et de la démocratie sociale seront posées le 22 janvier et dans d’autres manifestations. Il ne s’agira pas seulement d’empêcher Alain Hébert d’aller en prison, mais surtout de conserver le droit de construire une autre société.
- Tu nous dis que tu es condamné pour l’exemple. Cela signifie-t-il que tes prises de positions sur une affaire qui nous concerne au plus haut point, je veux parler de Karachi (1), ont pesé sur ta condamnation ?
A. Hébert - Effectivement, il faut bâillonner un militant, un responsable syndical qui gêne sur des sujets aussi délicat que celui-ci. L’attentat de Karachi qui, malheureusement, a défrayé la chronique nationale voire internationale, c’est la mort de onze de nos camarades. La responsabilité de l’Etat et de la Direction des constructions navales (DCN) est prouvée. Mes camarades ont été envoyés au casse-pipe pour satisfaire une politique qui arme des belligérants tels que l’Inde et le Pakistan ; une politique de privatisation de la DCN et de sa transformation en marchand de canons. Qu’importe ce que l’on construit, l’important c’est de faire du profit.
Quand la CGT et son porte-parole - c’est-à-dire moi - ont dénoncé toute cette politique et ont rappelé que les mesures de sécurité n’ont pas été prises, l’Etat et le président de la République n’ont pas du tout apprécié. Evidemment, ils savaient très bien que notre action pour démontrer leurs responsabilités dans la mort de nos camarades allait continuer. Aujourd’hui, nous nous battons aux côtés des familles pour leurs justes revendications.
Ce dossier a effectivement pesé lourd pour ceux qui ont décidé de me condamner à une peine de prison.
- Pourrais-tu t’exprimer sur le démantèlement programmé des services publics par le gouvernement ?
A. Hébert - Même s’il est attaqué de toutes parts au nom de la rentabilité, le service public est le chouchou des Français, comme l’a mis en évidence la lutte des gaziers et des électriciens. Raffarin et Chirac seraient bien mal intentionnés s’ils faisaient fi de cette attention. La défense des services publics est, avec les retraites, un des moteurs de lutte.
Sur les retraites, il faut défendre le principe d’égalité et le retour à 37,5 annuités pour tout le monde. Bien entendu les chantres de l’augmentation des annuités et de la diminution des prestations oublient de dire que la productivité de ce pays a été multipliée par
40 au cours des 30 dernières années et que les plus pessimistes des économistes pensent que l’augmentation sera équivalente dans les quinze ans à venir. A celles et ceux qui parlent du vieillissement de la population, du papy-boom, les derniers éléments (la reprise des naissances notamment) montrent qu’ils se trompent. Tout cela sert à justifier leur projet de s’attaquer à une manne d’argent extraordinaire pour réaliser des profits supplémentaires.
Il y a de l’argent, la retraite peut être payée. C’est un véritable choix de société, soit celui de la répartition, soit celui du profit. Pour améliorer le régime de retraite - et celui des veuves et veufs -, il faut changer l’assiette des cotisations et taxer beaucoup plus fortement les profits.
Il faut que les partis politiques prennent position sur ces choix de société. Je me félicite de l’engagement de la LCR, du PC, et des Verts auprès des salariés. Malheureusement, le PS semble traîner des pieds et je crois qu’il n’a pas la volonté de changer la société. Il est depuis des années dans une spirale où il s’agit simplement de mettre un emplâtre sur la jambe de bois du capitalisme, ce qui conduit globalement à poursuivre une politique d’accompagnement et même d’aggravation du libéralisme.
Propos recueillis par Thierry Lacombe.
1. Le 8 mai dernier, à Karachi, au Pakistan, un attentat contre un autobus causait la mort de treize personnes, dont onze employés de la DCN.
Rouge 2000 16/01/2003