Emplois-jeunes : génération bernée

Message par Louis » 07 Fév 2003, 00:24

Véronique Lopez

Les emplois-jeunes sont en colère. Créés en 1997, ces emplois précaires auraient dû se transformer en contrats stables. Mathieu, Guillaume et Stéphane sont aide-éducateurs et refusent de devenir chômeurs. Ils manifestent le 6 février.


« La grève, c'est du boulot à plein temps ! » La boutade de Stéphane, jeune homme rondouillard et moqueur, rencontre l'adhésion de Guillaume, le blond aux boucles d'ange, et Mathieu, le brun à la chevelure en bataille. En grève depuis le 14janvier, ces trois emplois-jeunes - exerçant la mission d'aides-éducateurs dans l'Éducation nationale - préparent la manifestation nationale de jeudi 6 février.

Rétifs à toute « personnalisation du mouvement », allergiques aux photos, ils n'acceptent de parler d'eux que pour mieux parler de « lui ». Lui, c'est-à-dire le Collectif emplois-jeunes d'Ile-de-France, qui, depuis la fin de l'année 2002, multiplie actions et manifestations pour faire entendre ses revendications. La situation des emplois-jeunes - dont les premiers contrats signés en 1997 arrivent à échéance en 2003 - et celle des étudiants-surveillants, les maîtres d'internat-surveillants d'externat (MI-SE) plus familièrement appelés les « pions », sont au coeur des mouvements de protestations engagés depuis la rentrée scolaire. Les projets de Luc Ferry, la suppression progressive du statut de MI-SE et le remplacement à terme de tous les jeunes adultes présents dans les établissements par un nouveau corps, les « assistants d'éducation », échauffent les esprits des syndicats d'enseignants et des jeunes constitués en « collectif », dans 23 académies sur 30.

« De nouvelles formes de précarité émergent, il est normal que de nouvelles formes de combat existent aussi, même en dehors des syndicats », justifie Guillaume, avec un sérieux de premier de la classe. Ses deux copains, mi-figue mi-raisin, protestent un peu contre la lenteur des syndicats à les soutenir « à part Sud et la CNT ». Et, ensemble, ils se réfèrent à la belle bataille des McDo, Pizza Hut et autres précaires de la restauration - pourtant soutenus par la CGT - pour expliquer leur type d'organisation, « plus souple, plus informelle ».

Quoi qu'il en soit, la Coordination nationale des surveillants et emplois-jeunes en lutte, épaulée par l'intersyndicale enseignante (FSU, UNSA, CGT, CFDT, FAEN), appelle à une nouvelle journée nationale d'action, jeudi 6 février. Une de plus. Car, depuis plus d'un mois, Mathieu, Stéphane et Guillaume, comme des milliers d'autres, multiplient actions et manifestations. Le 23 janvier, le collectif parisien occupait le McDo des Champs-Elysées pour dénoncer la précarisation de la société : « À la fin de nos contrats emplois-jeunes, nous n'aurons plus le choix qu'entre l'ANPE et McDo », déclarait Amel Dahmani, membre du Collectif des emplois-jeunes et des surveillants. Le 28 janvier, les aides-éducateurs prenaient la tête du cortège avec « plus de 4 000 personnes sous [les] banderoles ». Avec leurs bannières claquant au vent, les aides-éducateurs, les pions et les maîtres de demi-pension (MDP), au statut contractuel ultra-précaire, ont vite été rejoints par « plein d'étudiants et de lycéens défendant le statut des pions. Pour les étudiants modestes, être surveillant est souvent la seule solution pour poursuivre des études », explique Guillaume. Au-delà des statuts divers aux sigles abscons (MDP, Atos...), les aides-éducateurs pointent les dangers de voir s'introduire, de plus en plus, au sein de l'Éducation nationale, la « notion de privatisation ». « C'est toute une vision du service public qui est en train de s'effondrer. Toute une jeunesse qui est en train d'être foutue en l'air », s'alarme encore Guillaume.

Alors qu'on leur avait présenté la fonction d'aide-éducateur comme un « tremplin », une formation possible pour intégrer à terme l'Éducation nationale, la plupart des jeunes se sentent floués par les promesses des politiques de l'époque et poignardés dans le dos par l'actuel gouvernement. En 2003, terme d'échéance des premiers contrats, c'est quelque 76 000 emplois-jeunes (dont environ 20 000 aides-éducateurs) qui vont sortir du système et risquent de se retrouver au chômage « sans même savoir si on a droit aux Assedic », s'alarme Mathieu. Les années à venir annoncent le pire : « 60 000 personnes en 2004 ; 40 000 en 2005 et 2006 ; 12 000 en 2007... soit le plus grand plan social des années à venir », proclame un tract du collectif.

Pourtant, au départ, personne n'était très enthousiaste à l'idée de ces sous-emplois au statut indéfini (voir encadré) et aux fonctions imprécises « J'étais même totalement contre les emplois-jeunes, lance avec franchise Guillaume. Pour moi, c'était une aberration, des contrats Kleenex. On te prend, on t'use et on te jette. Mais j'étais, comme la plupart des autres, au chômage et pour intégrer la Fonction publique sans passer de concours, c'était ça ou rien. ». Même condition de départ pour Mathieu et Stéphane. Avec aussi, pour les trois compères, l'envie de prendre un appartement, de s'assumer financièrement, bref de travailler « tout en essayant de continuer à passer des diplômes ». Une mission que tous les trois s'accordent à dire presque impossible tant le volet formation a été le parent pauvre des emplois-jeunes. « Moi, j'ai pu faire une formation, reconnaît Guillaume. J'ai un diplôme universitaire technique de documentaire et de médiation culturelle. » Sur sa chaise, Stéphane est mort de rire : « Le nom, ça pète, mais ça sert à quoi ? » Une chose est sûre, pour exercer le métier d'aide-éducateur, ils n'ont « pas eu de formation ». « Ces métiers-là, on les a inventés nous-mêmes, explique Stéphane, redevenu sérieux. Alors je ne vois pas pourquoi on devrait encore faire nos preuves en passant des concours. »

Un concours de quoi d'ailleurs ? Car un aide-éducateur pouvait tout aussi bien faire de la surveillance de récréation comme de « l'aide à la vie scolaire ». « Un terme flou qui regroupe tout ce qu'on veut », explique Mathieu. Bref, le jeune-à-l'emploi, c'est à lui « d'inventer-la-vie-qui-va-avec » comme on dit chez les publicitaires. Durant ces cinq ans, il y a ceux qu'on a pris pour des larbins, leur faisant faire tout et n'importe quoi - le ménage et les menus travaux - et ceux qui, malgré les difficultés d'adaptation, le manque de moyen et l'indifférence du personnel en place, ont choisi de s'accrocher. Pour apporter aux gamins la présence rassurante d'un adulte qui n'est pas chargé de le surveiller ou de l'éduquer. « Il y a une vraie place pour un non-enseignant dans l'école », explique Mathieu. Lui, par exemple, a mis en place des petits groupes de travail pour faire du soutien scolaire. Quant à Stéphane, il a réussi, avec un autre emploi-jeune, à s'approprier la salle d'informatique, un local fermé où dormaient quelques bijoux technologiques - « treize ordinateurs, scanners, photocopieuse couleurs, etc. » -, pour initier les gamins à la conception d'un fanzine...

Parfois, les aides-éducateurs pallient le manque chronique de personnel qualifié dont souffrent les établissements des zones dites sensibles. À Drancy (Seine-Saint-Denis), par exemple, où travaille Stéphane, « il n'y a pas d'assistante sociale ni de conseiller d'orientation ». Du coup, c'est Stéphane, qui, lors du soutien scolaire ou parce qu'il arrive à développer des liens de confiance avec les élèves, parvient à détecter des difficultés que d'autres n'ont plus le temps de voir. « Dans le collège, il y a une gamine capverdienne qui suit une scolarité normale. Quand les profs lui demandent de lire un texte, elle répond qu'elle a oublié ses lunettes. À force, ils ont commencé à trouver ça bizarre et, finalement, on s'est aperçu qu'elle ne lisait pas du tout le français », relate Stéphane. À lui alors, durant des « séances à part », de « défragmenter les mots », de travailler les sons avec elle. Mais le jeune homme connaît aussi les risques et les difficultés de cet apprentissage lourd qui exige normalement une réelle formation. « Je ne sais pas si je lui apporte les bonnes solutions. Je ne suis pas formé à la linguistique mais j'essaie de lui donner de l'aide. Elle progresse un peu. Peut-être aussi parce qu'un adulte s'intéresse à elle ? », se questionne l'aide-éducateur. Ce même travail de « remédiation sociale » - on parle comme ça désormais à l'Éducation nationale ! - Stéphane l'a mené avec un élève en échec scolaire qui, « comme 40 % des gamins, surtout en Seine-Saint-Denis, veut être mécanicien automobile ». Le jeune homme s'est occupé de lui, participant aux démarches administratives, se rendant aux rendez-vous avec l'élève. « Ce gamin-là a travaillé au noir et a quitté le collège. Mais, à la rentrée, il est revenu me voir et il doit s'inscrire dans un centre de formation qualifiante. » Stéphane y voit l'importance de son rôle : « L'enfant a compris qu'il n'était pas un numéro, qu'il était important aux yeux des quelques adultes. »

C'est le travail de cinq années, minutieux et patient. Travail ingrat devenu passionnant, qui doit être remis en cause par le gouvernement Raffarin. Mais déjà, en 1999, Claude Allègre, alors ministre de l'Éducation nationale, songeait à l'avenir des emplois-jeunes hors de la fonction publique en signant un accord-cadre avec des entreprises comme Air France, EuroDisney, Accor... et déclarait au journal le Monde (1) que les aides-éducateurs ne deviendraient pas « une nouvelle couche de fonctionnaires ». Quel visionnaire !
Louis
 
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