Travailleurs productifs/ improductifs

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par logan » 24 Mars 2004, 10:57

Je voudrais revenir sur la distinction établie par Marx en tre travailleur productif et non productif.

Un travailleur productif est celui qui participe directement à la production.
Par exemple un travailleur dans la sidérurgie.
Mais pour Marx le contremaitre dans cette meme usine n'est pas considéré comme productif car il ne participe pas à la production d'une manière directe.
Pourtant le contremaitre est un élément indispensable au propriétaire de l'usine pour que cette production soit effective.

Alors je voudrais des exemples de travailleurs productifs aujourd'hui.
Et est-ce qu'un travailleur productif n'est considéré comme tel qu'en fonction d'un certain type de production?

Par exemple une production de service peut elle etre considérée comme productive au sens marxiste du terme?

Un travailleurà la chaine chez Renault qui ne fait que de l'assemblage de pièce déjà existante est il "productif"?
Et Un chauffeur routier?
Et Un ouvrier dans un entrepot qui dispatche les produits sans qu'ils ne soient crées dans celui ci?
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Message par Jacquemart » 24 Mars 2004, 11:58

Une question pareille, je ne pouvais pas la rater...

Alors, je m'y colle.
Cette distinction entre travail (ou travailleur) productif et improductif a fait couler pas mal d'encre. Celle de Marx, pour commencer, car il a abondamment discuté de cela pour se démarquer de conceptions fausses défendues par certains de ses prédécesseurs. Ensuite, celle de bien d'autres ensuite, qui ont voulu comprendre, affiner ce qu'avait dit Marx, mais aussi qui ont voulu faire jouer à cette distinction un rôle qu'elle n'a jamais eue pour Marx. Par exemple, travail productif et improductif, chez Marx, cela ne recouvre absolument pas travail utile et inutile.

Pour faire court, disons qu'un travail est productif s'il crée de la plus-value. Il est improductif dans tous les autres cas.

Cela veut dire que pour être productif le travail doit :
1. s'échanger contre un salaire
2. participer (pas forcément "directement") à la création de marchandises, et non à leur simple circulation (vente, notamment)

Donc :

- le contremaître a un rôle de surveillance. Il est très certainement utile, et même indispensable, au capitaliste. Mais tu peux mettre une armée de contremaîtres dans une usine, cela n'augmente pas la production d'un iota. Le contremaître, pour le capitaliste, est un coût, un faux frais nécessaire de la production. Il est improductif.

- un travailleur productif peut fort bien être un salarié qui produit des marchandises immatérielles. Marx prend l'exemple d'un clown salarié d'un cirque, et explique qu'il s'agit d'un travailleur productif. L'enseignant salarié d'une école privée, l'infirmière salariée d'une clinique, etc. sont des travailleurs productifs au même titre que l'ouvrier d'une usine privée. C'est une question de rapport social, pas de forme matérielle de la marchandise produite.

- un travailleur qui fait de l'assemblage est productif, car la production ne doit pas être définie comme de la "création" de matière nouvelle (sinon, on en revient aux idées des physiocrates du XVIIIe siècle, qui considéraient que seule l'agriculture est productive, car elle seule dégage plus de matière qu'elle n'en consomme). Transformer, ou assembler, c'est aussi produire.

- un chauffeur routier, s'il est salarié d'une boîte de transport privée, est productif, car déplacer les marchandises fait partie de la production. Idem pour le manutentionnaire.

Je sens que la discussion ne fait que commencer...
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Message par logan » 24 Mars 2004, 12:11

Merci Jacquemart tes explications sont lumineuses ! 8)

J'en conclue que Marx ne fait pas dépendre la nature productive du travail selon que la production consiste en biens matériel OU en services.

Autre exemple :

Un individu possède un hotel.
Il engage un receptionniste salarié pour le faire tourner avec lui.
1/ Comment définir la nature sociale du patron?
C'est un petit bourgeois?

2/ Peut on parle de l'hotel comme d'un "moyen de production"?

3/ Et le salarié, c'est un travailleur productif?

4/ Si le propriétaire cesse totalement de travailler pour son hotel en engageant des salariés, peut on dire qu'il change de statut social, dans la mesure ou il ne participe plus à l'activité de l'hotel à proprement parler?
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Message par logan » 24 Mars 2004, 12:45

a écrit :"L'enseignant salarié d'une école privée, l'infirmière salariée d'une clinique, etc. sont des travailleurs productifs au même titre que l'ouvrier d'une usine privée"

Pourquoi pas d'une usine d'état, ou de l'école publique?


Pour l'école publique c'est simple : l'état ne crée pas de marchandises puisqu'elle est gratuite.
Sans marchandises, pas d'extraction de plus value, donc pas de travailleurs productifs.

Par contre dans une école privée les parents paient la scolarité, l'achètent comme une marchandise.
Il y a donc extraction de la plus value et les enseignants salariés y sont sont des travailleurs productifs

Idem entre une clinique et un hopital public


Par contre pour une entreprise nationalisée comme EDF il y a vente d'une marchandise (l'electricité et les services qui vont avec) . On doit donc considérer un électricien chez EDF comme productif.
(Jacquemart reprend moi si je me trompe...)
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Message par Jacquemart » 24 Mars 2004, 13:23

Hem... Je savais que je n'allais pas m'en tirer à si bon compte. Commençons par les questions de Wolf, toujours sur le travail improductif et productif.

Marx prend l'exemple du clown dans les Théories sur la Plus-Value, malheureusement pas disponibles en français sur le Net. On trouve néanmoins des passages très parlants dans le Capital (Ed. Soc., vol. II, p. 184) :
a écrit : « Un maître d'école, par exemple, est un travailleur productif, non parce qu'il forme l'esprit de ses élèves, mais parce qu'il rapporte des pièces de cent sous à son patron. Que celui-ci ait placé son capital dans une fabrique de leçons au lieu de le placer dans une fabrique de saucissons, c'est son affaire. »

Et dans le Chapitre inédit dudit Capital :
a écrit :Une cantatrice qui chante comme l'oiseau, est un travailleur improductif; dans la mesure où elle vend son chant pour de l'argent, elle est une salariée et une marchande. Mais, cette même cantatrice devient un travailleur productif, lorsqu'elle est engagée par un entrepreneur pour chanter et faire de l'argent, puisqu'elle produit directement du capital. Un enseignant qui fait classe n'est pas un travailleur productif; mais, il devient productif s'il est engagé avec d'autres comme salarié pour valoriser, avec son travail, l'argent de l'entrepreneur d'un établissement qui monnaie le savoir. 

Quant à savoir pourquoi les salariés des services publics ne sont pas productifs, Logan a en partie raison : ce qui fait la différence, c'est qu'ils ne produisent pas de marchandises et/ou de capital : c'est-à-dire que même lorsque le service public n'est pas gratuit (La Poste), les éventuels bénéfices ne viennent pas accroître le capital d'un bourgeois. Donc, les postiers (désolé, Olivier, sans rancune...) ne sont pas productifs, bien que les services postaux soient payants. Evidemment, le cas des entreprises d'Etat genre EDF est un peu plus épineux, puisqu'il s'agit de formes intermédiaires.

C'est toujours le même problème avec l'économie politique, et la science en général : les concepts sont bien étanches, mais cette satanée réalité trouve toujours le moyen de ne pas entièrement rentrer dans les cases qu'on lui avait préparées... Ca nous amène aux questions de Logan, dont je m'occupe dans le prochain post.
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Message par Jacquemart » 24 Mars 2004, 13:35

(logan @ mercredi 24 mars 2004 à 12:11 a écrit :J'en conclue que Marx ne fait pas dépendre la nature productive du travail selon que la production consiste en biens matériel OU en services.

Tout à fait exact.
(logan @ mercredi 24 mars 2004 à 12:11 a écrit :
Autre exemple :
Un individu possède un hotel.
Il engage un receptionniste salarié pour le faire tourner avec lui.
1/ Comment définir la nature sociale du patron? C'est un petit bourgeois?
2/ Peut on parle de l'hotel comme d'un "moyen de production"?
3/ Et le salarié, c'est un travailleur productif?
4/ Si le propriétaire cesse totalement de travailler pour son hotel en engageant des salariés, peut on dire qu'il change de statut social, dans la mesure ou il ne participe plus à l'activité de l'hotel à proprement parler?

Là, on mélange des questions de caractérisation économique et de caractérisation sociale, or ce n'est pas tout à fait la même chose : il n'est pas rare qu'un même individu remplisse plusieurs fonctions économiques ; typiquement, le petit patron, qui est à la fois le propriétaire d'un capital et un travailleur, et dont les revenus proviennent à la fois des revenus de son capital et des revenus de son travail. Cette population dite de "travailleurs indépendants" est d'ailleurs un casse-tête classique pour les statisticiens.
Bon, essayons de répondre :
1) Il possède un hôtel, c'est donc un capitaliste. Petit ? Ben chais pas, ça dépend de l'hôtel...
2) Oui, je ne vois pas pourquoi on leur nierait cette étiquette.
3) S'il nettoie les chiottes, repasse les draps, ou toute autre chose du genre, oui. Parce qu'il produit la marchandise qui sera vendue (l'hébergement). S'il est à la caisse et qu'il vend les chambres, non, parce qu'il ne fait que faire changer la marchandise de forme (l'hébergement se transforme en billets de banque).
4) Oui... et non (voir ci-dessus). De capitaliste-travailleur, il devient capitaliste tout court.
Voilà...
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Message par Jacquemart » 24 Mars 2004, 13:51

(wolf @ mercredi 24 mars 2004 à 13:33 a écrit :Je ne vois pas comment on peut dire quelque chose de tel. Ca me paraît toalement erroné comme manière deprendre leproblème. Que le patron des ouvriers de, disons, Renault, la Seita, l'enseignement, la poste, france telecom, soit l'Etat bourgeois ne change rien à l'affaire. L'Etat est un patron en france. Ca change des choses du point de vue politique, pas du point de vue de la production.

C'est une mauvaise manière de mettre des tas de choses très différentes derrière le même mot ("patron"). L'Etat emploie certes des millions de gens, depuis les salariés de l'ex-Séita jusqu'à ceux de l'armée ou du ministère des finances. Cela ne veut pas du tout dire qu'un militaire joue le même rôle économique qu'un ouvrier cigarettier. L'employeur (public ou privé) vend-il une marchandise ? La plus-value tirée de cette marchandise vient-elle accroitre un capital (détenu par le public ou par le privé) ? Voilà les critères qu'on ne peut pas écarter d'un revers de main en considérant que l'Etat est le patron, et que c'est cela qui compte.
De même, le chauffeur de Seillère et ses ouvriers ont le même patron. Il n'en demeure pas moins que les seconds sont productifs, et pas le premier. Dit autrement, les ouvriers de Seillière l'enrichissent, alors que son chauffeur l'appauvrit.

a écrit :Je me souvenais bien de ce passage sur la fabrique de saucissons, mais je crois aussi - ça prendra un peu de temps - que sur ce point le capital n'est pas d'une clarté totale.

Sur ce point, et sur d'autres, diront les mauvaises langues. M'enfin, avec un peu d'efforts, on finit par s'y retrouver.

a écrit :Mais le temps me fait défaut pour l'instant. Si dans l'après midi le camarade jacquemart peut me dire quelle est cette marchandise que produirait un professeur del'école , même en se contentant de l'école privée, ça m'intéresserait

C'est pas moi qui le dit, c'est Marx :
a écrit :"Un maître d'école, par exemple, est un travailleur productif, non parce qu'il forme l'esprit de ses élèves, mais parce qu'il rapporte des pièces de cent sous à son patron. Que celui-ci ait placé son capital dans une fabrique de leçons au lieu de le placer dans une fabrique de saucissons, c'est son affaire."
"Un enseignant qui fait classe n'est pas un travailleur productif; mais, il devient productif s'il est engagé avec d'autres comme salarié pour valoriser, avec son travail, l'argent de l'entrepreneur d'un établissement qui monnaie le savoir."
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