Les leçons d'une bataille

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Louis » 24 Oct 2003, 14:11

dans Rouge cette semaine


a écrit :Dominique Vidal est rédacteur en chef adjoint du Monde diplomatique. Il est l'auteur de nombreux ouvrages consacrés au Proche-Orient.
Il vient de publier "Le Mal-être juif" aux éditions Agone.

L'"affaire Tariq Ramadan" illustre le piège qui risque de se refermer sur le mouvement social s'il ne mesure pas les enjeux de la bataille en cours. Dans un texte refusé par Libération et Le Monde, le professeur de philosophie et d'islamologie s'en prend à certains "intellectuels juifs", leur reproche "un souci communautaire qui tend à relativiser la défense des principes universels d'égalité ou de justice" et conclut : "S'il faut exiger des intellectuels et acteurs arabes et musulmans qu'ils condamnent, au nom du droit et des valeurs universelles communes, le terrorisme, la violence, l'antisémitisme et les Etats musulmans dictatoriaux [...], on n'en doit pas moins attendre des intellectuels juifs qu'ils dénoncent de façon claire la politique répressive de l'Etat d'Israël."
D'une maladresse insigne, la référence à la judéité de ces intellectuels - qui plus est dans un texte dirigé contre le communautarisme - a déclenché une véritable tempête. Bernard-Henri-Lévy explique que Ramadan "met bas le masque" et incite les altermondialistes à "prendre [leurs] distances" (1). André Glucksman affirme : "Ce qui est étonnant, ce n'est pas que monsieur Ramadan soit antisémite, mais qu'il ose désormais se revendiquer comme tel." (2) Ni l'un ni l'autre ne rappellent que Tariq Ramadan a toujours dénoncé l'antisémitisme, y compris musulman (3).
Tous les prétextes sont bons pour relancer le chantage à l'antisémitisme. Quiconque critique la politique du gouvernement israélien ou les défenseurs de celle-ci serait nécessairement judéophobe. Les animateurs de cette campagne mesurent-ils que, ce faisant, ils contribuent au "mal-être" de nombre de ces Juifs français qu'ils rêvent d'embrigader ? Un mal-être qui a, bien sûr, d'autres causes.
La plus importante est l'angoisse suscitée par l'escalade au Proche-Orient. La plupart des Juifs français avaient placé leurs espoirs dans les accords d'Oslo. Mais, malgré le choc de l'assassinat d'Yitzhak Rabin, ils n'ont pas mesuré combien les gouvernements israéliens successifs tournaient le dos à la paix. Se raccrochant à la fable de l'"offre généreuse" d'Ehud Barak, ils ont vu dans la seconde Intifada le retour des Palestiniens à une stratégie de destruction d'Israël (pays dans lequel 85 % comptent un parent ou un ami). Et les attentats kamikazes les ont confortés dans cette conviction.
Autre "menace existentielle" : la montée des violences antisémites. Selon la Commission consultative des droits de l'Homme (CNCDH), le nombre d'actes racistes, de 2001 à 2002, a été multiplié par quatre et celui des actions antisémites par six, les secondes représentant désormais 62 % des premiers. Certains survivants de la Shoah, mais aussi des jeunes, ont vécu ces agressions en série comme une résurgence du passé.
Le rapport de la CNCDH et toutes les enquêtes soulignent pourtant le caractère marginal de l'antisémitisme. Et cela vaut pour les Franco-Maghrébins, comme l'a déjà indiqué le Livre blanc de SOS-Racisme et de l'Union des étudiants juifs de France. Les exactions antijuives "impliquent très fréquemment, précise le ministère de l'Intérieur, des acteurs originaires des quartiers dits “sensibles”, souvent délinquants de droit commun par ailleurs, qui essaient d'exploiter le conflit du Proche-Orient".
Nous voilà aux antipodes des thèses d'Alain Finkielkraut, avec son "Année de cristal" (4) comme de celles de Pierre-André Taguieff, avec sa "nouvelle judéophobie" altermondialiste, islamiste et tiers-mondiste. Le vrai terreau se trouve dans les ghettos de chômage, de misère et d'ennui où végètent des centaines de milliers de jeunes, issus entre autres de l'immigration.
Ces facteurs conjoncturels renvoient à une crise d'identité, structurelle celle-là. Les piliers mêmes du judaïsme vacillent (5). Religion ? Seuls 5 % des Juifs français obéissent aux règles strictes de l'orthodoxie. Génocide ? Sa mémoire préservée concerne plus le passé que l'avenir. Israël ? Seuls 6 % envisagent de s'y installer. Culture ? Peu en possèdent des rudiments et parlent hébreu, yiddish ou judéo-espagnol. Bref, les Juifs n'échappent plus à l'érosion des valeurs traditionnelles propres aux grandes familles confessionnelles et politiques.
Beaucoup perçoivent douloureusement cet ébranlement. Les uns redoutent une assimilation destructrice de la personnalité juive, du fait notamment des mariages "mixtes". Les autres refusent le repli ultrareligieux comme ultrasioniste, véritable épouvantail pour les jeunes. Et la construction d'un judaïsme laïque et moderne commence, hélas, à peine...
Cette réalité complexe, le mouvement social, antiguerre et de solidarité doit en tirer toutes les leçons.
Première leçon : il serait absurde de sous-estimer les violences antijuives. Qu'elles soient recensées de manière plus systématique que les agressions antiarabes ne diminue pas leur gravité. S'il revient aux forces de police de réprimer les auteurs des unes comme des autres, c'est à nous de les dénoncer et de les isoler politiquement.

Deuxième leçon : il importe de combattre sans complaisance, au sein du mouvement lui-même, toute forme d'antisémitisme comme d'islamophobie. Ne plus permettre, par exemple, que des Juifs portant la kippa soient agressés sur le parcours d'une manifestation. Ne plus tolérer la publication de textes antisémites, même si leur auteur, israélien, critique radicalement son pays. Ne plus accepter que le nom d'Israël soit accolé à une croix gammée - comme si la répression des Palestiniens pouvait être comparée à l'extermination de millions de Juifs, de Tziganes, de malades mentaux et de "bouches inutiles" slaves...

Troisième leçon : loin d'opposer la lutte contre les racismes antijuif et antiarabe, il convient de la développer d'un même mouvement, sans craindre d'affronter les préjugés des uns et des autres. Aujourd'hui comme hier, les alliances ne se nourrissent pas de flou, mais de clarté. Or c'est bien du front le plus large possible pour une paix juste au Proche-Orient que nous avons besoin.
Si le mouvement donnait encore des verges pour se faire battre, il ne serait pas en mesure de mettre en échec les tentatives de terrorisme intellectuel et de peser vraiment dans le sens de l'indispensable intervention de la communauté internationale. Les Nations unies ont voté, le 29 novembre 1947, le partage de la Palestine entre un Etat juif et un Etat arabe. Elles n'ont rien fait pour empêcher ce plan d'avorter, ni la région d'aller de guerre en guerre. Il leur revient aujourd'hui de prendre en main les territoires occupés, d'y déployer une force internationale de sécurité, d'y assurer l'ordre et d'y imposer enfin la création d'un Etat palestinien véritablement indépendant.

Dominique Vidal

1. Le Point, 9 octobre 2003.
2. Le Nouvel Observateur, 9 octobre 2003.
3. Lire Le Monde, 23 décembre 2001.
4. La Nuit de cristal du 9 novembre 1938 a vu la mort de 91 Juifs allemands, la destruction de 191 synagogues, la mise à sac de 7 500 magasins et la déportation de 30 000 Juifs.
5. Dominique Vidal, Le Mal-être juif, Agone, Marseille, 2003.

Rouge 2036 23/10/2003
Louis
 
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Message par Louis » 24 Oct 2003, 23:37

la fracture entre les deux SUR CE PROBLEME semble évident :

d'une part, au niveau du ps, des dirigeants du plus haut niveau dénoncent Ramadan comme étant "antisémite", reprenant meme les délires de BHL comme étant "pire que le protocole des sages de sion"
Déclaration de mélanchons et consorts :
«En pointant des intellectuels désignés comme "juifs" et en les plaçant en dehors de la raison commune, M. Ramadan s'est inscrit dans la tradition classique de l'extrême droite. Ce sont les fascistes qui pensent et parlent ainsi.»


d'autre part, voila la prise de position d'ATTAC

Prise de position du bureau d'attac
"Affaire Ramadan"
Tariq Ramadan a diffusé sur les listes du FSE un article qui avait été refusé par Libération et le Monde. Cet article a été jugé antisémite par certains journalistes, chroniqueurs et organisations. Cette affaire leur a fourni l'occasion de relancer une campagne médiatique contre le mouvement altermondialiste au motif que celui-ci compterait dans ses rangs des organisations proches de Tariq Ramadan et serait donc complice de ses propos antisémites présumés. Le Bureau préparera un document en deux parties (par Bernard Cassen) :
- la première sur les contacts entre Attac et Tariq Ramadan, leur contenu et les fortes divergences qui se sont manifestées. Seront également évoquées la présence de Bernard Cassen à la tribune d'un meeting de préparation du FSE, aux côtés, entre autres, de Gus Massiah et Tariq Ramadan, ainsi que les réponses de Bernard Cassen et Pierre Khalfa à un texte de Ramadan publié dans Politis en juin dernier.
- la seconde précisera la position d'Attac sur l'"affaire" Ramadan sur les bases suivantes :
a) le texte de Ramadan n'avait pas à être diffusé sur les listes du FSE
B) ce texte comporte de sérieuses erreurs et témoigne de la même logique communautariste qu'il impute aux "intellectuels" qu'il incrimine
c) ce texte n'est pas pour autant antisémite et, s'il était considéré comme tel, les personnes citées devraient immédiatement entamer des poursuites judiciaires contre Ramadan
d) Attac, tout en refusant de se prêter au jeu des sommations médiatiques, dénonce l'opération politicienne visant à lancer un soupçon d'antisémitisme sur le mouvement altermondialiste. Daniel Mermet et José Bové avaient déjà été les cibles d'opérations du même type.


Les deux positions n'ont donc rien a voir En fait je suis largement d'accord avec celle d'attac
Louis
 
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Message par pelon » 25 Oct 2003, 06:44

Où est l'article en question pour que l'on puisse juger sur pièce et pas d'après les avis des uns et des autres ?
pelon
 
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Message par Screw » 25 Oct 2003, 08:45

L'article en question est ici.
Screw
 
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Message par com_71 » 25 Oct 2003, 11:33

Caupo @ samedi 25 octobre 2003, 11:09 a écrit :Les juifs ce sont les pratiquants de la religion juive.

Si c'était aussi simple que ça...

- ce n'est l'avis des anti-sémites, pour qui l'identité juive est bien plus large que la pratique religieuse.
- ce n'était pas non plus l'avis général dans le mouvement ouvrier juif d'Europe centrale, largement socialiste et athée
- si c'était vrai une grande partie du personnel politique israélien, au moins à l'origine, aurait été non-juive

C'est comme le sionisme, on a en français un seul mot pour désigner :
- le sionisme "historique" d'avant la proclamation de l'état d'Israël.
- l'attachement "sentimental" à l'existence d'Israël.
- l'approbation de telle ou telle politique (celle de Sharon actuellement).

Toutes ces imprécisions sont largement utilisées par les réactionnaires de toutes origines...
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par stef » 25 Oct 2003, 11:48

Mon cher Com, c'est toi qui embrouille tout.

Le mot sioniste suffit tout à fait.

Notre propos ne devrait en aucun être de "différencier" entre les diverses chapelles sionistes. Car cette idéologie, sous quelque emballage qu'elle apparait aboutit toujours à la même chose : le martyre palestinien - que l'attachement à Israël soit "sentimental" ou militaire...

Il n'existe pas de "bon" sionisme, de sionisme tolérable et de sionisme intolérable. C'est toujours une idéologie de merde, raciste et qui doit être combattue comme telle. C'était d'ailleurs la position du mouvement ouvrier juif dont tu parles (le Bund) - même s'il ouvrait tout grand dans les faits la portes à l'influence des rabbins et de la bourgeoisie juive par son séparationnisme.

PS. Par contre il est vrai que le mot "juif" n'est pas utilisé en référence à une pratique religieuse exclusivement. Mais c'est tt à fait secondaire.
stef
 
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Message par Louis » 25 Oct 2003, 16:12

le probleme du sionisme dés son origine a été d'être selon sa propre définition de vouloir "une nation sans peuple pour un peuple sans terre". Or il ya eu dés le début, et quelque soit la tendance du sionisme (de droite, de gauche, voir d'extreme gauche) négation du peuple palestinien, et ce n'est évidemment pas fini

Pour en revenir a tarik ramadan, ce mec n'est vraiment pas ma tasse de thé (c'est le moins que l'on puisse dire) C'est cependant évident que sous couvert d'attaquer un texte qui contient forces ambiguité, on tente de criminaliser tout le mouvement anti sioniste, et plus particulierement le mouvement le plus progressiste/
Louis
 
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