(Combat Ouvrier a écrit :Zandronis et la question de "l'indépendance nationale"
Danyk Zandronis, responsable de la revue Caraïbe Créol News (CCN) qui paraît sur Internet et par ailleurs dirigeant du groupe indépendantiste FKNG (Fos pou Konstwi Nasyon Gwadloup - force pour construire la nation guadeloupéenne) a écrit un éditorial titré : "Lurel et les chemins de l'indépendance nationale de la Guadeloupe". Il est daté du 21 septembre 2012 .
Zandronis y rappelle d'abord les grandes étapes de la lutte des organisations anti-colonialistes de Guadeloupe, depuis les années 60. Il revient aussi sur la répression qui frappait la presse anti-colonialiste à cette époque .
Puis, l'éditorialiste de CCN passe à son analyse de la question du statut telle que selon lui elle est posée aujourd'hui. Il écrit notamment : "...Car il ne faut pas se voiler la face, la marche de la Guadeloupe vers son indépendance nationale est désormais inéluctable... D'autres croient naïvement que le projet guadeloupéen des Gillot-Lurel, " la collectivité unique ou l'assemblée unique, prônées par les deux VIP de "la gauche" conservatrice, made in Guadeloupe, sont les boucliers contre l'indépendance nationale. Ils veulent encore croire, que notre pays sera de plus en plus "[r]attaché" à la pseudo " mère patrie". Quel analphabète politique peut encore croire que la France libérale et sociale démocrate a encore les moyens de garder ses dernières colonies en l'état ?..." Et plus loin : "qui peut valablement croire que Lurel n'est là que pour tenter vainement de faire baisser les prix du carburant et des produits de première nécessité ?... Lurel est un ministre en stage... de futur chef d'état...Tous les indépendantistes guadeloupéens, martiniquais, kanaks, guyanais ont déjà parfaitement compris que tout va se jouer très prochainement. La case " assemblée-collectivité/unique est après la " régionalisation" l'ultime étape avant une indépendance néo coloniale."
La population antillaise et la question de l'indépendance
On peut toujours penser que "tout est possible", en politique comme dans d'autres domaines. Cependant, Zandronis va peut être vite en besogne dans ses spéculations.
Aujourd'hui, on ne peut pas dire que "la marche de la Guadeloupe versson indépendance nationale est inéluctable" en laissant entendre qu'elleestplus ou moins proche. Entendons nous bien : nous ne parlons pas d'autonomie mais d'indépendance.
Certes, les gouvernements français qu'ils soient de droite ou de gauche ne sont plus comme avant accrochés à la départementalisation à tout crin et prêt à réprimer par les armes, comme en 1967, tout mouvement anti-colonialiste. La période colonialiste de la canonnière est révolue. La politique outre-mer est aujourd'hui plus subtile. Elle consiste en une double orientation : d'une part, plus d'intégration à la république au nom de la diversité, ou de "la discrimination positive" et d'autre part, un désengagement contrôlé dans le but de faire des économies en cette période de crise. Mais n’était-ce pas le but de la régionalisation, que ce soit en outre mer ou en France même que de faire des économies d'état au détriment des Régions ? N'est-ce pas encore le but de la prochaine réforme territoriale ? Ou de l'assemblée unique en Martinique, en Guyane et en Guadeloupe ? Et tout cela sous couvert de donner aux régions de France plus de « responsabilité ». Ce à quoi s’ajoute, pour les régions d'Outre- mer, le fait de donner plus d'autonomie et d'illusionner la population sur une soi-disant direction de son propre territoire par elle même.
L'assemblée locale qui sortira des prochaines réformes territoriales aura certainement dans les années qui viennent et progressivement plus d'autonomie administrative dans les départements d'Outre-mer de Martinique, de Guyane ou de Guadeloupe. Car, avec l'aggravation de la crise, l'État français devra réaliser de plus en plus d'économies y compris sur "ses" départements et territoires d'Outre-mer".
Mais quant à la perspective l'indépendance, si le statu quo politique et social général actuel devait se prolonger encore plusieurs années, elle ne sera certainement pas aussi proche que Zandronis le laisse entendre. Car en Guadeloupe comme en Martinique, aujourd'hui, cette perspective n'est pasà l’ordre du jour, sauf bouleversements sociaux et politiques considérables mettant en mouvement les masses populaires, allant bien au delà des 44 (Guadeloupe)et des 38 ( Martinique) jours de grève en 2009. Et cela, pour la bonne raison, et ce n'est un secret pour personne, que la population dans son ensemble, aujourd'hui, est hostile à l'indépendance. Tous les votes de ces dernières années l'ont confirmé, y compris le référendum de 2003 sur la "collectivité territoriale," particulièrement en Guadeloupe avec 73% de "non". Certes il ne s'agissait pas de vote ou de référendum directs pour ou contre l'indépendance, mais ils ont exprimé malgré tout une tendance très nette. Et puis il suffit de discuter un tant soit peu avec des membres de la population pour se rendre compte du manque de crédibilité actuelle de l'idée d'indépendance.
Ce qui se passera dans un avenir lointain, c'est autre chose. En Guadeloupe, le vote massif, écrasant, en faveur de Lurel élu au premier tour de l'élection régionale de 2009, un an après la grève générale et l'émergence du LKP et de ses dirigeants alors extrêmement populaires en est une preuve. Au sein du LKP figurait la quasi totalité des organisations indépendantistes de l'île. La défaite de la liste Jalton, sur laquelle se trouvait un certain nombre de dirigeants du LKP montrait bien le choix fait par les votants. De même, le faible score de notre organisation, Combat Ouvrier, qui n'est pourtant pas " nationaliste" mais communiste révolutionnaire, dont la liste était dirigée par celui qui était qualifié de numéro deux du LKP, Jean Marie Nomertin. La population n'a pas plus fait de choix évident en notre faveur. Ne parlons pas du milieu composite et flou des abstentionnistes, très difficile à cerner. Les électeurs ont fait confiance à Lurel et au PS. Par voie de conséquence, ils ont fait le choix de voter pour le statu quo ou à la rigueur pour un changement administratif de type régional, Assemblée unique ou autre, le choix du statu quo politique et social.
Autant qu'on puisse se fier au suffrage universel actuel, il reflète malgré tout les tendances et comme le disait Engels, l'un des fondateurs avec Karl Marx du communisme, de la théorie révolutionnaire de l'émancipation des travailleurs au 19ème siècle, c'est malgré tout un « thermomètre » et comme tel il faut en tenir compte.
Alors, un changement à froid des masses, de l'opinion publique, sous la pression d'un personnel politique local devenant indépendantiste modéré, encouragé par le pouvoir central parisien ? C'est ce qui s'est produit naguère dans les îles de la Caraïbe sous domination britannique. Mais nous ne sommes plus à la même période d'une part, et d'autre part il faudrait un changement à 180 degrés de l'opinion des masses de Martinique et de Guadeloupe ! Ce qui n'est pas à l'ordre du jour !
La politique coloniale des gouvernements français aujourd'hui
Alors, le fait que Lurel ait été nommé ministre serait il une préparation à une "indépendance néo coloniale" ? Peut être ! Mais on ne peut l'affirmer avec la certitude de Zandronis. Ce dernier semble prendre d'ailleurs ses désirs pour une réalité.
Nous sommes loin de la fin des années cinquante et début 60 où des ministres africains du RDA (Rassemblement Démocratique Africain) étaient régulièrement nommés au gouvernement français pour les préparer à gouverner leur propre pays sous l'égide DE la France. N'oublions pas que ce montage politique du gouvernement français et des nationaux africains a commencé à l'époque des guerres coloniales, celle d'Indochine puis d'Algérie, de la guérilla camerounaise, des attentats au Maroc, de l'agitation en Tunisie et dans bon nombre de colonies françaises, puis de l'instabilité en France même. Il fallait donc pour le gouvernement français à l'époque une solution globale à la décolonisation.
Ensuite, les gouvernements français, pour contenir les nouveaux foyers de tension qui s'exprimaient aux Antilles contre le colonialisme français et sous la pression des luttes ouvrières et populaires, ont sorti la Martinique et la Guadeloupe de l'extrême misère et sous développement qui y existaient jusque dans les années 70. Et même si bien des séquelles coloniales subsistent : racisme, domination de la caste béké, chômage endémique etc.., rien n’est comparable entre la situation générale d'aujourd'hui et celle qui prévalait par exemple dans les années 1950 et avant.
Alors, concernant les changements institutionnels à venir comme la Collectivité ou l’Assemblée unique, on ne peut affirmer qu'il s'agit-là d'une étape vers une proche indépendance. Ces changements sont dans l'air du temps et s'apparentent plus à la réforme territoriale envisagée en France même qu'à une voie vers l'indépendance pour les départements et territoires d'Outre-mer. Lurel, pour le gouvernement français actuel, comme l'était Marie Luce Penchard pour Sarkozy n'est que "l'homme qu'il faut, au bon moment et à la bonne place" (the right man at the right place). On peut voir une certaine évolution depuis plusieurs années déjà dans le fait de mettre des ministres de couleur, issus des "dernières colonies" au gouvernement. C'était encore impensable il y a vingt ans. Quoique Félix Eboué, un Noir guyanais a bien été nommé gouverneur déjà en 1935- 1936 en Martinique et en Guadeloupe, nommé comme Lurel par un gouvernement socialiste.
Certes, la contestation générale de 2009 dans les dits " départements d'outre-mer" a accéléré et banalisé la promotion de ministres ou de ministrables antillais. Mais n'avait-elle pas commencé déjà avec Michaux Chevry, ministre de Chirac, et une femme ministre issue de l'île de la Réunion ?
Nous sommes plus en présence d'un montage politique et administratif de l'état français comme il en a échafaudé beaucoup, qu'une politique délibérée vers l'indépendance nationale.
La véritable émancipation des peuples
Ce sera aux masses populaires des Antilles et particulièrement aux travailleurs de choisir le moment où ils s'exprimeront directement en faveur de l'indépendance. Nous ne pouvons déterminer aujourd'hui quand et comment, par quelles voies, les travailleurs et les masses populaires s'exprimeront en ce sens et si même elles s'exprimeront en ce sens dans l'avenir.
Certes, si demain, la crise devait déclencher en retour des mouvements de colère très importants allant jusqu'à la remise en cause de l'état français aux Antilles par les travailleurs et les masses populaires, le devoir des révolutionnaires communistes et donc de notre groupe politique serait d'appeler les travailleurs à prendre la tête de la lutte pour l'indépendance afin de ne pas laisser le champ libre à la bourgeoisie nationaliste locale comme cela s'est produit dans presque toutes les anciennes colonies d'Afrique et de la Caraïbe anglophone. C'est déjà ce que nous affirmions dans notre manifeste en novembre 1965.
A Combat ouvrier nous nous battons pour l'émancipation totale des travailleurs et des peuples de Guadeloupe et de Martinique. Et cela ne peut être le fait que d'une révolution totale, une révolution qui ira jusqu'à l'élimination politique de la domination de la bourgeoisie, qu'elle soit blanche béké, "métropolitaine" ou antillaise noire ou indienne. Nous ne pouvons pas plus prévoir quand et comment une telle révolution se produira, mais ce dont nous sommes sûrs c'est qu'elle se produira dans le cadre d'une crise aigüe, cataclysmique de l'ensemble de la société et de l'économie capitaliste. Alors l'aboutissement de l'émancipation de nos peuples ne sera pas la seule « indépendance nationale».
Seule, une révolution socialiste peut être garante d'une véritable émancipation des peuples coloniaux comme de tous les autres peuples.
Si la formation d'états nationaux a pu être une nécessité à une certaine époque pour la domination de la bourgeoisie à l'échelle mondiale, aujourd'hui, la multiplication de petits états nationaux n'a plus rien de révolutionnaire. Ce qui est vraiment révolutionnaire c'est de placer la lutte des peuples dans le cadre de la révolution socialiste mondiale qui aura ses phases, certes, mais qui ira vers la constitution d'un état mondial débarrassé de la bourgeoisie et du capitalisme. Utopique ? Pas plus que de faire croire que "l'indépendance nationale" règlera même en partie les problèmes que connaissent nos peuples de Guadeloupe et de Martinique.
Quant au rythme auquel les choses évolueront, certes, l'histoire nous a habitués à des accélérations fulgurantes. Mais pour l'heure nous vivons plus une longue phase de stagnation historique et non l'inverse. Et il n'est pas inenvisageable de penser que les mêmes conditions objectives historiques qui pourraient accélérer un cours politique vers "l'indépendance nationale" (la crise économique) soient les mêmes qui permettront l'émergence des travailleurs sur la scène politique, celle d'un parti ouvrier révolutionnaire et la révolution ouvrière socialiste, premier pas vers l'édification de la société communiste.