Une histoire populaire de l'humanité.

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par pouchtaxi » 15 Fév 2012, 14:16

Un pavé de plus de 700 pages a été récemment traduit : « Une histoire populaire de l’humanité » de Chris Harman, auteur prolifique, décédé en 2009. Il fût longtemps l’un des dirigeants du SWP britannique.

Je n’ai pas tout lu mais je vais néanmoins me permettre quelques remarques éparses.

J’ai été étonné que C.H. dans les quelques lignes qu’il consacre à la philosophie grecque ne dise pas un mot des présocratiques. Thalès, par exemple, inaugure la « physique milésienne » et une description des phénomènes naturels qui ne s’appuie plus sur le mythe et la religion mais sur les propriétés immanentes de la nature. Cette rupture avec la pensée magique aurait trouvé sa place dans une histoire matérialiste de l’humanité. Il consacre tout de même une ligne à Démocrite et Héraclite.

Une coquille sympathique page 90. C.H. cite l’œuvre classique de Gibbon « Histoire de la décence (sic) et de la chute de l’empire romain ». Le traducteur doit encore en rire !

Je corrige une erreur que l’on trouve page 266. Dans un paragraphe consacré à l’astronomie, C.H. attribue à Héraclide du Pont (quatrième siècle avant notre ère) une hypothèse héliocentrique. Il confond sans doute avec Aristarque de Samos (troisième siècle avant notre ère). Héraclide est l’auteur d’une hypothèse sur le mouvement diurne de la Terre, c'est-à-dire sa rotation en 24 heures autour de son axe polaire. Ce n’est pas la même chose.

Dans le chapitre sur les années folles on lit deux phrases sur la relativité d’Einstein et la mécanique quantique qui, par leur brièveté et leur insertion dans un paragraphe concernant la philosophie et la culture, donne presque à penser que le but essentiel d’Einstein, Schrödinger ou bien Heisenberg était d’alimenter les philosophies irrationalistes du début du vingtième siècle !

C.H. attribue à Trotsky l’identité « Etat ouvrier »= « industrie nationalisée ». En stylistique on appelle cela une synecdoque. Trotsky écrivait en 1936 que la question de la nature sociale de l’URSS n’était pas tranchée, C.H. n’hésite pas à trancher quitte à écrire une bêtise.

Ni Tony Cliff ni C.H. n’auraient approuvé que l’on traduise « Russia » par « URSS ». Il semble que ce soit une décision de l’éditeur, pas du traducteur.

Certains passages sont assez bons, par exemple tout ce qui concerne la première guerre mondiale puis la révolution russe. C’est très condensé, comment faire autrement avec ce genre de livre, mais bien ficelé.

Ecrire une histoire de l’humanité en 700 pages condamne au schématisme pour au moins une partie des périodes traitées. C’est fâcheux. Toutefois je reconnais bien volontiers qu’il existe des résumés utiles et je tiens pour vraie l’affirmation de C.H. selon laquelle l’histoire ne doit pas être réservée à quelques spécialistes.

Malgré tout on peut se demander quel est le public visé.
pouchtaxi
 
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Message par luc marchauciel » 15 Fév 2012, 23:31

J'ai essayé de le lire l'an dernier, et j'ai arrêté assez vite, je trouvais ça vraiment trop mauvais. Mais je peux même plus dire précisément pourquoi, je me souviens juste que ça me semblait vraiment pas solide d'un point de vue historique.
Mais je crois qu'on en avait déja un peu parlé sur un autre fil, (je sais plus trop non plus)
luc marchauciel
 
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Message par Jacquemart » 02 Sep 2012, 15:28

Je m'y suis collé cet été - pas jusqu'au bout, mais jusqu'à la fin du XIXe. Pareil que Luc et Pouchtaxi, j'ai trouvé ça pas terrible. En gros, le truc qui me fait craindre le pire, c'est que les chapitres que j'ai trouvé les meilleurs sont ceux sur lesquels je connais le moins le sujet. Mais chaque fois que j'avais un peu de billes sur un thème, je trouvais le bouquin quelque part entre moyen et carrément faux.

En gros, j'ai eu le sentiment d'un truc pas vraiment maîtrisé, où l'auteur, utilisant ses facilités et sa culture générale, faisait pour chaque chapitre une compilation plus ou moins réussie d'une demi-douzaine de lectures choisies avec plus ou moins de bonheur.
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Message par sylvestre » 03 Sep 2012, 15:55

Ce n'est évidemment pas sur l'exactitude des détails qu'on doit avant tout juger une pareille entreprise, mais sur sa vision d'ensemble, sur laquelle vous restâtes muets.

L'intérêt fondamental du livre c'est l'application à l'histoire de l'humanité, d'abord de la conception matérialiste de l'histoire, et sous l'angle de la lutte de classes, ensuite, et c'est plus original, de la conception du développement inégal et combiné - au plan technique, et également idéologique, comme Trotsky l'avait exposée.
sylvestre
 
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Message par artza » 20 Jan 2013, 14:42

Voilà quelques éléments de discussions:
http://cdarmangeat.blogspot.fr/2013/01/not...-populaire.html
artza
 
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Message par sylvestre » 21 Jan 2013, 08:54

(artza @ dimanche 20 janvier 2013 13:42 a écrit : Voilà quelques éléments de discussions:
http://cdarmangeat.blogspot.fr/2013/01/not...-populaire.html

CD est toujours aussi scolastique, je vois. Il faut quand même être particulièrement rétif à la conceptualisation de l'histoire comme un processus de transformation qui n'empêche pas pour autant de pouvoir distinguer différents stades pour pouvoir écrire des choses comme

a écrit :Concédons bien volontiers que l’État est effectivement un phénomène largement, sinon totalement, corrélé aux classes ;il reste que ses prémisses, tout comme les inégalités matérielles – et l’esclavage, qui en représente une forme particulière –, sont très loin d’avoir attendu les classes sociales achevées pour apparaître.


Les "classes sociales achevées", voilà une bien belle idée. J'avoue ne pas bien voir à quoi cet "achèvement" peut ressembler, surtout "très loin" après l'apparition de l'esclavage.
sylvestre
 
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Message par shadoko » 21 Jan 2013, 09:31

(Sylvestre a écrit :
CD est toujours aussi scolastique, je vois. Il faut quand même être particulièrement rétif à la conceptualisation de l'histoire comme un processus de transformation qui n'empêche pas pour autant de pouvoir distinguer différents stades

Pour avoir lu certains de ses ouvrages (presque tous, sans doute), le reproche me paraît tout-à-fait déplacé.

Enfin, il a au moins le mérite d'être assez clair, et je n'ai pas l'impression que ce soit le cas de ton message précédent, où j'ai bien du mal à comprendre le lien entre le reproche que tu fais et le passage que tu cites.

Quand on n'est pas rétif au fait de distinguer certains stades dans l'histoire, on distingue en particulier un stade, celui du protozoaire, pendant lequel il n'y avait probablement pas de classes sociales (mais bon, je m'avance peut-être). Aujourd'hui, il y en a, et les marxistes ont passé un bout de temps à en décrire des caractéristiques désormais classiques. C'est ce que l'auteur appelle probablement les classes sociales "achevées", c'est-à-dire enfin munies de ces caractéristiques qui les définissent. Et puis comme on n'est pas rétif non plus à voir l'histoire comme un processus de transformation, on se demande si on a sauté du protozoaire aux classes sociales "achevées", et on se pose des questions sur l'apparition de ces classes et des structures de la société moderne, comme l'Etat.

Parfois, il faut tenter de comprendre la pensée de l'auteur, au-delà d'un mot qui aurait pu être plus précis (en effet, "achevé", ça ne veut pas dire qu'elles n'évoluent plus du tout).
shadoko
 
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Message par sylvestre » 21 Jan 2013, 10:46

(shadoko @ lundi 21 janvier 2013 08:31 a écrit :
(Sylvestre a écrit :
CD est toujours aussi scolastique, je vois. Il faut quand même être particulièrement rétif à la conceptualisation de l'histoire comme un processus de transformation qui n'empêche pas pour autant de pouvoir distinguer différents stades

Pour avoir lu certains de ses ouvrages (presque tous, sans doute), le reproche me paraît tout-à-fait déplacé.

Enfin, il a au moins le mérite d'être assez clair, et je n'ai pas l'impression que ce soit le cas de ton message précédent, où j'ai bien du mal à comprendre le lien entre le reproche que tu fais et le passage que tu cites.

Quand on n'est pas rétif au fait de distinguer certains stades dans l'histoire, on distingue en particulier un stade, celui du protozoaire, pendant lequel il n'y avait probablement pas de classes sociales (mais bon, je m'avance peut-être). Aujourd'hui, il y en a, et les marxistes ont passé un bout de temps à en décrire des caractéristiques désormais classiques. C'est ce que l'auteur appelle probablement les classes sociales "achevées", c'est-à-dire enfin munies de ces caractéristiques qui les définissent. Et puis comme on n'est pas rétif non plus à voir l'histoire comme un processus de transformation, on se demande si on a sauté du protozoaire aux classes sociales "achevées", et on se pose des questions sur l'apparition de ces classes et des structures de la société moderne, comme l'Etat.

Parfois, il faut tenter de comprendre la pensée de l'auteur, au-delà d'un mot qui aurait pu être plus précis (en effet, "achevé", ça ne veut pas dire qu'elles n'évoluent plus du tout).
Je comprends que tu n'es pas obligé de comprendre d'où vient ma critique. Je précise donc que ce que tu exposes dans ton message sont pour moi des banalités de base.

J'essaie d'aller plus loin : je dis que la conception dialectique de l'histoire signifie qu'on peut certes établir qu'à un moment comme le nôtre des classes sociales existent, et d'autres (les protozoaires, mettons) où elles n'existent pas. Mais dire qu'elles sont "achevées" n'a aucun sens : elles sont en flux constant, et la lutte des classes signifie que les germes de leur abolition sont à l'œuvre au même moment où leur existence est la plus évidente.

Ceci est bien évidemment encore bien plus sensible durant toute la période qui se situe entre le communisme primitif et les sociétés de classe, durant laquelle les rapports sociaux connaissent aussi des variations, des fluctuations, etc. Cela est vrai des classes sociales comme de l'Etat, processus complexe et jamais achevé. C'est pourquoi reprocher à Harman de simplement corréler apparition des classes sociales et de l'Etat (le pauvre ne pouvait guère faire plus dans le très court chapitre consacré à la période) me semble un exemple clair de mauvaise foi scolastique.

Si on ajoute à cela la distinction curieuse entre sociétés esclavagistes et sociétés de classe, ça rajoute une impression de fâcheuse confusion.
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Message par Jacquemart » 21 Jan 2013, 11:01

a écrit :C'est pourquoi reprocher à Harman de simplement corréler apparition des classes sociales et de l'Etat (le pauvre ne pouvait guère faire plus dans le très court chapitre consacré à la période) me semble un exemple clair de mauvaise foi scolastique.

Sûrement, si ça avait été le cas, mais voilà ce qu'on lit dans le blog en question :
a écrit :Concédons bien volontiers que l’État est effectivement un phénomène largement, sinon totalement, corrélé aux classes

Alors, si c'est ça la bonne foi... :33:
Et sur le fond :
a écrit :Si on ajoute à cela la distinction curieuse entre sociétés esclavagistes et sociétés de classe, ça rajoute une impression de fâcheuse confusion.

Juste une question : les Iroquois avaient des esclaves. Étaient-ils une société de classes ?
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Message par sylvestre » 21 Jan 2013, 14:28

(Jacquemart @ lundi 21 janvier 2013 10:01 a écrit :
a écrit :C'est pourquoi reprocher à Harman de simplement corréler apparition des classes sociales et de l'Etat (le pauvre ne pouvait guère faire plus dans le très court chapitre consacré à la période) me semble un exemple clair de mauvaise foi scolastique.

Sûrement, si ça avait été le cas, mais voilà ce qu'on lit dans le blog en question :
a écrit :Concédons bien volontiers que l’État est effectivement un phénomène largement, sinon totalement, corrélé aux classes

Alors, si c'est ça la bonne foi... :33:


La bonne foi consisterait à citer ce qui suit immédiatement :
a écrit :il reste que ses prémisses, tout comme les inégalités matérielles – et l’esclavage, qui en représente une forme particulière –, sont très loin d’avoir attendu les classes sociales achevées pour apparaître. Elles les ont même souvent précédées de plusieurs millénaires, définissant un type social à part entière, aussi éloigné du communisme primitif (économiquement égalitaire) que des sociétés de classe, mais empruntant des traits à ces deux catégories fondamentales.  (...) Tout cela disparaît totalement dans le texte de Chris Harman, où le vocable de « communisme primitif » est étendu jusques et y compris aux sociétés nettement stratifiées que l’ethnologie américaine qualifie de « chefferies ».


Peut-être l'auteur s'est-il mal exprimé, et trouve-t-il naturel et inévitable que "tout cela disparaisse" dans un texte qui n'a pas vocation à détailler la transition du communisme primitif aux sociétés de classes, mais d'en donner un bref résumé ?

Non, visiblement ce n'est pas le cas, puisque dans l'introduction de l'article on peut lire :

a écrit :Il ne s’agit évidemment pas d’intenter de mauvais procès. Résumer en quelques paragraphes des processus aussi divers que mal connus, sans même parler de les éclairer par des raisonnements corrects, tient bien entendu de la gageure. On ne saurait donc reprocher à l’auteur d’avoir payé le prix de toute vulgarisation, et d’avoir commis ici certaines généralisations un peu hâtives, là certaines approximations ou certaines omissions mineures. On est en droit en revanche d’attendre que ces simplifications ne faussent pas le tableau général. Or, c’est là que le bât blesse, et que l’image qui est donnée de l’évolution sociale préhistorique est entachée de biais qui la rendent difficilement acceptable.





a écrit :Et sur le fond :
a écrit :Si on ajoute à cela la distinction curieuse entre sociétés esclavagistes et sociétés de classe, ça rajoute une impression de fâcheuse confusion.

Juste une question : les Iroquois avaient des esclaves. Étaient-ils une société de classes ?


Dans la mesure où ils avaient des esclaves, ils faisaient partie d'une société de classes. Evidemment si on a une conception où quand on possède 499 esclaves on est pas dans une société de classe, mais quand on en possède 500 on est dans une société de classe ("achevée" !), cela peut être difficile à comprendre.
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