Louis Gill

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par logan » 11 Nov 2010, 11:30

Je vous conseille vivement la lecture des articles de Louis Gill pour mieux comprendre la crise actuelle.

Pour Gill, la crise actuelle est aussi destructrice que celle de 1929... bien qu'elle ressemble davantage à la grande crise de 1873, débutant par un effondrement des prix de l'immobilier.

Surtout Gill porte un regard critique sur d'autres economistes et leurs modes de calcul du profit. Il montre qu'une partie croissante des profits est générée par le secteur financier.

Je vous conseille en particulier

A l'origine des crises

Les faux pas de Bihr et Husson

La realité contemporaine face à l'analyse marxiste
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Message par pouchtaxi » 11 Nov 2010, 13:47

Il est toujours utile de lire Louis Gill.

Juste un bémol à propos de l’article critique sur Bihr et Husson qui a été publié dans la revue « Carré Rouge ». Gill recycle un raisonnement qu’il avait déjà tenu dans son livre : « Fondements et limites du capitalisme » chez Boréal.

Il s’agit du problème de la baisse tendancielle du taux de profit. L. Gill critique, à juste titre, la position de Husson qui d'ailleurs n'est pas nouvelle. Gill tient absolument à évaluer la composition organique par c/(v+pl) au lieu du traditionnel : c/v. Il y en a eu d’autres avant lui par exemple Gérard Bloch et même Lipietz (oui c’est bien le vert !) à l’époque où ce dernier croyait que l’école de la régulation était le summum du radicalisme en économie.

Gill en déduit, de manière très semblable au raisonnement classique, la baisse tendancielle du taux de profit par une manipulation élémentaire sur la fraction pl/(c+v). Je renvoie les camarades intéressés au texte ainsi qu’au livre pour les détails du calcul. Le diable se cachant dans les détails, les déductions de Gill, à partir de certaines majorations, sont tout bonnement fausses. Mais ce n’est qu’un détail secondaire.

Qu’on puisse sérieusement croire qu’une tendance historique du mode de production puisse se résoudre en un calcul de fraction pour collégien révèle une dose considérable de naïveté. C’est une chose d’utiliser les ressources des mathématiques dans un contexte indicatif, c’en est une autre que de prétendre « déduire » par un calcul la baisse tendancielle, ce qui de toute évidence requiert une formalisation mathématique satisfaisante du processus d’ensemble de la lutte des classes. Ce dont, à ma connaissance nous sommes loin !

Par ailleurs, mais la encore, je renvoie au livre cité ci-dessus, les raisonnements mathématiques de Gill font complètement disparaître l’intervention des contre-tendances ( que Louis Gill ; connaît parfaitement) dont discute Marx après avoir exposé la loi de la baisse tendancielle.(Le Capital , livre 3, chapitre XIII et XIV). Cela confère à la présentation par Gill de la loi de la baisse tendancielle un caractère mécaniquement déterministe d’un schématisme extrême.
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Message par Jacquemart » 11 Nov 2010, 16:43

Juste pour savoir : connais-tu une présentation de la loi de la baisse tendancielle de la baisse du taux de profit qui te sois paru satisfaisante ?

Parce qu'indépendamment des faiblesses réelles ou supposées des versions des uns et des autres, j'avoue que ton argument sur les mathématiques me laisse assez songeur - et que si quelqu'un méritait ce reproche, ce serait Marx lui-même.

Lorsqu'on dit qu'il existe une loi qui fait baisser un taux (de profit ou d'autre chose), on énonce qu'on le veuille ou non un calcul de fraction (fatalement, pour collégien). Alors, soit ensuite, on se donne les moyens d'expliciter ses hypothèses pour vérifier que la conclusion s'en déduit bel et bien. Soit on laisse tout cela dans le flou en disant que "la loi se vérifie"... sans preuves.

:33:
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Message par sylvestre » 12 Nov 2010, 10:36

Les textes de Gill sont effectivement excellents, et offrent une saine riposte aux dérives de Michel Husson.
J'ai aussi remarqué dans le texte "Les faux pas d’Alain Bihr, les dérives de Michel Husson”, excellent à tous autres égards, un problème autour de la définition de la composition organique. Ce n'est pas le même que pouchtaxi - Jacquemart a bien sûr raison de remarquer quand on parle de taux, on parle nécessairement de fractions.
Dans ce passage Gill essaie de contrer le raisonnement de Husson selon lequel la hausse de la "productivité du capital" (c'est à dire l'amélioration des moyens de production) serait un facteur antagoniste à la baisse tendancielle du taux de profit. Husson a effectivement tort, mais Gill lui répond avec une autre erreur : il s'emmêle les pinceaux en remettant en cause la définition de base de la composition organique c/v.
La vraie réponse à cette thèse d'Husson se trouve notamment dans les les travaux d'Andrew Kliman, qui a fait un excellent boulot de rétablissement de la théorie marxiste sur ce point.

On peut la résumer par l'exemple numérique suivant :

En 2000, je suis un industriel parmi d'autres qui fabrique des Bidules.

J'achète 10 machines de 10 000 € chacune pour 100 000 €, paie 10 ouvriers pendant un an et les paie 10 000 € chacun pour l'année, soit 100 000 € dépensés en salaires. Ma production est de 300 000 Bidules, dont le prix unitaire est de 1 €. J'ai donc une composition organique du capital de 1/1, et un profit de (300 000/200 000) -1= 50%, ce qui est le profit moyen de mon industrie.

En 2010 un fournisseur de machines vient me voir et me fait une offre alléchante : il peut me vendre les mêmes machines dont j'ai besoin moitié moins cher. Chaque machine demande un ouvrier, donc je paierais toujours 100 000 € en machines, mais cette fois j'aurais 20 machines, et j'emploierais 20 ouvriers, et paierais donc 200 000 € en salaires. Ma production serait double de celle de 2000 : 600 000 bidules. Leur prix serait toujours le même, car je serais le seul à utiliser ces nouvelles machines bon marché, je ferais donc un profit de (600 000/300 000) - 1 = 100 %.

Très intéressant ! Mais un autre fournisseur me propose quant à lui des machines qui valent un peu plus cher que la précédente, 15 000 € chacune, mais qui permettent de produire deux fois plus de bidules, toujours avec un ouvrier par machine. Je fais mes calculs et opte pour cette solution : 150 000 € en machines, toujours dix ouvriers donc 100 000 € en salaires, production de 600 000 Bidules valant 1 € chacun, profit de (600 000/250 000) - 1 = 140 %. Je suis aux anges

En 2011 cependant je déchante : tous mes rivaux ont eu l'idée simple de me copier, ils ont tous les mêmes machines. En conséquence le prix du bidule décroit. A nouveau, comme en 2000, pour moi comme pour tout le monde chaque année de travail d'un ouvrier ajoute 20 000 € à la valeur du capital constant employé (des machines), dont 10 000 € partent en salaires. J'ai donc toujours 150 000 € en machines, 100 000 € en machines, production de 600 000 Bidules, mais ceux ci ne valent plus que 0,58 centimes chacun, pour une valeur totale de 350 000 €. Mon profit est alors de (350 000/250 000)- 1 = 40 %, nouveau profit moyen de mon industrie.

Cette baisse du profit moyen est directement liée à la hausse de la composition organique (1/1 en 2000, 1,5/1 en 2011). Pourtant le choix du premier capitaliste qui utilise cette composition organique plus élevée est parfaitement rationnel, comme l'est celui de ses concurrents qui s'alignent sur lui pour ne pas lui succomber dans le cadre de la concurrence.

Jacquemart :
a écrit :Soit on laisse tout cela dans le flou en disant que "la loi se vérifie"... sans preuves.


Je ne sais pas à qui tu penses, en tout cas le débat récent sur le taux de profit de la part des différents intervenants - Husson, Bihr, Chesnais, Harman, Kliman, etc. se situe aussi sur le plan empirique, avec différentes statistiques étudiées de part et d'autre, ou les mêmes analysées de différentes manières (une fois de plus se vérifie le principe suivant lequel théorie et constat empirique sont en unité dialectique).
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Message par pouchtaxi » 12 Nov 2010, 21:34

(Jacquemart @ jeudi 11 novembre 2010 à 15:43 a écrit :Juste pour savoir : connais-tu une présentation de la loi de la baisse tendancielle de la baisse du taux de profit qui te sois paru satisfaisante ?


Précisément celle de Marx dans "le Capital", car il discute des contre-tendances ce que Gill efface dans son calcul de la page 549 de son bouquin que néanmoins je recommande.

Quant au fait qu'un taux soit une fraction je vous remercie tous les deux de me le rappeler !
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Message par Jacquemart » 12 Nov 2010, 21:42

Si je comprends bien, "l'excellent" boulot de Kliman se laisse résumer à un exemple numérique où la conclusion découle tout naturellement du choix parfaitement idoine des chiffres de départ ? :roll:
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Message par Jacquemart » 12 Nov 2010, 23:45

a écrit :Précisément celle de Marx dans "le Capital"

:blink:

J'ai du mal à te suivre.

Où Marx démontre-t-il, par exemple, que la tendance (l'augmentation du nombre des machines par travailleur) l'emporte sur la contre-tendance (la baisse de valeur de ces machines suite aux progrès de productivité) ?
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Message par logan » 13 Nov 2010, 10:09

a écrit :Qu’on puisse sérieusement croire qu’une tendance historique du mode de production puisse se résoudre en un calcul de fraction pour collégien révèle une dose considérable de naïveté. C’est une chose d’utiliser les ressources des mathématiques dans un contexte indicatif, c’en est une autre que de prétendre « déduire » par un calcul la baisse tendancielle, ce qui de toute évidence requiert une formalisation mathématique satisfaisante du processus d’ensemble de la lutte des classes. Ce dont, à ma connaissance nous sommes loin !


Pour préciser la discussion, le noeud de l'affaire est là il me semble

Marx ne se contente pas de dire que le taux de profit du capital doit baisser tendanciellement.

C'est l'aboutissement de tout un raisonnement sur la nature des marchandises, sur leur valeur et la nature du travail fourni dans un cadre capitaliste.

Ce qui est intéressant c'est que Marx montre ainsi que "la limite du capital c'est le capital lui-même". La crise actuelle ne surprend pas les marxistes.

Par contre, parmi les économistes médiatiques aujourd'hui, aucun n'est capable (ou ne veut) d'esquisser un début d'analyse du système. Il faut dire que parmi eux un bon nombre a prétendu que les crises étaient désormais impossibles blablabla
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Message par sylvestre » 15 Nov 2010, 14:57

(Jacquemart @ vendredi 12 novembre 2010 à 20:42 a écrit : Si je comprends bien, "l'excellent" boulot de Kliman se laisse résumer à un exemple numérique où la conclusion découle tout naturellement du choix parfaitement idoine des chiffres de départ ?    :roll:

Tu comprends mal :

- Ce n'est pas spécialement le travail de Kliman que je résume (ou plutôt, illustre) avec mon exemple, c'est la théorie marxiste de la baisse tendancielle du taux de profit.

- Un exemple numérique peut avoir une valeur pédagogique, mais il ne remplace pas une théorie, Marx le savait bien qui passe constamment de l'un à l'autre dans le Capital. Une des limites inévitables de l'exemple numérique est qu'il utilise des données chiffrées ! De plus on simplifie nécessairement les choses : dans mon exemple pas d'inflation, pas de fluctuation de la population, pas de secteur non-capitaliste, etc.
Par conséquent la critique est facile de dire que mon exemple est construit ad hoc pour la théorie que je défends. En fait un exemple numérique honnête (et je pense que le mien l'est) a quand même le souci d'éviter des cas de figure qui contredisent de façon flagrante la réalité généralement observée sur les points qui sont en discussion. Autrement dit pour que mon exemple soit trompeur il faudrait que les changements dans la technologie qui font diminuer la composition organique (et mon exemple montre qu'il ne suffit pas que les machines baissent de valeur) soient assez fréquents pour contrer généralement, ou au moins souvent, la tendance que mon exemple décrit. En fait ce n'est pas le cas.


Voir là-dessus : http://www.wikirouge.0fees.net/Capital_par_t%C3%AAte






Il n'en reste évidemment pas moins intéressant de garder à l'esprit qu'il existe des facteurs antagonistes à la baisse tendancielle du taux de profit, cependant il ne faut pas que cela masque le fait que ces facteurs n'ont pas dans la réalité généralement observée une action comparable à la baisse tendancielle (et c'est bien pour ça qu'on parle de baisse tendancielle d'une part, de facteurs antagonistes d'autre part). La seule chose qui réussit à rétablir sérieusement le taux de profit sur une période un peu longue, c'est la crise, la destruction de capitaux : c'est pourquoi on ne peut pas se séparer la théorie marxiste de la baisse tendancielle du taux de profit de sa théorie des crises.
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Message par pouchtaxi » 15 Nov 2010, 20:47

(Jacquemart @ vendredi 12 novembre 2010 à 22:45 a écrit :Où Marx démontre-t-il, par exemple, que la tendance (l'augmentation du nombre des machines par travailleur) l'emporte sur la contre-tendance (la baisse de valeur de ces machines suite aux progrès de productivité) ?

Allons donc, tu me suis très bien !

Nulle part justement. Les contre-tendances contrarient la tendance à la baisse du taux de profit. C'est un fait. Il n'y a aucune preuve formelle que les contre-tendances agissent "moins" que la tendance à l'augmentation de la composition organique, c'est pourquoi toute tentative de se débarrasser de ces contre-tendances est schématique, ce à quoi échappe Marx.

La loi de la baisse tendancielle n'est pas un "mécanisme" comme la loi de l'attraction universelle, c'est l'expression d'un processus contradictoire dans lequel s'oppose des classes sociales. Les variations du taux de profit ne sont pas les fluctuations d'une fonction mathématique mais résultent des rapports de force entre classes.
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