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CITATION
LES SOCIALISTES ET LE MOUVEMENT
DE LIBÉRATION DE LA FEMME 2/73
C'est un fait acquis : depuis deux ans déjà le M.L.F. (Mouvement de Libération de la
Femme) défile, en France, aux côtés des révolutionnaires lors du traditionnel cortège du
1 er Mai. De la part du M.L.F., il s'agit là d'une option politique. Le M.L.F. qui se veut l'expression
de la révolte des femmes contre l'ordre établi et oppresseur se range donc délibérément
dans le camp des contestataires, dans le camp de ceux qui veulent renverser
cet ordre. Et si le M.L.F. se joint au cortège des révolutionnaires et non à celui des partis
de la «gauche» traditionnelle en France, Parti Communiste Français et Parti Socialiste,
c'est à l'évidence parce qu'il ne trouve dans ces partis ni l'écho de la révolte des femmes
ni surtout la volonté de renverser l'ordre établi.
Il y a beau temps que le Parti Communiste Français à l'instar du Parti soviétique a
tourné le dos à la lutte pour la libération de la femme et s'est trouvé des raisons pour
exalter le culte de la famille, de la maternité et du puritanisme. La réaction stalinienne
dans le domaine des moeurs et de la morale a coïncidé en France avec le désir de respectabilité
et les efforts manifestes du Parti Communiste pour se faire accepter par la
bourgeoisie comme un parti national à part entière. Dans son désir de ne pas choquer le
bourgeois et de cultiver les «vertus patriotiques qui font la grandeur d'une nation», le
P.C.F. s'est placé délibérément dans le camp du conservatisme moral. Il s'est même
trouvé dépassé par les mouvements féministes bourgeois qui prônaient en France la
liberté anticonceptionnelle, le planning familial et le droit à l'avortement. Pendant des
années le P.C.F. a eu une position plus qu'ambiguë sur la contraception, qu'il présentait
par ses soins comme une arme des bourgeois pour se prémunir contre les enfants des
prolétaires ! Il a fallu l'élection présidentielle de 1965 et la démagogie de Mitterrand vis-à-
vis de l'électorat féminin pour amener le P.C.F. à réviser peu à peu son optique et à
défendre dans une certaine mesure le droit à l'avortement et à la contraception.
Aujourd'hui, ces droits élémentaires qui sont effectifs dans bien des pays capitalistes,
figurent dans le programme commun. Il était temps. Mais en fait la conception du P.C.F.
sur la femme n'a pas changé. Cela se voit, dans ses publications, et dans les revendications
mises en avant par la C.G.T., la centrale syndicale liée au P.C.F. Quand le mouvement
syndical parle de la femme, c'est pour la protéger dans son rôle de mère, tenter de
lui obtenir des congés spéciaux pour soigner ses enfants, exiger la retraite pour les
femmes cinq ans avant les hommes, afin de compenser l'usure de la double journée, ou
encore revendiquer des horaires spéciaux ou à la carte afin de leur permettre d'accomplir
plus facilement les tâches de cette deuxième journée familiale.
En aucun cas la révolte des femmes ne peut se satisfaire de ce conformisme puritain
qui n'est au mieux qu'un aménagement de la situation actuelle et qui tourne le dos aux
véritables problèmes de l'oppression des femmes et à leur libération.
Rien d'étonnant dans ces conditions que le courant féministe se soit détourné des
partis et organisations traditionnels du mouvement ouvrier. Mais si le M.L.F. se veut partie
prenante du mouvement révolutionnaire, les militantes féministes, au lieu de rejoindre
les organisations révolutionnaires ont, au contraire, décidé de s'organiser à part et
d'ériger en principe la non-mixité de leur mouvement.
POURQUOI CETTE VOLONTÉ D'INDÉPENDANCE ?
Ce n'est pas, semble-t-il, une question de programme. D'ailleurs, il n'y a pas de programme
du M.L.F. Les solutions, les revendications mises en avant, les analyses ou les
essais «théoriques» de tel ou tel groupe du M.L.F., ne sont pas rassemblés dans un programme
unique. Dans certains groupes on insiste sur l'action parmi les femmes travailleuses
et le lien de la révolte des femmes avec la lutte de classe. Dans d'autres on
souligne l'oppression dite «sexiste», l'exploitation de la femme en tant qu'objet sexuel,
on revendique le droit au plaisir, à la liberté sexuelle, à l'homosexualité. Dans d'autres
encore on passe à l'action directe en organisant des crèches sauvages. Il se dégage
cependant un certain nombre de points d'accord ; ce sont, outre la non-mixité et l'autonomie
du mouvement des femmes, la dénonciation du patriarcat, la dénonciation de
l'exploitation de la femme en tant qu'objet sexuel et objet de consommation et la lutte
résolue pour l'avortement libre et gratuit.
Il s'agit là de problèmes qui font sinon l'unanimité du M.L.F. du moins sa relative unité.
Le reste est localisé, diversifié, ce que fait ou ce que revendique tel ou tel groupe n'est
pas toujours porté à la connaissance de tous. On trouve cependant dans les revendications
des groupes M.L.F., pêle-mêle : des crèches gratuites 24 heures sur 24 un
salaire égal pour un travail égal le développement de tous les équipements sociaux-culturels
accès des femmes à tous les cours y compris l'enseignement supérieur
;l'enseignement mixte; l'ouverture des cours de puériculture et d'enseignement ménager
aux hommes congés de maternité après l'accouchement et pour soigner les
enfants, à prendre indifféremment par les hommes comme par les femmes; recyclage
salarié des femmes qui retournent à la production; reconnaissance de l'union
libre; reconnaissance de la sexualité à tout âge par l'abolition du statut de mineur; éducation
sexuelle généralisée, abrogation des lois sur l'adultère; abolition de toutes les
institutions baptisées sexistes : noyau familial, mariage, etc...
Comme on le voit, l'immense majorité de ces revendications font partie du programme
des révolutionnaires. La formulation est seule parfois modernisée ce qui ne les
rend pas plus claires, mais le contenu est aussi vieux que la doctrine socialiste elle-même.
Sur l'oppression de la femme, Fourrier, Engels, Bebel, Lénine, pour ne citer que
les plus connus, ont écrit des pages violentes, Plus violentes que bien des confidences
et défis publiés par le M.L.F. La situation faite dans nos sociétés à la femme et à la jeunesse
est un des scandales permanents de l'organisation sociale fondée sur la propriété
privée. Elle est l'illustration la plus claire de la dégradation des sociétés primitives sous
le poids de la nécessité économique. Les socialistes qui ont analysé l'évolution des formes
d'organisations sociales prises par l'humanité au cours de son histoire, ont
dénoncé avec force l'oppression dont souffrait la femme, l'inégalité des droits, l'inégalité
des conditions, l'infériorité sociale, la répression sexuelle qui frappait en priorité: les
femmes, le puritanisme odieux de ces sociétés où le plaisir sexuel était banni ou ne subsistait
le plus souvent que pour l'homme sous cette forme dégradée de l'amour physique
qu'est la prostitution. Ils ont dénoncé systématiquement le rôle de la famille et de l'institution
du mariage. Ils ont démontré l'aspect aberrant d'une organisation sociale qui laissait
aux cellules familiales la tâche d'élever et d'éduquer les nouvelles générations
d'hommes et de femmes et qui a érigé l'égoïsme familial en principe sacré. Ils ont
dénoncé l'esclavage domestique de la femme, le caractère usant et monotone, abrutissant
de ces tâches ménagères qui devraient depuis si longtemps être socialisées. Ils ont
mis en évidence l'énorme gaspillage de temps, de travail et de dévouement que constitue
la répétition, dans des millions de foyers séparés, des mêmes tâches restées artisanales
et contraignantes.
Ils ont dénoncé tout cela bien avant les féministes. Et ils l'ont fait plus complètement
que ne peuvent le faire les organisations du M.L.F. Ce n'est donc pas sur ce terrain que
peuvent se situer les divergences avec le M.L.F., du moins avec les militantes qui au
M.L.F. se veulent marxistes et révolutionnaires et qui pourtant militent dans une organisation
féministe. Dans bien des pays et notamment aux Etats-Unis, de nombreuses tendances
de Woman's Liberation, sont loin d'adhérer à la doctrine socialiste et leur refus
de s'engager politiquement aux côtés des organisations d'extrême gauche éclaire la
nature de leur mouvement. En France, on l'a vu, le M.L.F. dans son ensemble, même si
ce n'est pas le cas pour chaque militante en particulier, est allé plus loin. Il a fait un choix
politique et il l'a fait spectaculairement. Rien ne permet jusqu'ici de penser qu'il s'agit
d'une décision circonstancielle et qui pourrait par conséquent être remise en question.
En France, le M.L.F. se veut une organisation révolutionnaire de femmes, une organisation
qui refuse de s'affilier politiquement à aucune autre et qui défend farouchement
son indépendance.
Les raisons qui poussent le M.L.F. à refuser toute filiation politique sont diverses et
varient selon les groupes. Il y a d'abord, et c'est le plus frappant, le refus de toute structure
organisationnelle centralisée. En ce domaine le M.L.F. propage les opinions du
courant spontanéiste, c'est-à-dire anarcho-maoïsant. On y retrouve les idées des militants
de Vive la Révolution (V.L.R.) qui voyaient dans toute organisation structurée un
principe d'autorité risquant de mener à la dégénérescence bureaucratique (et qui sont
allés jusqu'au bout de leurs convictions en décrétant la dissolution de leur organisation,
pour mieux se fondre dans le mouvement de masse). Cela se traduit dans le M. L. F. par
un refus systématique de tout ce qui peut ressembler à une direction et par une volonté
farouche d'autonomie des groupes les uns par rapport aux autres. Le journal national
«Le Torchon Brûle»se veut l'exact reflet de ces principes anti-autoritaires. Le comité de
rédaction du journal n'est pas permanent, il change à chaque fois, le journal lui-même
n'est pas le produit d'une équipe même provisoire qui risquerait d'imposer ses idées à
l'ensemble des militantes, il se borne à rassembler et à publier quand il le peut les textes
qui parviennent des groupes de base, sans censure ni choix préalables. Les groupes de
base, le terme est impropre puisqu'il n'y a selon le M.L.F. que des groupes de base,
mènent les activités libres, cela va du «groupe de prise de conscience», au «groupe de
quartier», en passant par toutes les variétés de réunions, assemblées générales, travail
d'analyse et de publication, etc... Bref, le M.L.F. a une pratique et une idéologie
anarchisantes ce qui déjà donne à son refus de rejoindre les groupes socialistes révolutionnaires
un sens politique précis.
Il y a d'autres raisons encore. Certaines militantes qui ont fait leurs premières armes
dans les organisations «gauchistes» expliquent leur départ ainsi : dans les organisations
révolutionnaires, on ne parle pas assez des problèmes des femmes, les militantes
se retrouvent cantonnées dans les tâches administratives ou l'activisme de base, et,
surtout, les hommes véhiculent jusques et y compris dans l'organisation elle-même des
modes de comporte ment et des préjugés qu'ils prétendent combattre ailleurs. C'est
malheureusement possible et en tout cas vraisemblable.
D'autant plus vraisemblable si l'on en croit l'ahurissante déclaration de Krivine ou du
moins attribuée à Krivine dans le journal Actuel. Il y est écrit textuellement : «Oui un
mouvement autonome des femmes a un rôle à jouer, c'est une étape indispensable à la
prise de conscience par les femmes de leurs propres problèmes. Au sein même de la
Ligue, les militantes ont des difficultés spécifiques. Un mouvement de libération auquel
elles appartiendraient à côté de la Ligue, serait à mon sens salutaire. Il leur permettrait
d'y acquérir une formation qui les rendrait aptes à participer massivement dès maintenant aux instances de direction de la Ligue, ce qui n'est pas exactement le cas
aujourd'hui.»Voilà une déclaration qui a dû faire crouler de rire les lectrices du M.L.F. !
Ainsi donc, s'il y a des problèmes de cet ordre à la Ligue, cela ne saurait être le fait des
garçons tous socialistes convaincus (la preuve) et aptes aux tâches de direction, mais
bien celui des filles qui trimbalent dans l'organisation leur pauvre mentalité d'opprimées.
On dirait une justification par l'absurde de l'existence du M.L.F.
Voilà en tout cas qui illustre parfaitement la nécessité dans laquelle se trouve toute
organisation révolutionnaire d'exercer une contre-pression rigoureuse pour résister aux
pressions du milieu extérieur.
En fait, l'organisation révolutionnaire constitue un groupe social qui n'échappe que
partiellement et au prix d'un effort constant aux pressions de ce milieu. Que cet effort
exercé par l'organisation tout entière se relâche ou cesse d'exister (ne serait-ce que par
principe anti-autoritaire) et les attitudes, les habitudes, les préjugés du milieu extérieur
pénètrent allégrement au sein de l'organisation révolutionnaire. C'est d'ailleurs à cette
volonté de résister aux pressions du milieu que se juge aussi une organisation révolutionnaire
et pas seulement sa direction mais encore chacun de ses membres. Le moins
que l'on puisse dire est que les ex-militantes passées depuis au M.L.F. n'ont pas eu au
sein de l'organisation révolutionnaire la conscience et la volonté suffisantes pour exercer
cet effort.
En tout cas elles ne se sont pas senties à l'aise dans les groupes révolutionnaires et
elles ont pensé qu'il serait plus facile de militer et de se réaliser dans des groupes de
femmes. Elles en sont venues bien entendu à théoriser leur pratique et à décréter qu'il
était impossible aux femmes de lutter pour leur libération dans une organisation mixte.
Pourquoi ? Voici un début de réponse fourni par le cercle Elisabeth Dmitriev : «Nul
mieux quel l'opprimé n'est habilité à lutter contre son oppression. Tous les hommes, y
compris les travailleurs, baignent dans l'idéologie du «sexe fort». Nous ne voulons pas
qu'au sein de l'instrument d'émancipation des femmes, ceux-ci reproduisent les mêmes
schémas de domination et profitent d'une situation de force que la société leur assigne
alors même qu'ils sont exploités par elle. Les femmes doivent s'organiser SEULES.»
Il s'agit donc en quelque sorte pour ce groupe, qui se prétend marxiste, d'adapter la
forme d'organisation des femmes à leur niveau de conscience, même et surtout si ce
niveau est celui d'opprimées qui ont le sentiment aigu de la domination masculine et de
leur prétendue infériorité. Ce langage s'inspire aussi de toute évidence des essais faits
par les intellectuels des ex-colonies pour définir et expliquer la mentalité du colonisé ou
du noir qui, selon eux, doit retrouver sa dignité et son identité pour pouvoir lutter. Dans
Le Torchon Brûle,on peut lire un texte de la même veine :
«C'est le développement des luttes. anti-impérialistes, celles des peuples de couleur
contre la mainmise de l'homme blanc occidental, qui nous permet de poser le problème
de notre oppression au niveau idéologique (remise en cause de la famille de la fonction
de la femme dans la famille, revendication de son propre corps pour qu'il ne soit plus
objet d'exploitation et de consommation). A la différence des autres luttes de libération
qui ont existé jusqu'à maintenant, notre lutte est à dominante idéologique. Nous devons
la penser comme telle car personne ne l'a jamais fait et ne peut le faire pour nous.»
Le M.L.F. est encore bien loin d'avoir «pensé cette lutte à dominante idéologique»,
mais il s'engage résolument dans la recherche de la «spécificité» féminine et c'est sur
elle qu'il fonde la lutte des femmes.
Ce type d'affirmation est caractéristique des milieux petits-bourgeois constamment
brassés et influencés par des idées prétendues neuves et qui ne sont que des résurgences
des vieux courants anarchistes, populistes, féministes bourgeois, voire
nationalistes.
Il est donc nécessaire pour une organisation socialiste de définir, quitte à répéter des
analyses prétendument admises par tous les révolutionnaires, sa position par rapport à
une organisation séparée des femmes.
Les socialistes affirment qu'il ne peut y avoir d'affranchissement total de la femme
sans l'affranchissement de toute l'humanité par le socialisme. Ils affirment aussi qu'il ne
peut y avoir ni révolution, ni socialisme sans la participation consciente des femmes. Ils
affirment également qu'il n'y a pas de «questions spécialement féminines» mais une
oppression des femmes liée à l'organisation sociale et à la propriété privée.
Cette oppression est bien antérieure à la société bourgeoise. Elle débute dans la préhistoire
de l'humanité avec l'apparition de la propriété privée, et de ses conséquences
sociales immédiates : l'esclavage, le renversement du droit maternel. C'est ce qu'Engels
appelle la défaite historique du sexe féminin, et il précise :
«Le premier antagonisme de classe de l'histoire qui parut dans l'histoire coïncide
avec le développement de l'antagonisme entre l'homme et la femme dans la monoga-
mie et la première oppression de classe avec celle du sexe féminin par le sexe mascu-
lin. La monogamie fut un grand progrès historique, mais en même temps, elle ouvre à
côté de l'esclavage et de la propriété privée, l'époque qui dure encore de nos jours, où
chaque pas en avant est en même temps un pas en arrière relatif, le bien être et le pro-
grès des uns se réalisant par le malheur et le refoulement des autres. Elle est la forme
cellule de la société civilisée, sur laquelle nous pouvons étudier déjà la nature des con-
tradictions et des antagonismes qui atteignent leur plein développement.»
C'est dire que, pour les socialistes, on ne peut séparer le problème de la femme de
celui de la société humaine, de son évolution et de son devenir, libérer l'humanité de la
contrainte économique et des institutions sociales qui, à chaque stade de son dévelop-pement,
en découlent. L'asservissement de la femme a correspondu à un certain stade
du développement économique de la société. Il s'est perpétué sous toutes les formes
d'organisations sociales car il est lié à la propriété privée des moyens de production.
C'est cette propriété privée qui, après avoir joué son rôle historique dans le progrès de
l'humanité pour s'affranchir de la contrainte économique, est aujourd'hui un frein à tout
nouveau bond en avant de l'humanité. Avec l'abolition de la propriété privée, avec la
socialisation des moyens de production, l'humanité est aujourd'hui matériellement capa-ble
de produire l'abondance et donc de se libérer définitivement de la contrainte écono-mique.
Toutes les formes d'exploitation et d'oppression liées à cette contrainte
économique disparaîtront donc avec la construction de la société socialiste. Que cela ne
se fera pas d'un seul coup, c'est vrai. Que le retard des moeurs, des habitudes et des
mentalités puisse longtemps combattre le caractère radical des nouvelles institutions,
c'est vrai. Comme était vrai que tous les anciens opprimés se devaient de veiller à l'application
des lois et de combattre les préjugés, réactions et autres résistances. Mais le
problème actuel n'est pas de savoir si le socialisme fera disparaître par miracle l'oppression
des femmes et s'il ne faudra pas militer pour cela même après la dictature du prolétariat,
le problème est justement de parvenir au socialisme.
Là encore, les marxistes ont donné une réponse. Une réponse scientifique fondée sur
l'analyse de l'histoire de l'humanité et de la lutte des classes.
Seul le prolétariat est une classe révolutionnaire c'est-à-dire une classe qui peut
ouvrir la voie d'un changement fondamental dans l'organisation humaine, et cette voie
passe par la révolution sociale, par la prise du pouvoir politique.
Le problème des femmes qui se disent révolutionnaires et militantes est donc de
savoir si elles doivent rejoindre le combat du prolétariat et ses organisations qui faut-il
le préciser sont évidemment mixtes, ou rester à part et mener un combat individualiste
qui ne peut mener à un affranchissement total.
Voilà les principes sur lesquels nous appuyons notre appréciation du M.L.F.. Parce
qu'il se veut une organisation, autonome et séparée, des femmes malgré son option
«révolutionnaire», le M.L.F. est une organisation féministe petite-bourgeoise. Nous soutenons
les revendications du M.L.F. qui d'ailleurs figurent presque toutes dans le programme
des socialistes. Nous soutenons ses initiatives lorsqu'elles vont dans le sens
de la libération de la femme, en particulier sa lutte pour l'avortement libre et gratuit
(c'est-à-dire pris en charge par la Sécurité Sociale). Nous soutenons son combat contre
l'hypocrisie sociale et la répression sexuelle qui soit dit en passant s'exerce aussi sur
les hommes et les jeunes des deux sexes. Mais nous combattons toute politique propagandiste
ou organisationnelle qui vise à enfermer les femmes dans leur prétendue
spécificité. Les révolutionnaires socialistes, qui sont conséquents avec leurs principes et
leur programme, considèrent les femmes comme des individus à part entière et les traitent
comme tels, y compris bien entendu dans leurs propres rangs et à tous les niveaux
de l'organisation. La place des femmes qui sont parvenues à la conscience révolution-naire
est dans les rangs des révolutionnaires, et à leur tête.[/quote]
CITATION
LES SOCIALISTES ET LE MOUVEMENT
DE LIBÉRATION DE LA FEMME 2/73
C'est un fait acquis : depuis deux ans déjà le M.L.F. (Mouvement de Libération de la
Femme) défile, en France, aux côtés des révolutionnaires lors du traditionnel cortège du
1 er Mai. De la part du M.L.F., il s'agit là d'une option politique. Le M.L.F. qui se veut l'expression
de la révolte des femmes contre l'ordre établi et oppresseur se range donc délibérément
dans le camp des contestataires, dans le camp de ceux qui veulent renverser
cet ordre. Et si le M.L.F. se joint au cortège des révolutionnaires et non à celui des partis
de la «gauche» traditionnelle en France, Parti Communiste Français et Parti Socialiste,
c'est à l'évidence parce qu'il ne trouve dans ces partis ni l'écho de la révolte des femmes
ni surtout la volonté de renverser l'ordre établi.
Il y a beau temps que le Parti Communiste Français à l'instar du Parti soviétique a
tourné le dos à la lutte pour la libération de la femme et s'est trouvé des raisons pour
exalter le culte de la famille, de la maternité et du puritanisme. La réaction stalinienne
dans le domaine des moeurs et de la morale a coïncidé en France avec le désir de respectabilité
et les efforts manifestes du Parti Communiste pour se faire accepter par la
bourgeoisie comme un parti national à part entière. Dans son désir de ne pas choquer le
bourgeois et de cultiver les «vertus patriotiques qui font la grandeur d'une nation», le
P.C.F. s'est placé délibérément dans le camp du conservatisme moral. Il s'est même
trouvé dépassé par les mouvements féministes bourgeois qui prônaient en France la
liberté anticonceptionnelle, le planning familial et le droit à l'avortement. Pendant des
années le P.C.F. a eu une position plus qu'ambiguë sur la contraception, qu'il présentait
par ses soins comme une arme des bourgeois pour se prémunir contre les enfants des
prolétaires ! Il a fallu l'élection présidentielle de 1965 et la démagogie de Mitterrand vis-à-
vis de l'électorat féminin pour amener le P.C.F. à réviser peu à peu son optique et à
défendre dans une certaine mesure le droit à l'avortement et à la contraception.
Aujourd'hui, ces droits élémentaires qui sont effectifs dans bien des pays capitalistes,
figurent dans le programme commun. Il était temps. Mais en fait la conception du P.C.F.
sur la femme n'a pas changé. Cela se voit, dans ses publications, et dans les revendications
mises en avant par la C.G.T., la centrale syndicale liée au P.C.F. Quand le mouvement
syndical parle de la femme, c'est pour la protéger dans son rôle de mère, tenter de
lui obtenir des congés spéciaux pour soigner ses enfants, exiger la retraite pour les
femmes cinq ans avant les hommes, afin de compenser l'usure de la double journée, ou
encore revendiquer des horaires spéciaux ou à la carte afin de leur permettre d'accomplir
plus facilement les tâches de cette deuxième journée familiale.
En aucun cas la révolte des femmes ne peut se satisfaire de ce conformisme puritain
qui n'est au mieux qu'un aménagement de la situation actuelle et qui tourne le dos aux
véritables problèmes de l'oppression des femmes et à leur libération.
Rien d'étonnant dans ces conditions que le courant féministe se soit détourné des
partis et organisations traditionnels du mouvement ouvrier. Mais si le M.L.F. se veut partie
prenante du mouvement révolutionnaire, les militantes féministes, au lieu de rejoindre
les organisations révolutionnaires ont, au contraire, décidé de s'organiser à part et
d'ériger en principe la non-mixité de leur mouvement.
POURQUOI CETTE VOLONTÉ D'INDÉPENDANCE ?
Ce n'est pas, semble-t-il, une question de programme. D'ailleurs, il n'y a pas de programme
du M.L.F. Les solutions, les revendications mises en avant, les analyses ou les
essais «théoriques» de tel ou tel groupe du M.L.F., ne sont pas rassemblés dans un programme
unique. Dans certains groupes on insiste sur l'action parmi les femmes travailleuses
et le lien de la révolte des femmes avec la lutte de classe. Dans d'autres on
souligne l'oppression dite «sexiste», l'exploitation de la femme en tant qu'objet sexuel,
on revendique le droit au plaisir, à la liberté sexuelle, à l'homosexualité. Dans d'autres
encore on passe à l'action directe en organisant des crèches sauvages. Il se dégage
cependant un certain nombre de points d'accord ; ce sont, outre la non-mixité et l'autonomie
du mouvement des femmes, la dénonciation du patriarcat, la dénonciation de
l'exploitation de la femme en tant qu'objet sexuel et objet de consommation et la lutte
résolue pour l'avortement libre et gratuit.
Il s'agit là de problèmes qui font sinon l'unanimité du M.L.F. du moins sa relative unité.
Le reste est localisé, diversifié, ce que fait ou ce que revendique tel ou tel groupe n'est
pas toujours porté à la connaissance de tous. On trouve cependant dans les revendications
des groupes M.L.F., pêle-mêle : des crèches gratuites 24 heures sur 24 un
salaire égal pour un travail égal le développement de tous les équipements sociaux-culturels
accès des femmes à tous les cours y compris l'enseignement supérieur
;l'enseignement mixte; l'ouverture des cours de puériculture et d'enseignement ménager
aux hommes congés de maternité après l'accouchement et pour soigner les
enfants, à prendre indifféremment par les hommes comme par les femmes; recyclage
salarié des femmes qui retournent à la production; reconnaissance de l'union
libre; reconnaissance de la sexualité à tout âge par l'abolition du statut de mineur; éducation
sexuelle généralisée, abrogation des lois sur l'adultère; abolition de toutes les
institutions baptisées sexistes : noyau familial, mariage, etc...
Comme on le voit, l'immense majorité de ces revendications font partie du programme
des révolutionnaires. La formulation est seule parfois modernisée ce qui ne les
rend pas plus claires, mais le contenu est aussi vieux que la doctrine socialiste elle-même.
Sur l'oppression de la femme, Fourrier, Engels, Bebel, Lénine, pour ne citer que
les plus connus, ont écrit des pages violentes, Plus violentes que bien des confidences
et défis publiés par le M.L.F. La situation faite dans nos sociétés à la femme et à la jeunesse
est un des scandales permanents de l'organisation sociale fondée sur la propriété
privée. Elle est l'illustration la plus claire de la dégradation des sociétés primitives sous
le poids de la nécessité économique. Les socialistes qui ont analysé l'évolution des formes
d'organisations sociales prises par l'humanité au cours de son histoire, ont
dénoncé avec force l'oppression dont souffrait la femme, l'inégalité des droits, l'inégalité
des conditions, l'infériorité sociale, la répression sexuelle qui frappait en priorité: les
femmes, le puritanisme odieux de ces sociétés où le plaisir sexuel était banni ou ne subsistait
le plus souvent que pour l'homme sous cette forme dégradée de l'amour physique
qu'est la prostitution. Ils ont dénoncé systématiquement le rôle de la famille et de l'institution
du mariage. Ils ont démontré l'aspect aberrant d'une organisation sociale qui laissait
aux cellules familiales la tâche d'élever et d'éduquer les nouvelles générations
d'hommes et de femmes et qui a érigé l'égoïsme familial en principe sacré. Ils ont
dénoncé l'esclavage domestique de la femme, le caractère usant et monotone, abrutissant
de ces tâches ménagères qui devraient depuis si longtemps être socialisées. Ils ont
mis en évidence l'énorme gaspillage de temps, de travail et de dévouement que constitue
la répétition, dans des millions de foyers séparés, des mêmes tâches restées artisanales
et contraignantes.
Ils ont dénoncé tout cela bien avant les féministes. Et ils l'ont fait plus complètement
que ne peuvent le faire les organisations du M.L.F. Ce n'est donc pas sur ce terrain que
peuvent se situer les divergences avec le M.L.F., du moins avec les militantes qui au
M.L.F. se veulent marxistes et révolutionnaires et qui pourtant militent dans une organisation
féministe. Dans bien des pays et notamment aux Etats-Unis, de nombreuses tendances
de Woman's Liberation, sont loin d'adhérer à la doctrine socialiste et leur refus
de s'engager politiquement aux côtés des organisations d'extrême gauche éclaire la
nature de leur mouvement. En France, on l'a vu, le M.L.F. dans son ensemble, même si
ce n'est pas le cas pour chaque militante en particulier, est allé plus loin. Il a fait un choix
politique et il l'a fait spectaculairement. Rien ne permet jusqu'ici de penser qu'il s'agit
d'une décision circonstancielle et qui pourrait par conséquent être remise en question.
En France, le M.L.F. se veut une organisation révolutionnaire de femmes, une organisation
qui refuse de s'affilier politiquement à aucune autre et qui défend farouchement
son indépendance.
Les raisons qui poussent le M.L.F. à refuser toute filiation politique sont diverses et
varient selon les groupes. Il y a d'abord, et c'est le plus frappant, le refus de toute structure
organisationnelle centralisée. En ce domaine le M.L.F. propage les opinions du
courant spontanéiste, c'est-à-dire anarcho-maoïsant. On y retrouve les idées des militants
de Vive la Révolution (V.L.R.) qui voyaient dans toute organisation structurée un
principe d'autorité risquant de mener à la dégénérescence bureaucratique (et qui sont
allés jusqu'au bout de leurs convictions en décrétant la dissolution de leur organisation,
pour mieux se fondre dans le mouvement de masse). Cela se traduit dans le M. L. F. par
un refus systématique de tout ce qui peut ressembler à une direction et par une volonté
farouche d'autonomie des groupes les uns par rapport aux autres. Le journal national
«Le Torchon Brûle»se veut l'exact reflet de ces principes anti-autoritaires. Le comité de
rédaction du journal n'est pas permanent, il change à chaque fois, le journal lui-même
n'est pas le produit d'une équipe même provisoire qui risquerait d'imposer ses idées à
l'ensemble des militantes, il se borne à rassembler et à publier quand il le peut les textes
qui parviennent des groupes de base, sans censure ni choix préalables. Les groupes de
base, le terme est impropre puisqu'il n'y a selon le M.L.F. que des groupes de base,
mènent les activités libres, cela va du «groupe de prise de conscience», au «groupe de
quartier», en passant par toutes les variétés de réunions, assemblées générales, travail
d'analyse et de publication, etc... Bref, le M.L.F. a une pratique et une idéologie
anarchisantes ce qui déjà donne à son refus de rejoindre les groupes socialistes révolutionnaires
un sens politique précis.
Il y a d'autres raisons encore. Certaines militantes qui ont fait leurs premières armes
dans les organisations «gauchistes» expliquent leur départ ainsi : dans les organisations
révolutionnaires, on ne parle pas assez des problèmes des femmes, les militantes
se retrouvent cantonnées dans les tâches administratives ou l'activisme de base, et,
surtout, les hommes véhiculent jusques et y compris dans l'organisation elle-même des
modes de comporte ment et des préjugés qu'ils prétendent combattre ailleurs. C'est
malheureusement possible et en tout cas vraisemblable.
D'autant plus vraisemblable si l'on en croit l'ahurissante déclaration de Krivine ou du
moins attribuée à Krivine dans le journal Actuel. Il y est écrit textuellement : «Oui un
mouvement autonome des femmes a un rôle à jouer, c'est une étape indispensable à la
prise de conscience par les femmes de leurs propres problèmes. Au sein même de la
Ligue, les militantes ont des difficultés spécifiques. Un mouvement de libération auquel
elles appartiendraient à côté de la Ligue, serait à mon sens salutaire. Il leur permettrait
d'y acquérir une formation qui les rendrait aptes à participer massivement dès maintenant aux instances de direction de la Ligue, ce qui n'est pas exactement le cas
aujourd'hui.»Voilà une déclaration qui a dû faire crouler de rire les lectrices du M.L.F. !
Ainsi donc, s'il y a des problèmes de cet ordre à la Ligue, cela ne saurait être le fait des
garçons tous socialistes convaincus (la preuve) et aptes aux tâches de direction, mais
bien celui des filles qui trimbalent dans l'organisation leur pauvre mentalité d'opprimées.
On dirait une justification par l'absurde de l'existence du M.L.F.
Voilà en tout cas qui illustre parfaitement la nécessité dans laquelle se trouve toute
organisation révolutionnaire d'exercer une contre-pression rigoureuse pour résister aux
pressions du milieu extérieur.
En fait, l'organisation révolutionnaire constitue un groupe social qui n'échappe que
partiellement et au prix d'un effort constant aux pressions de ce milieu. Que cet effort
exercé par l'organisation tout entière se relâche ou cesse d'exister (ne serait-ce que par
principe anti-autoritaire) et les attitudes, les habitudes, les préjugés du milieu extérieur
pénètrent allégrement au sein de l'organisation révolutionnaire. C'est d'ailleurs à cette
volonté de résister aux pressions du milieu que se juge aussi une organisation révolutionnaire
et pas seulement sa direction mais encore chacun de ses membres. Le moins
que l'on puisse dire est que les ex-militantes passées depuis au M.L.F. n'ont pas eu au
sein de l'organisation révolutionnaire la conscience et la volonté suffisantes pour exercer
cet effort.
En tout cas elles ne se sont pas senties à l'aise dans les groupes révolutionnaires et
elles ont pensé qu'il serait plus facile de militer et de se réaliser dans des groupes de
femmes. Elles en sont venues bien entendu à théoriser leur pratique et à décréter qu'il
était impossible aux femmes de lutter pour leur libération dans une organisation mixte.
Pourquoi ? Voici un début de réponse fourni par le cercle Elisabeth Dmitriev : «Nul
mieux quel l'opprimé n'est habilité à lutter contre son oppression. Tous les hommes, y
compris les travailleurs, baignent dans l'idéologie du «sexe fort». Nous ne voulons pas
qu'au sein de l'instrument d'émancipation des femmes, ceux-ci reproduisent les mêmes
schémas de domination et profitent d'une situation de force que la société leur assigne
alors même qu'ils sont exploités par elle. Les femmes doivent s'organiser SEULES.»
Il s'agit donc en quelque sorte pour ce groupe, qui se prétend marxiste, d'adapter la
forme d'organisation des femmes à leur niveau de conscience, même et surtout si ce
niveau est celui d'opprimées qui ont le sentiment aigu de la domination masculine et de
leur prétendue infériorité. Ce langage s'inspire aussi de toute évidence des essais faits
par les intellectuels des ex-colonies pour définir et expliquer la mentalité du colonisé ou
du noir qui, selon eux, doit retrouver sa dignité et son identité pour pouvoir lutter. Dans
Le Torchon Brûle,on peut lire un texte de la même veine :
«C'est le développement des luttes. anti-impérialistes, celles des peuples de couleur
contre la mainmise de l'homme blanc occidental, qui nous permet de poser le problème
de notre oppression au niveau idéologique (remise en cause de la famille de la fonction
de la femme dans la famille, revendication de son propre corps pour qu'il ne soit plus
objet d'exploitation et de consommation). A la différence des autres luttes de libération
qui ont existé jusqu'à maintenant, notre lutte est à dominante idéologique. Nous devons
la penser comme telle car personne ne l'a jamais fait et ne peut le faire pour nous.»
Le M.L.F. est encore bien loin d'avoir «pensé cette lutte à dominante idéologique»,
mais il s'engage résolument dans la recherche de la «spécificité» féminine et c'est sur
elle qu'il fonde la lutte des femmes.
Ce type d'affirmation est caractéristique des milieux petits-bourgeois constamment
brassés et influencés par des idées prétendues neuves et qui ne sont que des résurgences
des vieux courants anarchistes, populistes, féministes bourgeois, voire
nationalistes.
Il est donc nécessaire pour une organisation socialiste de définir, quitte à répéter des
analyses prétendument admises par tous les révolutionnaires, sa position par rapport à
une organisation séparée des femmes.
Les socialistes affirment qu'il ne peut y avoir d'affranchissement total de la femme
sans l'affranchissement de toute l'humanité par le socialisme. Ils affirment aussi qu'il ne
peut y avoir ni révolution, ni socialisme sans la participation consciente des femmes. Ils
affirment également qu'il n'y a pas de «questions spécialement féminines» mais une
oppression des femmes liée à l'organisation sociale et à la propriété privée.
Cette oppression est bien antérieure à la société bourgeoise. Elle débute dans la préhistoire
de l'humanité avec l'apparition de la propriété privée, et de ses conséquences
sociales immédiates : l'esclavage, le renversement du droit maternel. C'est ce qu'Engels
appelle la défaite historique du sexe féminin, et il précise :
«Le premier antagonisme de classe de l'histoire qui parut dans l'histoire coïncide
avec le développement de l'antagonisme entre l'homme et la femme dans la monoga-
mie et la première oppression de classe avec celle du sexe féminin par le sexe mascu-
lin. La monogamie fut un grand progrès historique, mais en même temps, elle ouvre à
côté de l'esclavage et de la propriété privée, l'époque qui dure encore de nos jours, où
chaque pas en avant est en même temps un pas en arrière relatif, le bien être et le pro-
grès des uns se réalisant par le malheur et le refoulement des autres. Elle est la forme
cellule de la société civilisée, sur laquelle nous pouvons étudier déjà la nature des con-
tradictions et des antagonismes qui atteignent leur plein développement.»
C'est dire que, pour les socialistes, on ne peut séparer le problème de la femme de
celui de la société humaine, de son évolution et de son devenir, libérer l'humanité de la
contrainte économique et des institutions sociales qui, à chaque stade de son dévelop-pement,
en découlent. L'asservissement de la femme a correspondu à un certain stade
du développement économique de la société. Il s'est perpétué sous toutes les formes
d'organisations sociales car il est lié à la propriété privée des moyens de production.
C'est cette propriété privée qui, après avoir joué son rôle historique dans le progrès de
l'humanité pour s'affranchir de la contrainte économique, est aujourd'hui un frein à tout
nouveau bond en avant de l'humanité. Avec l'abolition de la propriété privée, avec la
socialisation des moyens de production, l'humanité est aujourd'hui matériellement capa-ble
de produire l'abondance et donc de se libérer définitivement de la contrainte écono-mique.
Toutes les formes d'exploitation et d'oppression liées à cette contrainte
économique disparaîtront donc avec la construction de la société socialiste. Que cela ne
se fera pas d'un seul coup, c'est vrai. Que le retard des moeurs, des habitudes et des
mentalités puisse longtemps combattre le caractère radical des nouvelles institutions,
c'est vrai. Comme était vrai que tous les anciens opprimés se devaient de veiller à l'application
des lois et de combattre les préjugés, réactions et autres résistances. Mais le
problème actuel n'est pas de savoir si le socialisme fera disparaître par miracle l'oppression
des femmes et s'il ne faudra pas militer pour cela même après la dictature du prolétariat,
le problème est justement de parvenir au socialisme.
Là encore, les marxistes ont donné une réponse. Une réponse scientifique fondée sur
l'analyse de l'histoire de l'humanité et de la lutte des classes.
Seul le prolétariat est une classe révolutionnaire c'est-à-dire une classe qui peut
ouvrir la voie d'un changement fondamental dans l'organisation humaine, et cette voie
passe par la révolution sociale, par la prise du pouvoir politique.
Le problème des femmes qui se disent révolutionnaires et militantes est donc de
savoir si elles doivent rejoindre le combat du prolétariat et ses organisations qui faut-il
le préciser sont évidemment mixtes, ou rester à part et mener un combat individualiste
qui ne peut mener à un affranchissement total.
Voilà les principes sur lesquels nous appuyons notre appréciation du M.L.F.. Parce
qu'il se veut une organisation, autonome et séparée, des femmes malgré son option
«révolutionnaire», le M.L.F. est une organisation féministe petite-bourgeoise. Nous soutenons
les revendications du M.L.F. qui d'ailleurs figurent presque toutes dans le programme
des socialistes. Nous soutenons ses initiatives lorsqu'elles vont dans le sens
de la libération de la femme, en particulier sa lutte pour l'avortement libre et gratuit
(c'est-à-dire pris en charge par la Sécurité Sociale). Nous soutenons son combat contre
l'hypocrisie sociale et la répression sexuelle qui soit dit en passant s'exerce aussi sur
les hommes et les jeunes des deux sexes. Mais nous combattons toute politique propagandiste
ou organisationnelle qui vise à enfermer les femmes dans leur prétendue
spécificité. Les révolutionnaires socialistes, qui sont conséquents avec leurs principes et
leur programme, considèrent les femmes comme des individus à part entière et les traitent
comme tels, y compris bien entendu dans leurs propres rangs et à tous les niveaux
de l'organisation. La place des femmes qui sont parvenues à la conscience révolution-naire
est dans les rangs des révolutionnaires, et à leur tête.[/quote]