Impérialisme, stade suprême....

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par golgot13 » 23 Déc 2007, 14:26

Bon c'est une grosse question de base: Donc d'après Lénine, l'impérialisme stade suprême du capitalisme. PEut-on alors parler d'impérialisme sans capitalisme, comme pour l'impérialisme athénien ou romain? Quelle différence de nature y aurait-il entre ces divers impérialismes?
golgot13
 
Message(s) : 0
Inscription : 12 Juin 2007, 19:46

Message par sylvestre » 29 Déc 2007, 19:26

En bref, oui, on peut parler d'impérialisme, pourvu qu'on comprenne bien que l'impérialisme antique ou féodal avait une dynamique très différente de l'impérialisme moderne, lié à une dynamique différente de la production et aux rapports différents entre la production et l'état.

Neil Faulkner a développé la question :

a écrit :Les écrits classiques du marxisme sur le concept d’impérialisme capitaliste sont, bien sûr, « L’impérialisme : stade suprême du capitalisme » de Lénine, et « Impérialisme et économie mondiale » de Boukharine. Au cœur de leur argumentation se trouve l’idée que l’impérialisme moderne est le produit de la compétition pour l’accumulation du capital. La compétition conduit à la centralisation et à la concentration du capital ; les grandes entreprises et les usines géantes en viennent à dominer l’économie. L’intensité croissante de la production déplace la compétition à un niveau international. La continuation du profit et de l’accumulation repose alors sur des approvisionnements et des ventes au niveau mondial. L’Etat acquiert de ce fait un rôle central dans la concurrence capitaliste, ses dépenses militaires et ses guerres visant à faire avancer les intérêts de ses propres capitalistes aux dépens de leurs rivaux. La concurrence économique entre les blocs de capital et la concurrence géopolitique entre les Etats fusionnent, produisant des confrontations titanesques telles que la première guerre mondiale, la seconde guerre mondiale, et la guerre froide (1).

Rien de cela ne s’applique à « l’impérialisme » antique ou médiéval. Si je continue, au risque de prolonger la confusion, à utiliser le mot, c’est que celui-ci est trop incorporé dans la littérature pour être abandonné, et qu’il n’y a de plus aucune alternative pleinement satisfaisante. Mais il faut bien comprendre que le terme « impérialisme » dans les sociétés pré-capitalistes n’implique rien de plus que l’usage de la force par de puissants Etats pour en dominer de plus faibles et exploiter leurs ressources. Les dynamiques d’un tel processus restent à débattre ; et ils sont, en fait, radicalement différents de ceux de l’impérialisme capitaliste.

L’observation que nous avons faite de l’entrelacement du capital et de l’Etat dans le monde moderne, et de la fusion des concurrences économiques et géopolitiques (2), implique que cela n’était pas le cas dans les sociétés pré-capitalistes , ou les premières sociétés capitalistes; cela a des répercussions énormes.

A l’inverse de la dynamique économique capitaliste, la condition normale d’une économie précapitaliste était la « stagnation » technologique. Le changement y était l’exception, pas la règle : d’occasionnels sursauts d’innovation (répartis sur des décennies ou des siècles) étaient suivis de périodes bien plus longues de stabilité (des siècles ou des millénaires). Par exemple, un nouveau système agricole basé sur la charrue lourde, le fumier, de grands « open fields », et des moulins à eau se développa dans les meilleures terres du centre de l’Angleterre lors de la période anglo-saxonne tardive ( 850-1066 après J.-C.). Ce système dura plus de 500 ans, puis fut considérablement modifié par les « enclosures » à partir du XVIe siècle et après (3).

L’économie médiévale, était, pour aller vite, essentiellement stable et auto-reproductive (4). En effet, le système agricole centré sur le village médiéval constituait un équilibre réussi, et la régulation et le conservatisme de la vie rurale était une question, non d’arriération, mais de survie. Selon Chris Dyer, professeur d’histoire locale et régionale à l’Université de Leicester :

L’ensemble des régulations [organisant la communauté du village médiéval] comportait des avantages et des restrictions pour tous les individus. Les habitudes de culture et de jachère avaient pour objectif de maintenir un équilibre qui assurait que le grain donne des récoltes raisonnables d’une année sur l’autre. Aucun participant à un tel système n’avait une chance de devenir très riche, mais aucun non plus ne courait le risque de se retrouver entièrement démuni…la terre et les gens travaillaient ensemble en équilibre à l’intérieur du village, et toute transformation avait plus de chance de survenir à l’extérieur des régions villageoises. (5)

La raison de la stabilité des économies pré-capitalistes est assez simple : le changement intervenait lors de crises occasionnelles, d’événements exceptionnels et désastreux qui bouleversaient les cycles de production agricole et d’échanges commerciaux. Le changement n’était pas inscrit dans le fonctionnement normal du système, c’est-à-dire dans une concurrence économique directe enracinée dans les caractéristiques même du système de production. Le changement économique — baptisé «progrès» —  était anormal.

L’accumulation économique, par opposition à la simple reproduction, était minimale ou inexistante. Les gens n’étaient souvent pas plus productifs que leurs ancêtres vivant quelques siècles plus tôt. La productivité du travail était statique sur plusieurs générations. Marx lui-même, dans un passage maintes fois cité, se montrait très explicite sur ce contraste entre systèmes économiques capitalistes et pré-capitalistes :

La bourgeoisie ne peut exister sans bouleverser constamment les instruments de production, donc les rapports de production, donc l'ensemble des conditions sociales. Au contraire, la première condition d'existence de toutes les classes industrielles antérieures état de conserver inchangé l'ancien mode de production. Ce qui distingue l'époque bourgeoise de toutes les précédentes, c'est le bouleversement incessant de la production, l'ébranlement continuel de toutes les institutions sociales, bref la permanence de l'instabilité et du mouvement. Tous les rapports sociaux immobilisés dans la rouille, avec leur cortège d'idées et d'opinions admises et vénérées, se dissolvent; ceux qui les remplacent vieillissent avant même de se scléroser. Tout ce qui était solide, bien établi, se volatilise, tout ce qui était sacré se trouve profané, et à la fin les hommes sont forcés de considérer d'un œil détrompé la place qu'ils tiennent dans la vie, et leurs rapports mutuels. (6)

Cependant, la compétition jouait également un rôle premier dans les sociétés pré-capitalistes. Les mondes antiques et médiévaux étaient divisés en entités politiques rivales qui s’affrontaient fréquemment. Aucune classe dirigeante pré-capitaliste ne pouvait se permettre de négliger sa préparation militaire si elle souhaitait conserver ses propriétés et ses pouvoirs. De plus, en l’absence d’accroissement de la productivité du travail, le principal moyen d’augmenter le surplus qu’elle s’appropriait, et donc sa capacité militaire, c’était la guerre. Ce n’était pas la richesse perpétuellement croissante des grandes entreprises qui soutenait alors le pouvoir des Etats rivaux, c’était l’extension de leurs territoires par la conquête, de même que le nombre et la qualité des forces armées qu’elles pouvaient s’offrir. Pour cette raison, les Etats étaient engagés dans une lutte géopolitique féroce pour accumuler de la puissance militaire (7). Et si la guerre était la méthode principale pour accroître l’appropriation du surplus, l’Etat était l’agent principal de ce processus. A travers l’Etat, les classes dirigeantes en compétition s’enrichissaient et accroissaient leur pouvoir aux dépens l’une de l’autre. Une économie globalement stable faisait de ce combat pour le surplus un jeu à somme nul. Pour résumer, l’histoire des sociétés pré-capitalistes était dominée par l’Etat, la guerre, et un continuel combat géopolitique pour la domination.

J’ai entrepris autre part d’appliquer ces idées à l’analyse de l’Empire romain (8). Rome représente un cas extrême de ce que j’ai appelé « l’impérialisme militaire antique » : un système de pillage avec violence dans lequel la guerre, en rapportant de gigantesques quantités de butin (dont les esclaves constituaient une part essentielle), transféraient du surplus des ennemis vaincus vers l’élite impériale romaine, accroissant ainsi encore davantage sa capacité militaire, et créant les bases pour des guerres d’agression future.


( Les croisades - une analyse marxiste )
sylvestre
 
Message(s) : 0
Inscription : 11 Avr 2006, 11:12

Message par golgot13 » 31 Déc 2007, 18:46

Merci beaucoup pour vos réponses.
golgot13
 
Message(s) : 0
Inscription : 12 Juin 2007, 19:46


Retour vers Histoire et théorie

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : conformistepote et 3 invité(s)