Ibn Khaldoun (1332-1406), faire de l'histoire

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par abounouwas » 05 Fév 2007, 00:05

Dans sa Muqaddima, Ibn Khaldûn (IK) expose sa théorie du 'Umrân (civilisation):

Il s'agit d'une analyse du pouvoir. D'emblée, IK définit ce que c'est que faire de l'histoire: vérifier des lois qui expliquent les événements.
De la philosophie qu'il avait étudiée dans sa jeunesse à Tunis, il retient la nécessité de vivre en société (ijtimâ') sous une autorité (mulk). Il reprend aussi les climats grecs, seuls les tempérés permettant de voir émerger une civilisation.

Le 'umrân désigne l'ensemble des phénomènes humains, entendu que l'homme doit vivre en société.
IK distingue le 'umrân badawî (primitif, rural) du 'umrân hadarî (secondaire, urbain). Primitif et secondaire renvoient à l'idée que le hadarî procède du badawî.
Le hadarî est le point culminant, limité dans le temps. IK juge de la vitalité d'une ville à l'aune de son luxe, de sa consommation. Il mentionne l'existence d'une division du travail et de rendements différentiels.

Démographiquement, les mouvements migratoires vont des campagnes vers les villes.
Economiquement, les échanges sont déséquilibrés car la ville dispose de la supériorité technique et de la monnaie.
Politiquement, la campagne est plus forte grâce au Bien (éthique), au courage et à l’esprit de corps ('asabiyya).

Les causes du déclin inéluctable observé dans toutes les dynasties - interrogation au coeur de la démarche d'IK - sont morales, sociales, politiques mais… pas économiques :(
L’Etat (urbain) est alors renversé par un groupe badawî conquérant.
Ces cycles ont une durée d'environ 100-120 ans.

La question de la civilisation chez IK est celle du gouvernement; elle se pose par rapport au groupe dominant. IK propose alors de faire l'étude des structures politiques et sociales de la minoritÈ privilégiée (khassa).

La 'asabiyya traduit un "esprit de corps". Ce mécanisme de solidarité, où la généalogie tient lieu de mémoire, distingue le monde rural, en milieu urbain, les alliances matrimoniales sont moins fortes. IK souligne par ailleurs que la religion permet d’atteindre cet esprit de corps, c'est le sens d'une prédication, da'wâ.

La 'asabiyya provoque l’apparition du 'umrân hadarî dans lequel elle va se diluer (C'est là que point la dialectique). Elle nécessite une forte hiérarchisation, en d'autres termes une force politique s’impose au sein du groupe, c’est la ri'âsa qui fait le ra'îs. Chez Weber, on aurait la conjugaison du charisme (sharaf) et de la tradition (nasab).

Comment passe-t-on d'une "démocratie militaire" (terminologie d'Yves Lacoste, voir infra; disons que dans les tribus il n'y a pas de chef dominant au moyen d'un surplus les autres têtes de clans, on a plus souvent un arbitre, hakam) à une aristocratie tribale? Le clientélisme l’emporte progressivement sur les liens du sang: on assiste à une montée de la vassalité, car la solidarité reste nécessaire pour les opérations militaires.

la 'asabiyya est ainsi le moteur du devenir de l’Etat pour IK. Il s'agit d'une forme très particulière d’organisation politique qui met à la disposition d’une aristocratie tribale les forces d’une démocratie militaire = relation vassalique x solidarité tribale. Le pouvoir est la finalité potentielle de ce mécanisme, il s’affaiblit à mesure que l’on s’éloigne de son centre. Ceux qui n’ont pas de force n’ont pas de pouvoir.
Il faut noter qu'à la différence de l’Europe, le Maghreb ne connaît pas de professionnalisation poussée du métier des armes.
Chez les nomades, un égalitarisme très vif s’oppose à la ri'âsa et en l’absence de dynamique de type 'asabiyya IK considère que ces nomades ont un rôle négatif dans la société. Sans surplus, pas de minorité privilégiée, le chef est un 'primus inter pares' (premier parmi ses pairs). Le surplus est la condition sine qua non d’apparition de la 'asabiyya.

L’enrichissement ruine la solidarité tribale : le souverain lutte contre ses parents, 'primus supra pares', il favorise alors les étrangers et les affranchis pour se maintenir au pouvoir. Cela fait penser à ces mercenaires puis hauts cadres militaires achetés à l'étrangers sur lesquels prices, sultans et califes s'appuieront et qui en Egypte prendront le pouvoir (Mamelouks, 1260-1517).

La 'asabiyya est un moteur dialectique. IK centre son analyse sur des facteurs internes. Il occulte l'économie et les pressions externes. On peut cependant lire chez lui comme le passage d’une société sans classe à une société de classes.

Critique des citadins.

En Afrique du Nord, les populations urbaines n’ont pas constitué une force politique solide capable de donner au souverain la victoire contre ses appuis militaires tribaux. Les citadins n’ont pas donné naissance à une bourgeoisie.
Il n’y a pas d’antagonisme de classe entre noblesse et bourgeoisie, aristocratie tribale et grands marchands sont deux groupes qui ont une large intersection. Il faudrait…:
une dislocation des tribus;
que les chefs aient autorité sur les biens et sur les hommes;
que les marchands cherchent à s’approprier les moyens de production;
Le Moyen Age, c'est la période du décrochage progressif de la rive sud de la Méditerranée, IK mentionne dans un chapitre le déplacement du pouvoir vers le nord.

Le caractère cyclique des dynasties ne concerne que le groupe dominant, IK constate en effet une progression par accumulation des savoirs et techniques.

Enfin, selon IK, les usages et les institutions sont fonction de la manière dont les peuples pourvoient à leur subsistance.


2 traductions sont disponibles en francais:
CHEDDADI, Le livre des exemples, La Pléiade (contient aussi l'autobiographie passionnante d'Ibn Khaldûn)
MONTEIL, Discours sur l'Histoire universelle, Actes Sud

Pour aller plus loin:
CHEDDADI, Ibn Khaldûn, l'homme et le théoricien de la civilisation, Galimard. (une référence pour une lecture fouillée)
LACOSTE , Ibn Khaldoun, Naissance de l'histoire, passé du Tiers-Monde, La Découverte
abounouwas
 
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