par Sterd » 22 Nov 2006, 16:22
Epilogue.
Suite au retrait le 8, on maintient malgré tout la manif du 10. Ce doit être la manif de la victoire. C’est pas tout les jours qu’un mouvement obtient une victoire aussi nette. Certes, il y a les blessés du 4 et la mort de Malik le 5. Mais on a gagné quand même.
C’est alors que va intervenir la seconde manip des soc dems. Avec les mêmes méthodes (gugusses logotés « SOS Racisme » et militants syndicaux) ils vont réussir à imposer le silence aux manifs. C’est fort, il faut avouer. Les manifs du 10 deviendront comme des immenses processions, ponctués de types sur les trottoirs faisant des « chut » réprobateurs au moindre slogan. La faculté qu’a eu la mouvance PS à faire ça est vraiment étonnante.
Du point de vue de la mobilisation le peu de cours de fac qui c’étaient réellement arrêtés ont repris dès la fin du discours de Chirac. Le 9 la plupart des lycéens avaient repris les cours. Un coup de chance que le 10 ait été un mercredi, sinon il y aurait eu encore moins de monde. La manif du 10 bien que nombreuse n’avait rien a voir avec ne serait ce que celle du 27. Le mouvement c’est donc bel et bien arrêté net dès le lendemain du retrait.
C’est sûrement con, mais ces histoires de manifs silencieuses ont fait qu’on avait presque l’impression d’avoir perdu, tout ça donnait une espèce de sentiment d’accablement. On a eu beau essayer de lancer des slogans, on nous a fait taire.
En plus, Mitterrand intervient le 9 pour dire qu’il est en phase avec le mouvement, ce qui lui permet de rafler la mise. Ce qui fait que de notre point de vue, celui de l’EG on a en plus l’impression d’avoir bossé pour ce salopard. Malgré la victoire éclatante tout ça laisse un sale goût. Je parle ici du point de vue de l’EG parce que du point de vue de l’étudiant ou du lycéen, le soutien de Mitterrand passe pour une légitimation a posteriori du mouvement, comme le coup des manifs silencieuses est aussi le reflet d’un sincère sentiment de deuil. Mais bon, on c’est fait gâcher notre victoire.
Le bilan est plutôt flatteur, c’est une des victoires les plus flagrantes et les manifs les plus massives depuis longtemps. Et ça change un peu l’ambiance, on a démontré qu’un gouvernement peut reculer et ça donne des idées à plein de gens, pour commencer aux cheminots qui démarrent juste après.
Pour nous autres qui avons autour de 20 ans c’est une immense leçon. Pour ma part ça faisait deux ans que je lisais des ouvrages marxistes que je discutais, que je faisais de la politique (ou plutôt que j’essayais) pendant ces deux semaines, j’ai plus appris et plus compris que j’aurai plus jamais pu le faire dans les livres. Des tas d’éléments jusqu’alors purement théoriques et restant au niveau intellectuel ont pris corps à ce moment là. Par exemple, le fait de faire partie d’une organisation composée de gens sur lesquels on peut faire confiance donne une force énorme et multiplie l’efficacité. Même si on ne se connaissait pas au début, et on a compté immédiatement les uns surs les autres. Ce n’est pas au moment ou ça bagarre qu’on doit penser à ces choses là. Cet aspect là m’est apparu comme une évidence à l’issue du mouvement. De même que la capacité d’un mouvement de masse de changer de configuration et de conscience presque d’heure en heure est franchement étonnante, la manière dont on sent la foule se raidir et se radicaliser aussi, etc. J’ai totalement foiré mon année universitaire (3 semaines de cours ratés ça pardonne pas), mais j’ai rencontré la femme de ma vie, alors l’un dans l’autre le bilan personnel est très positif.
J’en reviens pas que ça ait duré seulement deux semaines, sur le coup on aurait cru que ça avait duré 6 mois.
L’autre point marquant, c’est la capacité des appareils à manœuvrer sous notre nez. On a été franchement naïfs, mais on ne les a pas du tout vu venir et on n’a jamais été en position de pouvoir les contrer. Je prends le pari que si le mouvement avait été un peu plus profond ils n’auraient pas pu manœuvrer comme ça, mais je n’en suis pas sûr. Dans la mesure ou on misait sur une mobilisation qui restait malgré le nombre superficielle, il ne nous était pas possible d’opposer à leurs manœuvres une quelconque réponse. Comme dit Jacouille, les comités de grèves étaient plus radicaux que les assemblées, et la coord plus radicale que les comités. Ils jouaient donc sur du velours. Mais le mouvement a gagné malgré leurs magouilles. Mais si les flics n’avaient pas fait l’erreur de charger le 4 et le 5 on aurait pu tout aussi bien perdre.
Ca peut paraître paradoxal que je dise que la mobilisation était superficielle, mais c’était vraiment le cas. La plupart des cours ont eu lieu pendant ces deux semaines dans les facs, sauf peut être à Villetaneuse. La grande masse c’était les lycéens qui n’étaient pas intégrés à la coord étudiante. En réalité les comités de grève et la coord étaient représentatifs de la (grosse) poignée de gauchos qui faisait le boulot dans les facs. Et même si les trotskystes (LCR et LO) y étaient pas loin d’être majoritaires, cela ne reflétait pas et loin de là le sentiment des étudiants.
Voilà, je crois que j'ai fini. Si y'en a des qui veulent compléter ou corriger. C'est comme ils veulent.