Page 1 sur 6

Message Publié : 05 Fév 2006, 17:43
par Jacquemart
Je mets en ligne un texte de Chris Harman, écrit il y a quelques années (et traduit en français !), qui tente une actualisation des écrits d'Engels au vu des connaissances accumulées depuis lors.

Personnellement, je ne souscris pas à tout ce qu'il raconte (on en a déjà discuté sur le forum), mais indépendamment des réponses que propose Harman, les questions qu'il soulève sont intéressantes.

Engels_et_les_origines_de_la_soci_t__humaine.pdf

Message Publié : 06 Fév 2006, 12:23
par canardos
ça serait quand meme bien meme si tu les as évoqué ailleurs que tu rappelles tes principaux points de désaccord ou d'accord avec ce texte pour ouvrir le débat, jacquemard

Message Publié : 06 Fév 2006, 12:50
par Jacquemart
a écrit :C'est une vrai petite brochure que tu as scannée ! Faudra que tu m'expliques comment tu réussis à faire ça rapidement...

J'ai un truc imparable : je l'ai fait faire par un autre.

a écrit :ça serait quand meme bien meme si tu les as évoqué ailleurs que tu rappelles tes principaux points de désaccord ou d'accord avec ce texte pour ouvrir le débat, jacquemard

Certes, certes... Mais je n'ai guère le temps en ce moment, et si on voulait vraiment discuter, ce serait point par point, et il y aurait beaucoup de choses à dire. Pour l'instant, j'en suis à annoter le texte pour ma propre gouverne, et de là à proposer des raisonnements alternatifs, il y a encore une marche supplémentaire que je ne me vois pas franchir.
Accessoirement, je n'ai guère d'avis sur la première partie - faute de compétences, et c'est surtout sur la troisième (les rapports hommes-femmes) que je ne pense pas que les positions de Harmann soit défendables.
Promis, si un jour j'ai le temps, je m'y mettrai sérieusement, mais ça risque d'être dans une autre vie...

Message Publié : 06 Fév 2006, 12:53
par roudoudou
Jacquemard dans une autre vie cela va faire long mince alors ? :hinhin:

Message Publié : 03 Avr 2006, 21:02
par Jacquemart
A la demande générale de Canardos, je poste une version annotée du texte d'Harmann. Je précise qu'il s'agit de notes, prises sur le vif, la plupart pour réagir défavorablement à certaines affirmations du texte. Tout cela ne concerne que les parties 2 et 3 du texte (j'aurais été encore plus incompétent sur la partie 1).

Ce n'est donc pas un texte alternatif, que je serais bien incapable de produire.

Mais s'il y a des insomniaques qui veulent lire ces notes et des pervers qui veulent en discuter...

Engels_et_les_origines_de_la_soci_t__humaine__annot__.pdf

Message Publié : 11 Avr 2006, 11:35
par sylvestre
Salut,

Je m'intéresse depuis quelques années à la théorie marxiste sur les débuts de l'humanité, et ai suivi avec intérêt vos échanges sur ce forum. Je saisis l'occasion pour apporter mon grain de sel:

L'apport de Marx et Engels et de ceux qui les ont suivi c'est d'inscrire l'histoire des sociétés humaines dans l'histoire naturelle, c'est à dire dans l'évolution des espèces telle que décrite d'abord par Darwin. Ca parait tout bête, mais cette dimension est pourtant absente des théories rivales du marxisme sur les points qui nous intéresse. Le structuralisme à la Levi-Strauss pose par exemple un genre de "big-bang" de la société humaine qui aurait été l'invention du tabou de l'inceste, et développe par surcroit l'idée que les structures sociales possèdent des traits communs universels inscrits "en dur" dans la nature humaine, parmi lesquelles l'échange des femmes par les hommes, donc la domination masculine. Je ne reviens pas pour l'instant sur le côté fantasmagorique de ces théories, ni sur leur contenu clairement réactionnaire, mais je les mentionne pour leur importance en particulier dans l'anthropologie française.

Donc le matérialisme historique, lui, analyse des processus des mouvements, et dans ce cadre il constate que la propriété privée, l'état et l'oppression des femmes n'ont pas existé de toute éternité, et que leur apparition est liée au changement de mode de production autour de l'apparition de l'agriculture, la production d'un surplus, la production de marchandises. C'est l'apport fondamental d'Engels.

Godelier et Testart me semblent vouloir opérer une conciliation entre le structuralisme et le matérialisme historique, conciliation illusoire et qui débouche sur un idéalisme : chez l'un comme chez l'autre c'est l'idéologie qui produit l'oppression des femmes, que ce soit la thèse du tabou du sang pour les femmes de Testart (qui ressemble à un remplacement du tabou de l'inceste levi-straussien par un autre tabou universel fondateur, tout aussi peu crédible à mon avis, mais on pourra s'étendre là-dessus), Godelier faisant de la religion l'élément déterminant. (là-dessus je recommande la lecture de cette critique de son dernier bouquin.

Il me semble que les marxistes ont une compréhension plus profonde de la place de l'idéologie dans le développement des sociétés, et que notre théorie perd de la cohérence à chercher à se concilier avec l'idéalisme de Godelier et Testart, quelque mérite qu'on puisse trouver à leurs études du point de vue empirique.

Dans ce cadre il est d'ailleurs regrettable que les commentaires de Jacquemart n'incluent pas au moins un point de vue général sur la première partie du texte de Harman, car si, par exemple l'oppression des femmes est plus ancienne que la division de la société en classe (ce que je ne crois pas), il faudrait encore expliquer à quel moment de l'évolution des anthropoïdes ou des hominidés elle est apparu et pourquoi.

Message Publié : 12 Avr 2006, 18:16
par Jacquemart
Salut Sylvestre, bienvenue sur le forum... et pardon d'avance pour la longue réponse qui suit ! :wavey:

Dans ton post, il y a beaucoup de choses qui se situent sur des terrains assez divers ; je me demande si on ne fera pas mieux de séparer les fils si on ne veut pas que la discussion parte dans tous les sens.

Commençons par un point (de détail) : on ne peut pas taxer Testart d'idéalisme, pas plus (et sans doute, encore bien moins) que de complaisance vis-à-vis du structuralisme, dont il se dit un adversaire déclaré (à la différence de Godelier, qui cherche à ménage la chèvre et le chou). Testart a bien des faiblesses, mais en ce qui concerne la division sexuelle du travail chez les chasseurs-cueilleurs, il n'a jamais dit, je crois, que celle-ci venait de leur système de croyances. Il affirme constater que cette division coïncide avec ce système de croyances (ce qui n'est pas la même chose). Alors, c'est vrai, il n'explique pas les raisons de cette division sexuelle du travail et des croyances qui vont avec, parce qu'il ne se sent pas capable de proposer une théorie convaincante. On peut le lui reprocher, mais c'est une autre discussion.

Venons-en au fond. Lorsque tu dis que :

a écrit :la propriété privée, l'état et l'oppression des femmes n'ont pas existé de toute éternité, et que leur apparition est liée au changement de mode de production autour de l'apparition de l'agriculture, la production d'un surplus, la production de marchandises.

Autant on ne peut que signer des deux mains la première partie, autant il me semble que la seconde souffre d'une grande imprécision, et au final, dit des choses plus fausses que justes. L'agriculture est apparue vers -8000, les premiers Etats vers -3000. Cela fait 5000 ans d'écart, une paille que l'on ne peut pas écarter d'un revers de manche. La propriété privée (des moyens de production), elle, existe bien dans certains Etats (ceux que prenait Engels en exemple)... mais pas dans d'autres. Et la production de marchandises, c'est encore une autre affaire (dans les sociétés de l'Antiquité, et hormis chez certains peuples spécialisés dans le commerce, l'essentiel de la richesse ne venait pas des marchandises).

Quant à l'oppression des femmes, là aussi, il y a problème. Tout d'abord, parce qu'à la différence de la notion d'exploitation, la notion d'oppression n'est pas facile à définir (c'est sans doute de là que provient une partie du problème). Mais surtout, parce qu'Engels, à la suite de Morgan, raisonnait à partir de connaissances ethnologiques limitées. Qu'on le veuille ou non, les raisonnements de Morgan (par exemple, sur la succession des systèmes de parenté) sont très largement spéculatifs, faute de faits.

Or, on connaît aujourd'hui plusieurs exemples de sociétés, parfaitement documentées, qui sont des sociétés non seulement sans classes, mais même sans inégalité matérielle (ce n'est pas la même chose), et où les femmes sont manifestement dans une position subordonnée par rapport aux hommes. Je ne dis pas que c'est le cas partout dans les sociétés primitives (d'ailleurs, on connait des contre-exemples). Je dis que c'est parfois, ou souvent, le cas. J'ai cité précédemment le cas des Baruya, ou celui des aborigènes d'Australie. Ces cas existent-ils, oui ou non ? Peut-on sérieusement nier que les femmes y soient opprimées par les hommes ? Et ensuite, faut-il élaborer une théorie marxiste qui tienne compte de ces faits, ou s'accrocher à tout prix à un schéma élaboré il y a 140 ans, alors qu'on les ignorait ?

Pour que ce soit bien clair : personne ici ne niera que l'oppression des femmes, de même que tous les autres rapports sociaux, soit un produit de l'évolution, et qu'elle ne soient pas éternelle. Mais une fois qu'on a dit cela, on a simplement affirmé la nécessité d'une théorie de l'évolution ; reste à faire (et à refaire) cette théorie elle-même.