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Dresde piégée par la mémoire
Soixante ans après le bombardement de la ville par les alliés, 5 000 néonazis ont manifesté hier face à 50 000 pacifistes.
Par Odile BENYAHIA-KOUIDER
lundi 14 février 2005 (Liberation - 06:00)
Dresde envoyée spéciale
C'est Katharina Brünnel, 69 ans, qui raconte : «A Dresde, on se sentait vraiment en sécurité. On ne voyait vraiment pas pourquoi les Alliés attaqueraient une ville de culture qui n'avait aucune signification militaire, ni industrie d'armement.» Il y a soixante ans, dans la nuit du 13 au 14 février 1945, des bombes ont réduit la «Florence de l'Elbe» à un amas de ruines, faisant 35 000 morts selon les derniers chiffres officiels. Hambourg, Cologne, Nuremberg... de nombreuses villes allemandes ont été la cible du bomber command britannique et de l'US Air Force. Mais, dans la conscience collective allemande, Dresde a toujours été perçu comme le symbole du martyre. Une sorte de «Hiroshima allemand».
Soixante ans après, les historiens allemands, mais aussi britanniques, continuent à se déchirer sur la question de savoir si la destruction de Dresde était nécessaire. Ces dernières années, le «mythe de la ville innocente» (lire ci-contre) a été renforcé par les ouvrages de Jörg Friedrich, décrivant par le menu les bombardements alliés sur les civils. Il y a un mois, la traduction en allemand du livre de l'historien britannique Frederick Taylor, expliquant en quoi la destruction de Dresde était certainement «inacceptable», mais correspondait à un but militaire «légitime», a suscité une nouvelle polémique. Depuis que le parti néonazi NPD a réussi, le 19 septembre dernier, à entrer au Parlement de Saxe avec 9,2 % des voix et qu'il a comparé le bombardement de Dresde à l'Holocauste (Bomben-Holocaust), le sujet n'a jamais été aussi sensible.
Salir.
Hier, 5 000 néonazis, chiffre record, ont défilé à Dresde comme chaque année depuis 1999. Redoutant qu'ils ne salissent l'image de la ville, la municipalité, l'évêché et plusieurs associations ont multiplié les initiatives. Des dizaines de milliers de personnes plus de 50 000, selon l'agence DPA, jamais elles n'avaient été aussi nombreuses se sont rassemblées, arborant à leur boutonnière une petite rose blanche... fabriquée à Sebnitz, commune située au coeur de la Suisse saxonne, où un électeur sur quatre a voté pour le NPD ! Longtemps considérée comme le symbole de cette destruction massive, la Frauenkirche, l'église protestante baroque, finalement reconstruite, a exceptionnellement ouvert ses portes au public, à 22 h 01 dimanche, heure à laquelle le premier bombardement a eu lieu. Sur la place de l'opéra, les manifestants portaient des cierges à la main, signe de paix.
Carbonisés.
Pour autant, la bataille de la mémoire n'est pas gagnée. «Le terme de Bomben-Holocaust ne m'a pas choquée, avoue ainsi Katharina Brünnel, qui assure n'avoir encore jamais voté pour le NPD. Ce que l'on a fait aux juifs était horrible, dit-elle. Mais cela n'empêche pas de dire la vérité sur Dresde. En 1945, la ville était remplie de réfugiés de l'Est, essentiellement des femmes, des enfants et des vieillards qui fuyaient le front et que l'on a inutilement massacrés.» Comme de nombreux témoins de l'époque, Katharina n'accepte pas le chiffre de 35 000 morts. «Il y en a forcément eu au moins 200 000», dit-elle, s'appuyant sur le fait que Dresde, qui comptait à l'époque 500 000 habitants et autant de réfugiés, ne disposait quasiment pas d'abris antiaériens et que l'incendie avait atteint une telle intensité que de nombreux corps ont été carbonisés.
Dans l'espoir de mettre fin à cette polémique, la municipalité a demandé à une commission d'historiens de travailler sur la question et de rendre ses conclusions à l'occasion du 800e anniversaire de Dresde, en mars 2006. Elle a aussi placardé une affiche portant les noms de Bagdad, Coventry, Grosny, Guernica, Hambourg, Hiroshima, Leningrad, Varsovie et... Dresde.