Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Marxisme et mouvement ouvrier.

Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par artza » 01 Mai 2023, 07:52

A la fin des années cinquante l' historien stalinien qui enseignait à l'Université nouvelle (PCF) citait Lénine et ses "deux tactiques" pour attaquer la Révolution permanente et LT mais sans nommer l'une et l'autre.
ça faisait une drôle d'impression de voir pendant quelques minutes un monsieur sévère s'exiter tout à coup contre une théorie perverse, séduisante mais hyper-dangereuse avancée que par quelques "individus identifiés".

Les maoïstes bien sur reprendront cette polémique et curieusement parfois des bordiguistes.
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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Ottokar » 01 Mai 2023, 09:42

Quand on lit Soukhanov, l'intérêt c'est qu'on touche du doigt, qu'on vit de l'intérieur la différence entre des pronostics historiques, avant la révolution, et les attitudes pendant. Les uns et les autres ont des positions avant, sont parfois "zimmervaldiens" (il en fait grand cas), mais quand ils rentrent ou sont dans le bain, fini, ils n'osent pas rompre avec ces leaders bourgeois, penser qu'ils peuvent prendre le pouvoir eux-mêmes. Quand bien même ils sentent (c'est dit dix fois dans Soukhanov, pas une) que ce gouvernement n'est plus obéi ni respecté, que la force est du côté du Soviet, que même les tentatives de dresser les uns contre les autres (sur le mode "les revendications ouvrières privent le front de munition, ne pas faire le jeu de Guillaume, les planqués à l'arrière", etc.) font long feu. On voit qu'invoquer la "théorie marxiste" qui justifierait une étape bourgeoise, c'est une couverture.

Mais il faut mettre en garde le lecteur, c'est long et parfois pénible car le brave Soukhanov ne sort guère des réunions et comités, ne nous épargne rien de ses états d'âme, de ses espoirs déçus, de ses tentatives diplomatiques, des manœuvres de type parlementaires au sein du Soviet, etc. Je comprends qu'à chaud, et qu'à raison d'une publication par cahiers de 200 pages tous les 3-4 mois, Lénine et Trotsky, qui le connaissaient, l'aient apprécié (et critiqué), que Trotsky en ait fait son miel en rédigeant son Histoire, surtout à un moment où les staliniens étaient en train de la falsifier devant des témoins encore vivants. Mais un siècle après, les extraits qu'Artza a remontés de sa cave auraient peut-être pu suffire.

Enfin, puisque je l'ai, je le lis, et je vis le 1er mai en 17... pour moi c'est le 18 avril (page 550 sur 880 du Tome I !).
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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Cyrano » 04 Mai 2023, 09:03

«Du coup, j'ai relu les pages correspondantes de Trotsky
Ça semble être un réflexe pavolovien en lisant Soukhanov si j'en juge aussi par mes réactions. Ça peut pas faire de mal. J'ai même refeuilleté des petits livres sur la révo russe : La Révolution russe de François-Xavier Coquin et La révolution russe racontée aux ados (et à leurs parents) de Gérard Filoche. Deux volumes très recommandables avant de se coltiner le Février et ensuite le Octobre de Léon Trotsky.

«On voit qu'invoquer la "théorie marxiste" qui justifierait une étape bourgeoise, c'est une couverture.»
Une couverture couvrant quoi? S'arc-bouter sur l'orthodoxie marxiste de la révolution par étape peut être une interprétation marxiste sincère, après tout, ne recouvrant rien. Nicolas Soukhanov est peut-être de ceux-là. Il donne assez souvent ses arguments au fil des pages de ses mémoires. Mais…

Dans le volume des extraits publiés par les éditions Stock, il y a une préface (signée Joël Carmichael) dans laquelle on peut lire une appréciation sur Nicolas Soukhanov:
«Le tumulte apaisé, Soukhanov retrouva ce que son ami Kérenski avait appelé "sa qualité dostoëvskienne de circonspection en face des commotions violentes".»
Aller jusqu'à la prise du pouvoir, c'était un saut dans le vide. C'était surtout ça qui terrifiait Soukhanov.
Et alors, comme l'écrivait Ottokar, l'orthodoxie marxiste revendiquée par certains en 1917 pourrait bien être une couverture pour celles et ceux qui appréhendaient ce saut dans le vide.
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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par artza » 05 Mai 2023, 06:46

On s'engage, et puis on voit.

C"est du Napoléon parait-il que Trotsky aimait citer.

Jules César fut précursseur franchissant le Rubicon, minuscule ruisseau s'exclamant allea jacta est!

Dès novembre 1917 les soc-dem qualifièrent cette révolution comme un coup de force anti-marxiste.
Ce fut d'ailleurs le premier point de vue du jeune Gramsci, qui trouvait ça très bien.
artza
 
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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Cyrano » 05 Mai 2023, 10:03

Je ne sais pas si Léon Trotsky aimait citer la formule «On s'engage et puis l'on voit». En tout cas, on la trouve dans Cours Nouveau, publié à la fin de 1923 (je ne l'ai pas trouvée ailleurs) - et Trotsky prend sa source chez Lénine:

«… On peut même dire que le léninisme consiste à ne pas regarder en arrière, à ne pas se laisser lier par des précédents, par des références et des citations de pure forme.
Lénine lui-même a récemment exprimé cette pensée par le mot de Napoléon : "On s’engage et puis on voit". Autrement dit, une fois engagé dans la lutte, ne pas s’occuper outre mesure des canons et des précédents, s’engouffrer dans la réalité telle qu’elle est et y chercher les forces nécessaires à la victoire et les voies qui y mènent. C’est en suivant cette ligne que Lénine, non pas une fois, mais des dizaines de fois, a été accusé dans son propre parti de violer la tradition et de répudier "l’ancien bolchévisme".
»
"On s’engage et puis on voit" étant cité en français dans le texte.

Le «récemment exprimé» fait référence à l'article de Lénine : Sur notre révolution. A propos des mémoires de N. Soukhanov, puisque cet article est paru dans la Pravda du 30 mai 1923 :

«Il m'en souvient, Napoléon a dit : « On s'engage et puis... on voit. » C'est ce que nous avons fait ; d'abord nous avons engagé un combat sérieux en octobre 1917, puis le cours du développement nous a révélé des détails (du point de vue de l'histoire mondiale ce ne sont, sans nul doute, que des détails) tels que la paix de Brest-Litovsk, ou la NEP, etc. Et à l'heure présente, il est hors de doute que, pour l'essentiel, nous avons remporté la victoire. »
Là aussi, l'expression citée est en français dans le texte.
Ce texte de Lénine est dans les annexes de l'édition Smolny des mémoires de Soukhanov.

Lénine se souvient-il bien?
Sur un site (en langue anglaise) la question est posée:
Napoléon a-t-il vraiment dit: «On s'engage et puis on voit»?
https://history.stackexchange.com/quest ... is-on-voit

On peut y lire que la citation existe bel et bien – Lénine ne l'a pas inventée – mais l'attribution à Napoléon n'est pas prouvée et semble relever des légendes urbaines se répétant. La citation étant parfois attribuée à Napoléon, parfois citée comme un proverbe.

« "On s'engage et puis on voit", ne s'applique plus. La relative petitesse des armées et la fumée de la bataille permettaient l'application de ce principe, mais maintenant le général est plus dépendant des rapports de reconnaissances.» [Journal of the United States Artillery, 1893]
« Le mot de Napoléon : "On s'engage et puis on voit" a bien perdu de sa valeur.» [Revue d'artillerie, 1891]
Dans un magazine mensuel allemand sur l'armée allemande (la Wehrmacht), on peut lire: «Quand Napoléon disait : "on s'engage et puis on voit !" il ne décrit donc que la procédure de tous les chefs d'armée et de troupes indépendants.» [Monatshefte für Politik und Wehrmacht, 1889]
«La devise de Napoléon était, "On s'engage partout, et puis l'on voit", ce qui ne doit pas être interprété comme signifiant qu'il a commencé une bataille sans aucun plan défini, mais plutôt que son système de combat était si élastique qu'il pourrait se plier pour s'adapter aux circonstances modifiées d'un cas particulier.» [Staff College Essays par le lieutenant Evelyn Baring, 1870]

Un candidat à l'apparition de cette citation est peut-être un général russe, Yakov Petrovich Kulne à qui on attribue la formulation de ce dicton au sujet de la guerre entre la Russie et la Turquie.
Dans le Traité sur la guerre contre les Turcs par le baron de Valentini, 1822, on peut lire, dans une note :
«C'est de lui [le général russe] que vient le dicton "on s'engage partout et puis l'on voit!"»

Dans un hebdomadaire littéraire, Literarisches Wochenblatt, en 1819, l'expression est mentionnée sans être attribuée à Napoléon – encore vivant.

Décidemment, ce Soukhanov nous fait emprunter des chemins biscornus.
Cyrano
 
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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Ottokar » 06 Mai 2023, 07:32

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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Ottokar » 06 Mai 2023, 16:03

Ouf, j'ai enfin fini le tome 1, près de 900 pages, je crois que je vais attaquer le Tome 2 dans la foulée, il ne me reste "que" 700 pages... et je suis pris, je vis avec lui l'année 17 au jour le jour.

Ce bon Soukhanov évolue entre février et juin (fin du T1) où il vote avec les bolchéviks lors du 1er congrès des soviets. En février, il pense impossible que le Soviet prenne le pouvoir et va chercher la bourgeoisie. En juin il s'est convaincu que les ministres bourgeois sont des impérialistes, qu'ils racontent n'importe quoi pour faire semblant mais veulent poursuivre la même guerre, qu'ils ne feront rien pour la terre et que derrière eux, les généraux se préparent. Il a pris confiance dans le Soviet et s'est rendu compte que les masses n'écoutent que celui-ci, même si elles ne sont pas encore totalement gagnées à ce qu'il veut (la même chose que les bolchéviks, le pain, la paix, la terre).

La différence avec Lénine et Trotsky est qu'il ne franchira jamais le pas. En fait, il reste coincé à février comme si la joute parlementaire au Soviet pouvait continuer, alors qu'à un moment, il faut décider, s'emparer du pouvoir et faire ce qu'il faut pour le garder ! Il ne veut pas voir que sinon, la réaction est terrible. La même position que Gorki, la même crainte. Mais jusqu'au bout du Tome I, cela se passe dans les salons, dans les comités, dans les palais, jamais dans les usines, les casernes et les quartiers.

Je verrai si cela change dans le tome 2.
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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Cyrano » 09 Mai 2023, 09:03

«un siècle après, les extraits qu'Artza a remontés de sa cave auraient peut-être pu suffire
Ce n'est pas vraiment comparable. C'est comme si on lisait Les misérables dans une version résumée d'une centaine de pages. Etre devant un étang, c'est de l'eau, ça clapote, oui, mais c'est pas l'océan avec ses vagues, ses fureurs, son apaisement trompeur et les tempêtes.

Par exemple, dans mon exemplaire de la version allégée parue dans les années 1960, la Conférence démocratique qui débute le 14 septembre occupe 5 pages; dans le livre des éditions Smolny ça occupe 32 pages. Forcément, on n'a pas la même chose. Soukhanov nous parle d'un discours de Trotsky sur 4 pages (en en citant de très larges extraits). Il y a d'ailleurs une superbe envolée de Soukhanov au sujet de ce discours et, sauf erreur, on ne la trouve pas dans les mémoires abrégées):
[Trotsky agit autrement, dans son intervention au nom des bolcheviks. Il émietta son discours, fit de longs détours, brandit des faits concrets, usa de traits d’esprit et d'exemples, ne revenant que de temps en temps au point central. Malgré tout, dans le cadre de cette publicistique routinière, on voyait poindre non seulement l'idée centrale de la lutte du moment, mais également une philosophie générale de l'histoire. Ce fut indubitablement l’une des interventions les plus brillantes de cet orateur admirable. Aussi, je ne peux résister à l’envie d’agrémenter les pages de mon livre d’une reproduction presque intégrale de ce discours grandiose.
Si mon ouvrage trouve des lecteurs dans la postérité – mettons, comme c'est le cas de l'ouvrage de Lamartine – que l'on juge d'après ces pages de l'art oratoire et de la pensée politique qui étaient alors les nôtres. Et que l’on en tire la conclusion qui s'impose : l’humanité n’a pas vécu en vain ces cent cinquante années et les héros de notre révolution rejettent loin à l’arrière-plan les militants glorieux de l'époque de 1789.


Dans son envolée lyrique provoquée par le discours de Trotsky, Soukhanov fait allusion à l'ouvrage de Lamartine, Histoire des Girondins, paru en 1847 (très feuillu lui aussi avec ses huit volumes).
La culture étourdissante de ces gens fait une grande place à la Grande révolution française. Il paraphrase d'ailleurs la formulation célèbre de Danton durant son procès: «Nos vies n'auront pas été vécues en vain.» (la conclusion vibrante d'un discours qui ne fut jamais prononcé, je crois).

Dans son bouquin (qu'on lit dans la postérité, monsieur Soukhanov! alors que Histoire des Girondins, mouaih…) Soukhanov fait souvent allusion à des personnages ou évènements de la Grande révolution française comme si ça allait de soi qu'on connaisse tout ça. Quelques exemples:
«Dan oubliait toutefois la parole auguste de Camille Desmoulins: on n'empêche pas de prendre la Bastille par décret.»
«une phrase semblable que Louvet lança à Danton lorsque celui-ci débuta un discours sans avoir reçu l'aval du président: "Tu n'es pas encore roi, Danton!
«L'un des ouvriers, sans-culotte typique, …»
«l'esprit de 1793»
Etc.
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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Cyrano » 09 Mai 2023, 09:43

Lénine n'est pas tendre avec Souhanov dans le texte dicté en janvier 1923: "Sur notre révolution - A propos des mémoires de N. Soukhanov". Ottokar a donné le lien.

Soukhanov dans le tome 1 parle de ses polémiques avec Lénine – avec une petite allusion aux polémiques Lénine-Trotsky:
Pour ce qui est des polémiques avec Lénine, j’ai sous les yeux le n° 6 de la célèbre revue bolchevique de l’époque, le Prosvechtchenié de l'année 1914, dans lequel on peut lire un article charmant de Lénine, au titre remarquable : «Les procédés des intellectuels bourgeois dans leur lutte contre les ouvriers». Dénigrant tout le socialisme russe en tant qu’agent de la bourgeoisie n'existant que pour saper le mouvement ouvrier, le représentant monopolistique du prolétariat m’y cite beaucoup, invitant les ouvriers conscients à écouter quelques-unes des «idées» – entre guillemets – de ce «monsieur intelligent». Et naturellement, en fin d’article, Lénine conclut : «Il ne peut y avoir aucun doute : monsieur Soukhanov est un bavard tout à fait vain, comme on en trouve beaucoup dans nos salons.»
Pendant la guerre et la révolution, dans le Rabotchii du 1er septembre 1917, Lénine me traita avec plus de condescendance encore et me décrivit comme «l’un des meilleurs représentants de la petite bourgeoisie». Quoi qu’il en soit, toutes les perles et tous les diamants qu’il a déversés sur ma tête ne sont que pommades comparé aux tombereaux d’ordures que le terrible chef de la tribu bolchevique a déversés – ne serait-ce que dans l’article cité – sur celle de l’impie Trotski.


L'article en question, daté du 1er septembre, c'est "Pages du journal d'un publiciste", qu'on peut lire ici: https://www.marxists.org/francais/lenin ... 170914.htm
Dans cet article, Lénine n'était pas trop méchant avec Soukhanov: «Prenons par exemple, l'écrivain N. Soukhanov de la Novaïa Jizn : tout le monde conviendra à coup sûr que ce n'est pas le pire, mais l'un des meilleurs représentants de la démocratie petite-bourgeoise
Je n'ai pas trouvé l'article de 1914 dont il est question au début du texte de Soukhanov que je cite.

Lorsque Soukhanov publia sa chronique sur la révolution russe, cela ne sembla donc plaire à Lénine que très modérément, voire même pas du tout. Et Lénine aura la rancune tenace, pour ne pas dire mesquine. Une note de bas de page dans la postface de l'édition Smolny dit:

[au sujet de] La nomination de Soukhanov, sur recommandation de Trotski, pour participer à une délégation internationale conduite par Tchitcherine, devant se rendre à Gênes en mars 1922. Une note secrète de Lénine en date du 22 janvier 1922 annule la décision, pourtant déjà approuvée par le Politburo le 20. Visiblement, Soukhanov reste dans le viseur de Lénine : «J[i]e propose de rapporter Ia décision autorisant Tchitcherine à recruter Soukhanov et Iordanski. [...] Soukhanov,Ie bavard ne peut faire que du tort. Iordanski de méme. C’est archinuisible[/i].»

Puisque on en parle de ce texte de 1923: "Sur notre révolution - A propos des mémoires de N. Soukhanov", autant en souligner l'importance qu'il va prendre pour Staline justifiant le socialisme dans un seul pays – en utilisant la polémique contre Soukhanov. La postface de l'édition Smolny le fait remarquer judicieusement.
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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Cyrano » 09 Mai 2023, 10:13

En annexe de l'édition Smolny, on trouve donc le texte de Lénine, "Sur notre révolution - A propos des mémoires de N. Soukhanov".
Dans la longue postface de l'édition Smolny, on nous fait donc remarquer que ce texte fut utilisé par Staline. Là encore, clairement, l'édition Smolny ne peut se comparer aux extraits publiés par les éditions Stock au milieu des années 1960. Un extrait de cette postface sur la construction du socialisme et sur l'utilisation de Soukhanov (en 1926!):
Au fil des alignements des uns et des autres, c’est la question «théorique» de la possibilité du socialisme dans un seul pays qui servira à cristalliser les dissensions au sein des sphères dirigeantes du parti. Staline saura très habilement leur rappeler le cadre de discussion que tous ont accepté, et qui ne saurait être questionné :

«Enfin, nous avons les notes du camarade Lénine sous la forme des articles «Sur la Coopération» et «Sur notre révolution» (dirigé contre Soukhanov) qu’il a écrits avant sa mort et qui nous ont été laissés comme son testament politique. Ces notes sont remarquables par le fait que Lénine y soulève à nouveau la question de la possibilité de la victoire du socialisme dans notre pays, et nous donne des formulations qui ne laissent place a aucun doute.»
[Staline, "La déviation social-démocrate dans notre part
i", 1er novembre 1926]

Il ne restera alors plus à Staline qu’a dérouler le fil : ne pas reconnaître cette «possibilité de la victoire du socialisme» c’est remettre en cause le texte de Lénine de 1923; or ce même texte est une réfutation des positions de Soukhanov, remettre en cause le texte de Lénine revient donc à donner raison à Soukhanov, à donner crédit aux mencheviks (Staline ne s’embarrasse pas de distinguer les internationalistes ou non), c’est au final remettre en cause la décision de l’insurrection et de l’exclusivité du pouvoir bolchevik au second Congrès. Bref, c’est donc être dans le camp de la contre-révolution. Implacable. […]
Et c’est ainsi que Trotski ou Zinoviev se retrouvent empêtrés dans les filets du «soukhanovisme»:

«Le passage de la résolution qui place le trotskisme sur un pied d’égalité avec le soukhanovisme mérite tout spécialement l’attention. Et qu’est-ce que le soukhanovisme? ..
Nous savons par les articles de Lénine contre Soukhanov que le soukhanovisme est une variété de sociaI-démocratie, de menchevisme.
J'affirme que sur cette question tout à fait décisive de la construction du socialisme, Zinoviev abandonne le léninisme et glisse vers le point de vue du menchevique Soukhanov. Zinoviev a déserté Lénine et adopté le point de vue du menchevik Soukhanov, le point de vue selon lequel il est impossible de construire complètement le socialisme dans notre pays en raison de son retard technique.
En fait, Trotski a reflué jusqu’à Soukhanov, directement et ouvertement. […]
L’opposition a sombré dans la position du menchevik Soukhanov, dans son attitude consistant à nier carrément la possibilité de l'édification victorieuse du socialisme dans notre pays

[Staline, toujours dans son texte "La déviation social-démocrate dans notre parti"

Ouaih, hein, bon, se rafraïchier la mémoire, ça fait jamais de mal...

Lénine, "De la coopération",
publié dans la Pravda les 26 et 27 mai 1923, rédigé le 4 et 6 janvier 1923:
https://www.marxists.org/francais/lenin ... 230106.htm

Lénine, "Sur notre révolution - A propos des mémoires de N. Soukhanov",
publié dans la Pravda n° 117, le 30 mai 1923, rédigé le 17 janvier 1923:
https://www.marxists.org/francais/lenin ... 230106.htm
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