Sur le fond, j'aimerais mettre le doigt sur l'argument principal de nos historiens, formulé ici par François Delpla :
a écrit :L’écrasement du monstre dans sa tanière pressait plus que tout, Churchill en d’inlassables navettes accordait les violons des trois alliés principaux et ce n’était pas du luxe, tant, pour ne prendre qu’un exemple des craintes qui risquaient de paralyser l’action, la peur d’une communisation générale de l’Europe trouvait d’écho aux Etats-Unis. Depuis 1932, un homme qui a, sinon compris les détours de Hitler dans toute leur subtilité, du moins mesuré la dangerosité du nazisme, met tout en oeuvre, y compris en surmontant en lui-même un anticommunisme particulièrement invétéré, pour unir des forces matérielles et morales contre ce fléau. Le jour où les bombes pleuvent sur Dresde, il est comme toujours pressé d'en finir en ne négligeant aucun facteur, et le feu du ciel pour faire comprendre au peuple allemand qu'il est dirigé par un type dangereux fait partie de la panoplie.
Le texte de Churchill ci-dessus montre qu'il estime lui-même qu'à Dresde on y est allé un peu fort, sans éprouver le besoin de la moindre autocritique publique car c'est bien aux Allemands d'en faire, et à tous ceux qui leur ont été plus complaisants que lui.
Ainsi, l'écrasement de la population civile de Dresde aurait été un mal nécessaire afin de précipiter la chute du nazisme. A ceux qui émettent un doute sur l'efficacité militaire de l'action, on rétorque qu'il fallait "faire comprendre au peuple allemand qu'il est dirigé par un type dangereux" (sic). On imagine comment ce même raisonnement - ou plutôt, cette même apologie - peut être étendu sans peine au largage des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki.
Sauf que la réalité est très exactement inverse. De tels bombardements massifs, ciblés sur les civils, ne pouvaient au contraire que souder la population derrière le régime, en la convaincant qu'hors des nazis, point de salut, et que les alliés ne faisaient pas la guerre au régime, mais au peuple allemand. Et lorsque Himmler s'adressait à la population allemande en lui tenant, en substance, ce discours, la réalité semblait lui donner raison.
Alors, Churchill et les dirigeants occidentaux étaient-ils idiots au point de ne pas le savoir ? Manquaient-ils du sens politique le plus élémentaire en ne comprenant pas que des bombardements censés détacher la population du régime nazi la jettaient au contraire dans les bras de celui-ci ?
Non, évidemment, sauf à les prendre pour de sombres imbéciles. Alors, la conclusion qui s'impose pour tout historien honnête, c'est que le but de ces bombardements n'était pas militaire. Il n'était pas non plus de pousser la population allemande à se défier du régime, voire à le renverser elle-même. Car
c'était là précisément ce que les alliés voulaient éviter plus que tout. Les alliés avaient peur du communisme ? Certes oui ! Mais pas du pseudo-communisme de l'armée rouge et de la bureaucratie soviétique. Ils redoutaient l'embrasement révolutionnaire qui avait suivi la première guerre mondiale. Ils redoutaient le vide étatique en Allemagne, et ils redoutaient le prolétariat allemand.
Voilà ce qui explique cette série de bombardements : il fallait terroriser la population urbaine, et il fallait la disperser, l'atomiser, pour conjurer le danger révolutionnaire. La défaite du régime nazi, elle, pouvait attendre.