Engels et les origines de la société humaine

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par sylvestre » 22 Avr 2006, 13:34

Jacquemart :
a écrit : La discussion serait-elle en train de tourner au débat de spécialistes... entre non-spécialistes ?


Il me semble que c'est dans la nature des discussions entre militants révolutionnaires d'être des discussions entre non-spécialistes, autrement dit que tout militant révolutionnaire sérieux se doit de connaître les débats multiples qui affectent notre action. Le débat étant un bon moyen de stimuler l'apprentissage des différentes disciplines.

a écrit :Il me semble que ton emploi du terme de "spécialisation" et de "marchandises" à propos des Baruya est parfaitement inapproprié. Tout échange n'est pas un échange de marchandises,


Cette observation me semble hautement hétérodoxe. Pour Marx il est clair que l'échange transforme un produit en marchandise, par exemple dans Le Capital



a écrit :Dans l'échange immédiat des produits, l'expression de la valeur revêt d'un côté la forme relative simple et de l'autre ne la revêt pas encore. Cette forme était : x marchandise A = y marchandise B. La forme de l'échange immédiat est : x objets d'utilité A = y objets d'utilité B [6] . Les objets A et B ne sont point ici des marchandises avant l'échange, mais le deviennent seulement par l'échange même.



Jacquemart :

a écrit : et je ne vois pas trop en quoi, au vu du récit de Godelier, la société Baruya aurait été notablement transformée du fait de son contact avec le "marché mondial"... en réalité, avec quelques haches de métal.


Je n'ai pas d'expérience personnelle de la vie dans les hauts plateaux de Papouasie Nouvelle Guinéee, et pourtant je n'ai aucun mal à imaginer que quelques haches de métal me serait d'une haute utilité.


a écrit :Et j'insiste, les Baruya possèdent une structure sociale très primitive, sans paiement interne d'aucune sorte, chose remarquable... et fort rare.


Sans paiement interne, fort bien, il en est de même à l'intérieur d'un ménage prolétarien en régime capitaliste. Mais tout comme l'accés inégal au salaire dans un ménage prolétarien crée une dynamique déséquilibrée en faveur de celui dont le ménage dépend d'un point de vue financier, il est parfaitement logique que dans une communauté où l'échange de plaquettes de sel permet l'accés à des ressources particulièrement précieuses, des tensions se crée si le contrôle de ces ressources est entre les mains d'un groupe particulier.


a écrit :Pour les Naskapi, je n'ai pas été plus disert, précisément parce que les critiques de Leacock sont manifestement des réacs. Cela dit, l'accusation de biais dans l'utilisation des sources est recevable, quel que soit celui qui la lance. Et faute de disposer des sources en question, je ne me prononce pas.


Il est vrai que toute accusation est recevable quelque soit celui qui la lance, il est tout aussi vrai que les sources elles-mêmes ne sont pas forcément la description fidèle de la réalité, etc.
De toutes façons en l'ocurrence le débat ne porte pas sur les faits, ni même simplemet sur leur interprétation dans un cadre donné, mais sur la méthode d'interprétation : historique pour Leacock, ou statique pour Goldberg/Shaeffer. Dans tous les cas je te recommande la lecture de Leacock. J'ai trouvé un article d'elle sur le web.


a écrit :Pour terminer, je crois que tout le problème, au fond, est dans ton dernier paragraphe. Avoir une démarche "matérialiste", est-ce penser qu'à un niveau de développement des forces productives correspond nécessairement un type, et un seul, de rapports sociaux ? Et qu'à ce type unique, nécessaire, de rapports sociaux, correspond tout aussi nécessairement un type unique de famille et de rapports entre les sexes ? Personnellement, je ne le crois pas, et les données ethnologiques montrent que les forces productives définissent un cadre, des contraintes, mais au sein desquelles il y a souvent bien des possibilités de rapports sociaux (et de genre) assez différents. Et il me semble qu'une bonne partie des erreurs et du schématisme de certains marxistes à son point de départ dans cette interprétation étroite (et fausse) du matérialisme historique.


Les citations d'Engels que fait El convidado de piedra sout tout à fait pertinentes à ce sujet. Il y a bien évidemment des myriades des possibilités de rapport sociaux dans les deux millions d'années d'histoire humaine avant l'invention de l'agriculture ! Et y compris - pourquoi pas ? - il peut y avoir eu des sociétés où les hommes dominaient les femmes, ou l'inverse, suivant l'évolution historique particulière de chaque société. Mais je ne vois pas bien en quoi ce genre de rappel infirme en quoi que ce soit le cadre théorique d'Engels. A-t-il jamais prétendu par exemple qu'il était impossible qu'il y ait eu un groupe social quelconque où les femmes dominaient les hommes, (ou les hommes les femmes) avant l'invention de l'agriculture ? Bien évidemment non. Si on en trouve des exemples ce sera intéressant de les étudier pour voir quelles autres raisons que le développement de la production marchande peuvent être les causes d'une domination de genre. Je crois avoir suffisamment précisé pourquoi le cas des Baruya ne me semble pas être un exemple de ce type, mais si on trouve de meilleurs exemples ce sera intéressant.

Par ailleurs l'explication du carctère décisif dans l'institutionalisation de la domination masculine de la division entre sphère publique et sphère privée au cours du même développement historique qui a donné naissance à la propriété privée et à l'Etat est un apport décisif pour comprendre
- que la domination masculine n'a pas toujours existé, qu'elle n'est pas l'inévitable résultante de données biologiques. Qu'elle n'est pas non plus le résultat de la volonté de puissance des hommes, ou de la passivité des femmes, volonté et passivité qui seraient apparues à un stade arbitraire de l'histoire humaine.
- comment la combattre : en même temps que ses corollaires, c'est à dire la famille, la propriété privée et l'état.
sylvestre
 
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Message par sylvestre » 22 Avr 2006, 14:44

Jacquemart :
a écrit :Engels n'aurait-il pas compris ce qu'il écrivait lui-même ? Toujours est-il qu'avant d'écrire sur les sociétés primitives, il avait lu, et même fort attentivement, ce que les anthropologues de son époque avaient découvert, à commencer par Morgan. Mais qu'on s'en réjouisse ou qu'on s'en désole, bien des affirmations de Morgan, qui n'étaient autre chose que des spéculations, ou qui ne reposaient que sur des observations très partielles, ont été infirmées, ou relativisées, par la suite.


Nous sommes bien d'accord, d'où l'intérêt de travaux comme celui d'Harman, qui rappelle tout ce qui a été découvert et donc qu'il y a à corriger dans Morgan et Engels, notamment sur le matriarcat, les étapes précises du développement de la famille, le mode de production esclavagiste, etc.
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Message par Jacquemart » 23 Avr 2006, 08:24

Bon, suite aux deux interventions précédentes, je ne sais plus trop de quoi on discute.

Quel est le problème avec les thèses de Morgan, reprises par Engels ? Certainement pas qu'on y affirme qu'un certain nombre de rapports sociaux sont historiquement déterminés, qu'ils soient apparus, qu'ils aient connu une évolution, et qu'ils soient destinés à disparaître. Le problème est de savoir si l'ordre d'évolution que présente Morgan, les raisonnements grâce auxquels il construit cet ordre, et les corrélations qu'il croit mettre en relief, sont légitimes.

Morgan établit ainsi un ordre de succession des terminologies de parenté : on sait aujourd'hui que cet ordre de succession n'est pas tenable. Pas plus que la corrélation qu'il tente d'établir entre cette terminologie de parenté et le niveau de développement technique.

Morgan établit par le raisonnement un lien entre la forme de famille et la terminologie de parenté. On sait aujourd'hui que ces deux institutions sont indépendantes, ayant des fonctions sociales différentes.

Enfin, Morgan pense pouvoir déduire du système de parenté - et donc, du niveau de développement technique - les rapports entre les sexes. Par exemple, le fait que le développement de la richesse pousse à l'abolition de la matrilinéarité (celle-ci étant supposée exister nécessairement au stade précédent), ou que la polygamie ne puisse exister qu'au "stade supérieur de la Barbarie".

Voilà, c'est notamment cela qu'il faut vérifier, mettre en regard des faits collectés depuis lors, et abandonner s'il le faut. Et il le faut.

Et tiens, au passage, une remarque sur les raisonnements un peu trop schématiques (j'allais dire "à la hache", sans présumer de la matière dont elle est faite) : la société bourgeoise moderne, fondée sur les rapports de production capitalistes, est en même temps celle qui a proclamé et institutionnalisé l'infériorité de la femme (dans le code Napoléon ou dans les monarchies pétrolières modernes), et celle où l'égalité entre hommes et femmes a été proclamée avec le plus de force (dans nos pays, depuis une trentaine d'années). Comment faut-il comprendre das ce cas le matérialisme historique ? Et pourquoi voulez-vous que les choses aient plus simples, plus mécaniques et plus unilatérales dans les dizaines de milliers d'années et de situations du passé que dans les deux derniers siècles ?

Pour terminer, un mot encore sur les Baruya, dont je vois bien pourquoi Silvestre tient absolument à en faire une société à l'orée de la civilisation, ce qu'ils ne sont absolument pas. Pour que le produit soit une marchandise, l'échange est une condition nécessaire, mais pas suffisante. Et parler de "marchandise" à propos des échanges inter-tribaux des sociétés primitives, ça n'aide pas à comprendre ce dont il est question. Et surtout, rien ne prouve l'impact supposé de l'arrivée des haches de fer sur les rapports entre les sexes chez les Baruya. En tout cas, eux-mêmes ne font jamais allusion à une époque (pas si lointaine) où les choses auraient été différentes.

Quant aux Aborigènes australiens qui ignoraient non seulement l'agriculture mais aussi l'arc, on aura du mal à montrer en quoi la situation qu'ils faisaient aux femmes était due à l'influence de la société moderne...
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Message par sylvestre » 23 Avr 2006, 10:38

Jacquemart :
a écrit : Bon, suite aux deux interventions précédentes, je ne sais plus trop de quoi on discute.

Quel est le problème avec les thèses de Morgan, reprises par Engels ? Certainement pas qu'on y affirme qu'un certain nombre de rapports sociaux sont historiquement déterminés, qu'ils soient apparus, qu'ils aient connu une évolution, et qu'ils soient destinés à disparaître. Le problème est de savoir si l'ordre d'évolution que présente Morgan, les raisonnements grâce auxquels il construit cet ordre, et les corrélations qu'il croit mettre en relief, sont légitimes.

Morgan établit ainsi un ordre de succession des terminologies de parenté : on sait aujourd'hui que cet ordre de succession n'est pas tenable. Pas plus que la corrélation qu'il tente d'établir entre cette terminologie de parenté et le niveau de développement technique.

Morgan établit par le raisonnement un lien entre la forme de famille et la terminologie de parenté. On sait aujourd'hui que ces deux institutions sont indépendantes, ayant des fonctions sociales différentes.


Jusque là on est d'accord (on pourrait pinailler en précisant que la forme de famille et la terminologie de parenté ne sont pas complètement indépendantes, comme en général le vocabulaire utilisé pour désigner des rapports sociaux n'est pas complètement indépendant de la réalité de ces rapports sociaux, mais il peut évoluer plus lentement qu'eux).

a écrit :Enfin, Morgan pense pouvoir déduire du système de parenté - et donc, du niveau de développement technique - les rapports entre les sexes. Par exemple, le fait que le développement de la richesse pousse à l'abolition de la matrilinéarité (celle-ci étant supposée exister nécessairement au stade précédent), ou que la polygamie ne puisse exister qu'au "stade supérieur de la Barbarie".

Voilà, c'est notamment cela qu'il faut vérifier, mettre en regard des faits collectés depuis lors, et abandonner s'il le faut. Et il le faut.


Tu ne fais que réitérer ta thèse sans apporter d'éléments nouveaux pour l'étayer. En ce qui concerne le fait que la polygamine n'ait pu exister qu'au stade supérieur de la barbarie, c'est évidemment faux et fait effectivement partie des théories de Morgan qu'il faut réviser : Leacock signale par exemple que polygamie et polyandrie étaient fréquentes chez les Naskapi.

a écrit :Et tiens, au passage, une remarque sur les raisonnements un peu trop schématiques (j'allais dire "à la hache", sans présumer de la matière dont elle est faite) : la société bourgeoise moderne, fondée sur les rapports de production capitalistes, est en même temps celle qui a proclamé et institutionnalisé l'infériorité de la femme (dans le code Napoléon ou dans les monarchies pétrolières modernes), et celle où l'égalité entre hommes et femmes a été proclamée avec le plus de force (dans nos pays, depuis une trentaine d'années). Comment faut-il comprendre das ce cas le matérialisme historique ? Et pourquoi voulez-vous que les choses aient plus simples, plus mécaniques et plus unilatérales dans les dizaines de milliers d'années et de situations du passé que dans les deux derniers siècles ?


Je te remercie de cette occasion de rappeler l'utilité de l'approche matérialiste historique pour la période moderne : en effet les bouleversements qui ont eu lieu dans le monde depuis le début de l'époque bourgeoise, et qui n'ont pas d'équivalent dans l'histoire antérieure dans un temps aussi ramassé (sommes-nous d'accord là-dessus ?) ont aussi été des bouleversements dans les rapports entre les sexes. Ces bouleversements ne sont pas arbitraires, ils correspondent à des développements historiques qui ont changé la manière dont les humains s'organisaient, déterminés en dernière analyse par les conditions matérielles dans lesquelles ils ont vécu et sur lesquels ils ont agi pour les modifier.
Ainsi pour en revenir à Napoléon, le code civil n'est que la consécration de la période de réaction qui s'ouvre avec Thermidor, et dont la première victime fut le statut de la femme (répression des femmes révolutionnaires, stabilisation de son statut de "citoyen passif", etc., ), concurrente de la stabilisation de la domination bourgeoise. Dans les pays capitalistes centraux les luttes des féministes bourgeoises et prolétaires se sont déroulées dans un contexte historique précis, notamment celui de la lutte pour l'abolition de l'esclavage, et de manière générale dans un contexte de lutte de classes aigues qui rendaient d'autant plus urgent la résolution des contradictions internes de l'idéologie bourgeoise, notamment le suffrage universel des deux sexes, obtenus après la participation des femmes à l'effort de guerre dans un pays bourgeois comme le Royaume-Uni, grâce à une révolution prolétarienne en Russie. Les développements des droits des femmes depuis les années 60 sont quant à eux directement liés à la baisse de la natalité, l'allongement des études, et la découverte de nouveaux moyens de contrôle des naissance, qui ont permis au mouvement de libération des femmes d'atteindre certains objectifs.

Le capitalisme est un système très dynamique et il serait idiot de penser que la place des femmes y a toujours été la même depuis 1800. Mais je ne vois toujours pas pourquoi on devrait renoncer au matérialisme historique pour analyser son évolution ! Il faudrait en avoir une idée bien pauvre ...

a écrit :Pour terminer, un mot encore sur les Baruya, dont je vois bien pourquoi Silvestre tient absolument à en faire une société à l'orée de la civilisation, ce qu'ils ne sont absolument pas. Pour que le produit soit une marchandise, l'échange est une condition nécessaire, mais pas suffisante. Et parler de "marchandise" à propos des échanges inter-tribaux des sociétés primitives, ça n'aide pas à comprendre ce dont il est question. Et surtout, rien ne prouve l'impact supposé de l'arrivée des haches de fer sur les rapports entre les sexes chez les Baruya. En tout cas, eux-mêmes ne font jamais allusion à une époque (pas si lointaine) où les choses auraient été différentes.


Désolé je ne vois pas trace d'un argument dans ce passage. On peut discuter de la possibilité d'un échange de produits sans que ceux-ci soient des marchandises si tu veux, peut-être sur un autre fil ?
Quant à "rien ne prouve l'impact supposé de l'arrivée des haches de fer sur les rapports entre les sexes chez les Baruya", rien ne prouve le contraire non plus ! J'ai expliqué pourquoi la production de sel formait le début d'une différenciation entre sphère publique (échanges extérieurs) et sphère privée (la communauté Baruya). Je ne comprends pas quels sont tes arguments pour dire que cette différenciation soit n'a pas eu lieu, soit n'est pas pertinente.

La façon dont Leacock intègre les données sur la Mélanésie pour complèter la théorie marxiste me semble en effet pertinente - il est intéressant par ailleurs de constater que c'est un trait général des peuples de la région de connaître des relations conflictuelles entre les sexes, et d'analyser le cas des Baruya dans ce contexte :

http://www.washburn.edu/cas/history/stucker/Leacock.html

a écrit :Given these problems, is it possible to define with any certainty what the role of women was in egalitarian societies? The answer is yes; the foundation for an adequate definition of women's roles cross-culturally is now being laid as anthropologists (mostly but not exclusively women) turn to collecting new data on women's participation in different kinds of societies and to reexamining allusions to women scattered through old data. The picture that emerges falls, in my estimation, within the broad outlines proposed by Frederick Engels in his now classic Origin of the Family, Private Property and the State: the initial egalitarianism of human society included women, and their status relative to men declined as they lost their economic autonomy. Women's work was initially public, in the context of band or village collectives. It was transformed into private service within the confines of the individual family as part of the process through the specialization of work and increase of trade, both women and men lost direct control of the food and other goods they produced and economic classes emerged. The process was slow, and one that women apparently banded together to resist in various ways, judging from what we know of West African women's organizations and of patterned hostility between the sexes in Melanesia and other areas.


a écrit :Jacquemart : Quant aux Aborigènes australiens qui ignoraient non seulement l'agriculture mais aussi l'arc, on aura du mal à montrer en quoi la situation qu'ils faisaient aux femmes était due à l'influence de la société moderne...


"Les aborigènes australiens" c'est tout un continent sur lequel on a des données écrites depuis deux siècles. Pourrais-tu être plus précis ?

De mon côté je vais scanner une interview de Barbara Glowczewski qui apporte des éléments intéressants.
sylvestre
 
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Message par sylvestre » 23 Avr 2006, 20:48

Voici l'interview promise sur un peuple aborigène d'Australie.

Un extrait sur le sujet qui nous préoccupe :

a écrit :Q Est-ce que quelque chose de la différence se­xuelle s'inscrit dans ce type de société, autre­ment que dans nos sociétés de refoulement et de domination ?


Des livres sur la parenté, il y en a eu des tonnes. Des livres sur les rites des hommes aussi'. Mais il y a une chose qui est importante à dire, c'est que dans cette société, les femmes ne sont pas du tout lésées. II existe des gens qui défen­dent encore aujourd'hui des thèses aberrantes: dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, les hommes auraient le pouvoir parce qu'ils chas­sent et les femmes seraient dominées parce qu'elles cueillent. C'est important de démonter ce préjugé : si on inscrit une domination des hommes sur les femmes déjà dans ces socié­tés, c'est grave. Toutes les analyses qui sont faites maintenant tendent à prouver qu'il n'en était rien4, il n'y a jamais eu de domination à ce niveau-là... et puis, de toute façon la chasse est quand même plus rare que la cueil­lette, qui est, elle, une activité quotidienne.

En ce qui concerne les relations hommes-femmes, on peut partir d'une réalité: le camp des hommes est à l'écart et les femmes n'ont pas le droit d'en prendre le chemin, ni d'y en­trer, sinon, tabou de mort. Au moment où j'étais là, il y avait une jeune femme que son mari alcoolique, violent battait. Un jour, dans un mo­ment de colère, elle a commencé à marcher vers le camp des hommes. Les autres ont essayé de l'arrêter par des cris, puisqu'elles ne pou­vaient pas se lancer à sa poursuite sur le che­min. Elle s'est finalement arrêtée. mais Pendant toute la nuit, les hommes ont discuté : c'était la veille d'un déport de la communauté vers un outre lieu et ils voulaient punir toutes les fem­mes en refusant qu'elles portent avec eux. Tout le monde a fini par partir, ensemble, mais les femmes m'ont dit: "Ils vont la chanter à mort". Chanter à mort cela veut dire une condamna­tion par tout le groupe, qui peut prendre des années et faire mourir. Au moment où j'étais là, j'ai entendu parler de deux personnes d'une autre communauté qui étaient mortes, parce qu'elles avaient été chantées à mort des années auparavant.

Pour en revenir à l'histoire de cette femme, qui avait marché vers le camp des hommes, elle a été chantée à mort. Mais pas elle toute seule, elle et son homme. C'était le couple qui était perturbateur, c'était à cause de l'homme qu'elle était entrée dans cet état. Et quand elle a recommencé quelques mois plus tard, là les femmes l'ont attrapée et l'ont battue. Elles l'ont battue parce qu'elle les mettait toutes en danger. Maintenant elle ne peut plus marcher.

La communauté des hommes est séparée de celle des femmes. Le camp des hommes est à l'extérieur alors que celui des femmes est au centre immédiat au milieu du camp des familles. La convention est que les hommes ne peuvent pas entrer dans cet espace du centre, ce serait aberrant, cela ne leur vient pas même à l'idée de s'arrêter, de regarder. Alors, en ce qui concerne les rites par exemple, je dirais que le secret des femmes est différent de celui des hommes. Les hommes ont besoin de se cacher, mais le secret des femmes est à l'air libre. Effec­tivement, c'est moi qui pense cela. Mais j'ai trouvé qu'il y avait un grand respect dans ces relations. Lorsque femmes et hommes se retrouvent dans les camps des familles, lorsqu'ils sont peints après les cérémonies ( ils n'enlèvent pas leurs décorations sur leur corps), les hommes voient les dessins peints sur les corps des fem­mes et les femmes ceux que portent les hom­mes, mais chacun ignore le sens des dessins de l'autre. Ils les voient, mais ne savent pas la signi­fication. De la même manière, les femmes ont leurs tablettes sacrées , et les hommes aussi, et il y a tabou de mort sur quiconque voit les tablettes de l'outre sexe. Cela s'est passé, il y a trois ans: des hommes avaient vu des tablettes de femmes. Les femmes se sont vengées sur ces hommes et la communauté des hommes 0 approuvé la vengeance.

Les rites sont célébrés façon "hommes" et façon "femmes". Il y a dans cette société un espace entre hommes et un espace entre femmes. Ainsi par exemple, la "magie de l'amour". Cette magie est différente pour les hommes et les femmes : sur certains sites, il s'est passé quelque chose qui donne à tous les chants liés à la 'magie de l'amour" un pouvoir de séduc­tion sur l'être désiré de l'autre sexe. Quand un homme a envie d'une femme, il demande à ses amis de venir avec lui dans la brousse, hors du camp, et ils vont chanter certains chants, éventuellement l'homme sera peint et, en prin­cipe, ces chants ont un pouvoir de séduction sur la femme. Elle ne le soit pas. C'est une sorte de pouvoir télépathique qui agit. Pour les fem­mes, c'est pareil: quand elles désirent un homme, elles vont dans la brousse avec d'autres femmes et chantent un chant. Les chants sont différents. mais tous y croient, et disent : "un tel ou une telle, je l'ai "eu(e)" parce que j'ai chanté". Autre chose agit aussi : suivre la trace, marcher dans la trace de celui ou celle que l'on aime. La base de tout ce système, c'est la trace. La trace que les ancêtres ont laissée avec un arbre, un roc où l'ancêtre est entré, sorti, ou un point d'eau, de la même façon. Les traces de la chasse : savoir pister un animal, reconnaître les traces d'un animal, hommes et femmes sont très forts pour cela (les femmes prennent aussi des petits animaux, des lézards)... il m'est arrivé d'aller chasser avec les femmes : elles creusent dans la terre pour attraper des petits lézards et elles me montraient parfois une trace que moi, je voyais à peine, en me disant qu'une telle était passée par là il y avait un mois et demi... Donc séduire quelqu'un, test marcher dans ses traces sons être vu(e).

Les femmes Walpiri ne sont pas enfermées. Jamais je n'ai entendu là-bas un homme mépri­ser les femmes ou dire qu'elles ne comptaient pas. Ils les respectent énormément. If y a bien sûr un déséquilibre maintenant, dû à l'acculturation par les Blancs, à l'introduction de certains modes de vie et à ces nouvelles formes poli­tiques que les Blancs ont imposées . Si les femmes Walpiri ont connu le viol, c'est à cause des Blancs qui les ont sous-employées, prostituées. C'est comme l'histoire d'une femme bushman d'Afri­que du sud qui, quand on a voulu la filmer a dit: "Ne filmez pas mon visage, on me l'a volé"; elle avait été prostituée et C'étaient les Blancs qui lui avaient volé son visage:

Q Pour qu'il y ait de la différence sexuelle, il faudrait aussi que les ethnologues puissent la lire.

La plupart des ethnologues sont terrible­ment misogynes. Ceux qui ont travaillé en Aus­tralie, étant des hommes, ont été reconnus, adoptés par des hommes. Ils n'ont pas vu par exemple que les femmes, elles aussi, avaient des rituels, des cérémonies et ils en ont conclu que les femmes ne comptaient pas dans la vie ri­tuelle, ce qui est une aberration. Elles ont une vie rituelle qui a la même importance que celle des hommes, et si elles ne l'avaient pas, à la limite ce que font les hommes n'aurait aucun sens. Pendant leur cycle d'initiation, qui dure cinq mois, les garçons vont dans le camp des hommes, où les femmes n'ont pas le droit d'aller Alors, les mères se retrouvent provisoi­rement célibataires et elles vont habiter dans le camp des femmes, réservé normalement aux veuves et aux célibataires. Les femmes célibataires, elles aussi, ne le sont que provisoirement: la règle veut que les hommes aient en général deux femmes, sinon trois ou quatre et qu'ils dorment la nuit avec la première femme et aient dans la journée dés relations sexuelles avec les autres. mais, en fait, ils alternent leurs épouses la nuit, et donc celles qui se retrouvent seules viennent dormir dans le camp des fem­mes. II y a donc une population tournante. Les veuves, qui peuvent être parfois très jeunes parce qu'elles sont mariées très jeunes à des hommes vieux, doivent rester en deuil un on ou deux. Si elles sont très jeunes ou si elles sont mères d'un tout petit enfant, le deuxième mari est choisi par la famille, mais à partir du moment où elles sont mères d'un enfant initié (circon­cis), elles acquièrent un nouveau statut, qui est traduit par les Aborigènes (maintenant en anglais) par "business women" : "business", c'est tout ce qui concerne les rituels, les cérémonies. Donc les garçons sont pris en charge par les hommes et les femmes se retrouvent dans la communauté des femmes, avec leur statut de célibataire et de "business women", à célébrer pendant cinq mois des cérémonies analogues à celles que les hommes célèbrent, c'est-à-dire concernant les mêmes ancêtres, mais façon femmes. Ce sont les mêmes histoires qui sont chantées, les mêmes itinéraires qui sont célé­brés, mais avec des chants, des denses de femmes, des peintures de femmes, différentes de ceux des hommes. En devenant "business women"; les femmes acquièrent tout un savoir, qui leur est transmis par les autres femmes. Elles ont leurs propres sites, leurs propres inter­prétations. Et d'ailleurs, si elles m'ont demandé à un moment de les aider à se procurer un camion, c'est parce que les voitures sont deve­nues une sorte de privilège des hommes (ils vont chasser en voiture) et qu'elles, qui ne conduisent pas, ne peuvent pas aller au loin faire leurs cérémonies, dans leurs sites, depuis leur sédentarisation.

En Walpiri, c'est le même mot qui sert pour dire les cérémonies des femmes ('business") et le sang. Les hommes utilisent beaucoup le vrai sang pour les cérémonies, mais les femmes utilisent plutôt la peinture, avec de la graisse animale (maintenant plutôt du beurre ou de l'huile) comme support.

La vie quotidienne des femmes Walpiri, est mêlée à leurs activités rituelles. Par exemple, l'activité du matin commence par le récit des rêves de chacune, toujours référés à d'autres rêves de leur culture, liés aux ancêtres. Lorsque j'étais là-bas, je faisais des rêves incroyables et je les racontais aux femmes le matin. Elles étaient très amusées et les commentaient très très vite, en me disant que c'était bien ou en fronçant les sourcils. Avec elles, je parlais quel­ques mots d'anglais, quelques mots de Walpiri, mais elles utilisent entre elles un langage des moins, très particulier Une gestuelle qui fait tra­vailler tout le corps, les moins, le regard. Ce langage s'est développé à couse du voeu de silence du deuil, qui dure un on ou deux pour la veuve. Elles l'utilisent lorsqu'elles parlent des choses secrètes, donc de leurs rituels, de leur "business", lorsqu'elles font des commérages, principalement sur les choses de l'amour, et aussi en cas de conflit : quand deux femmes se disputent et vont en venir aux cris, soudain ça s'arrête et elles se mettent à communiquer par gestes, dans une sorte de danse qui met tout le corps en jeu. Le moment des deuils est un moment important, sur le plan des cérémo­nies. Lorsque j'étais là-bas, un homme d'une autre communauté est mort, et toutes les fem­mes qui étaient des "mères" pour lui du point de vue de la parenté sont entrées en deuil. On leur a construit un camp à proximité du camp des femmes, où elles ont fait vœu de silence durant deux semaines. Toutes les autres femmes se sont peintes en blanc sur les bras et le corps et se sont lamentées avec un chant extraordinaire... tout à fait tragique quelque chose de la voix impossible à expliquer... pres­que une transe. Elles marchaient en petits grou­pes, en se croisant, avec une danse qui n'a rien à voir avec les autres danses rituelles et qui comporte une espèce de saut, les bras et les jambes élancés en l'air, puis elles se rattrapent par les épaules et se consolent tout en conti­nuant cette lamentation. Puis elles prennent leurs bâtons (ce sont leurs "ormes" à elles, elles s'en servent à la fois pour fouir le soi quand elles cherchent la nourriture et dans leurs céré­monies pour danser autour) et elles se topent sur la tête avec jusqu'à ce que le sang coule. C'est pour cela que les femmes ont toujours une sorte de plaie sur le sommet de la tête, rouverte à chaque deuil.

La tête a d'ailleurs une très grande impor­tance. Elles passent leurs journées à s'épouiller les unes les autres et à s'arracher leurs cheveux blancs. On voit très peu de femmes âgées avec des cheveux blancs ; la plupart du temps, si leurs cheveux ne repoussent pas blancs, elles les gardent, sinon elles n'en ont presque pas. Et puis ou moment des deuils de parents pro­ches, elles se rasent les cheveux et les utilisent alors pour faire des ceintures, des cordes à col­liers ou des cardes sacrées qui servent à enduire le corps de peinture ocre en matière de gué­rison.

Dans les rapports des femmes entre elles, il y a une très grande complicité. Une certaine dureté aussi, mais surtout, une très grande tendresse. Elles ont parfois des relations homo­sexuelles entre elles, et si 'elles se font belles, c'est moins pour les hommes que pour les au­tres femmes... N'importe quelle femme arrive, se couche sur une autre et lui demande de l'épouiller, qu'on lui fosse des choses dans la tête ou les cheveux. C'est un plaisir évident. Elles mélangeaient souvent leurs cheveux aux miens pour que j'aie des poux et pour pouvoir aller me les chercher. Elles étaient toujours très déçues que je n'en oie pas (j'en ai maintenant, mais c'est trop tard...). Elles me prenaient parfois les cheveux pour me les arracher d'une façon très particulière et elles étaient déçues que je n'en éprouve pas de plaisir. Cela me faisait mal, mais pour elles, de toute évidence, c'était pres­que orgasmique. Elles m'ont peinte aussi, comme elles se peignent, en dessinant d'abord les contours avec un doigt à l'ocre rouge ou jaune, puis en encerclant avec un bâtonnet, petit à petit, ces contours avec des auréoles blanches, des arabesques... je n'ai jamais vu deux fois le même motif, bien que la structure du dessin reste fixe et ô base de traits et de ronds. Pour les "business women", il faut être grasse, avoir beaucoup de place sur le buste et les bras pour pouvoir faire les dessins les plus compli­qués. Je ne suis pas très grosse, mais j'ai grossi là-bas, alors que je ne mangeais pas beau­coup. Et les femmes m'ont dit que c'étaient !es dessins, la graisse des dessins qui me nourris­sait, spirituellement et physiquement... c'était extraordinaire, comme sentiment...

Dans leur vie quotidienne, les femmes sont surtout préoccupées par le fils (le fils selon la parenté; toute femme est à un moment ou un outre mère d'un fils selon la parenté), et c'est parce qu'il n'est pas là. Elles lui procurent la nour­riture jusqu'à l'âge de 30 ans. dans cette société, les enfants sont rois, ils sont adorés, ils peuvent faire ce qu'ils veulent. mais les femmes connais­sent aussi l'avortement (la vieille méthode de courir longtemps, puis de se faire des fumigations) et jamais une femme n'est bannie, ou même mal vue, parce qu'elle est stérile.

II est vrai que les femmes Walpiri ont subi d'autres influences ces trente dernières années. Elles ont, pour la plupart de celles qui ont 40 ans, été victimes de l'alcoolisme et de la prostitution imposés par les Blancs. Mais elles sont revenues, et les femmes plus âgées qu'elles ont continué à leur transmettre les connaissances sacrées... Maintenant, c'est un peu différent, elles ont les allocations familiales, elles dispo­sent d'argent, il y a une infrastructure blanche qui fait que les petites filles vont à l'école, puis dans une sorte de pensionnat pour Aborigènes où elles reçoivent une sorte de formation d'in­firmières ou d'institutrices. Mais ça ne les intéresse pas du tout de travailler Pour elles, la ville, c'est comme une initiation, elles y vont parce qu'elles y sont obligées, ou bien parce que cela leur plaît mieux que de s'occuper du mari qu'elles ont très jeunes. Mais elfes n'ont pas envie de rester en ville. Elles sont très heureuses dé revenir vivre chez elles.

Dans cette société, il n'y a pas d'initiation pour les femmes, au sens où cela se produit pour les garçons par exemple, mais transmission de tout un savoir qui est un art: art de pein­dre le corps ou les tablettes, de chanter les chants, de danser, en sachant ce que l'on peint, chante, danse. Et ce sont les femmes qui transmettent ce savoir. Les petites filles sont peintes par !es femmes jusqu'à l'âge de 7, 8 ans. Ensuite, elles ne sont plus peintes. C'est alors le temps des amours qui peut commencer puis la ma­ternité. C'est quand leur fils est circoncis (tou­jours le fils selon la parenté) qu'elles peuvent avoir accès à ces connaissances, peindre, être peintes, chanter, danser, comme les autres fem­mes leur apprennent à le foire.

Ce sont des secrets qu'elles m'ont transmis, à moi aussi, mais quel sens cela aurait-il que je les livre ? Lorsque je les ai filmées, ces femmes m'ont demandé de ne pas montrer ce qu'elles faisaient aux hommes d'ici. C'est pour cette raison que je suis venue vous en parler, à vous, tout de suite en rentrant, dans un lieu entré femmes. Ces femmes m'ont acceptée comme femme. Je vivais avec elles, et elles m'ont dit de montrer le film aux femmes d'ici... il y a une logique dans cette société.
sylvestre
 
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Message par sylvestre » 24 Avr 2006, 10:17

Toujours sur les aborigènes d'Australie, un point de vue plus large sur les questions liées à l'étude de ces sociétés par Eleanor Leacock :

http://tintinrevolution.free.fr/leacock1.html

a écrit :Much is made of Australian Aboriginal society in arguments for universal deference of women toward men. The data needs ethnohistorical review, since the vast changes that have taken place in Australia over the last two centuries cannot be ignored in the consideration of ritual life and of male brutality toward women. Disease, outright genocidal practices, and expulsion fro their lands reduced the population of native Australians to its lowest point in the 1930s, after which the cessation of direct genocide, the mission distribution of foods, and the control of infant mortality began to permit a population increase. The concomitant intensification of ceremonial life is described as follows by Godelier.1


This ... phenomenon, of a politico-religious order, of course ex­presses the desire of these groups to reaffirm their cultural identity and to resist the destructive pressures of- the process of domination and acculturation they are undergoing, which has robbed thetn of their land and subjected their ancient religious and political prac­tices to erosion and systematic extirpation. (1973: 1:3) (Translation mine. E.L.)


Thus ceremonial elaboration was oriented toward renewed ethnic identification, in the context of oppression. Furthermore, on the reserves, the economic autonomy of women vis-a-vis men was undercut by handouts to men defined as heads of families and by the sporadic opportunities for wage labor open to men. To assume that recent ritual data reflect aboriginal Australian sym­bolic structures as if unchanged is to be guilty of freezing these people in some timeless "traditional culture" that does not change m develop, but only becomes lost; it is to rob them of their history. Even in their day, Spencer and Gillen (1968: 443) noted the probable decline in women's ceremonial participation among t he Arunta.

Allusions to male brutality toward women are common for Australia. Not all violence can be blamed on European colonialism, to be sure, yet it is crass ethnocentrism, if not outright racism, to assume that the grim brutality of Europeans toward the Austra­lians they were literally seeking to exterminate was without pro­found effect. A common response to defeat is to turn hostility inward. The process is reversed when people acquire the political understanding and organizational strength to confront the source of their problems, as has recently been happening among Austra­lian Aborigines.

References to women of recent times fighting back publicly in a spirited style, occasionally going after their husbands with both tongue and fighting club, and publicly haranguing both men arid women bespeak a persisting tradition of' autonomy (Kaberry 1939: 25-26, 1 8 1). In relation to "those reciprocal rights and duties that are recognized to be inherent in marriage," Kaberry writes:

I, personally, have seen too many women attack their husbands with a tomahawk or even their own boomerangs, to feel that they are invariably the victims of ill treatment. A man may perhaps try to beat his wife if she has not brought in sufficient food, but I never saw a wife stand by in submission to receive punishment for her culpable conduct. In the quarrel she might even strike the first blow, and if she were clearly in danger of being seriously hurt, then one of the bystanders might intervene, in fact always did within my experience. (142-143)

Nor did the man's greater strength tell in such a struggle, for the wile "will pack up her goods and chattels and move to the camp of a relative ... till the loss of an economic partner . . . brings the man to his senses and he attempts a reconciliation" (143). Kaberry concludes that the point to stress about this indispensability of 'a woman's economic contribution is "not only her great importance in economics, but also her power to utilize this to her own ad­vantage in other spheres of marital life."

A further point also needs stressing: such quarrels are not, as they may first appear, structurally at the same level as similar quarrels in our own society. In our case, reciprocity in marital rights and duties is defined in the terms of 'a social order in which subsistence is gained through paid wage labor, while women supply socially, essential but unpaid services within a household. t1 dichotomy between "public" labor and "private" household ser­vice masks the household "slavery" of women. In all societies, women use the resources available to them to manipulate their situation to their advantage as best they can, but they are in a qualitatively different position, structurally, in our society from that in societies where what has been called the "household economy" is the entire economy. References to the autonomy of women when it comes to making decisions about their own lives are common for such societies. Concomitant autonomy of attitude is pointed out by Kaberry, again, for the Kimberly peoples: "The women, as far as I could judge from their attitudes," she writes, "remained regrettably, profane in their attitude towards the men." To be sure, they much admired the younger men as they paraded in their ceremonial finery, but "the praise uttered was in terms that suggested that the spectators regarded the men as potential lovers, and not as individuals near unto gods" (130). In summary, Kaberry argues that "there can be no question of identifying the sacred inheritance of the tribe only with the men's ceremonies. Those of the women belong to it also" (277). As For concepts of "pollution," she says, "the women with regard to the men's rituals are profane and uninitiated; the men with regard to the women's ritual are profane and uninitiated" (277).


1"Ce ... phénomène, d'ordre politico-religieux, traduit bien entendu la volonté de ces groupes de réaffirmer leur identité culturelle et de résister aux pressions destructrices du procès de domination et d'acculturation qu'elles subissent, qui les a privés de leur terre et soumet leurs anciennes pratiques religieuses et politiques à un travail d'érosion et d'extirpation systématique."

This is an excerpt from Women's Status in Egalitarian Society, Implications for Social Evolution, by Eleanor Leacock, first published 1978, as reprinted in Myths of Male Dominance, Montly Review Press, 1981. The works quoted in the passage are :

    *

      Maurice Godelier, Modes de Production, Rapports de Parenté et Structures Démographiques, in La Pensée, December 1973
    *

      Phyllis M Kaberry, Aboriginal Woman, Sacred and Profane, 1939

sylvestre
 
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Message par Jacquemart » 24 Avr 2006, 18:46

Pas facile de répondre brièvement à ces trois posts... Je me limiterai donc à l'Australie, pour autant que mes quelques connaissances me permettent de rentrer dans les détails.

De ce que je sais, l'impression que ces articles me donnent est de pécher par omission. Certains faits (que je ne me vois pas contester, à une exception près) sont mis en avant pour prouver la thèse d'une déformation "masculine" des données ethnologiques. Mais cette preuve se fait au prix d'un bon nombre d'omissions, qui je crois, nuancent sérieusement le tableau pour peu qu'on les prenne en compte.

Pour commencer, le point de contestation : Barbara Glowcsewski affirme que si les femmes qui voient les objets sacrés des hommes sont légitimement punies de mort, il en va de même pour les hommes qui verraient les objets sacrés des femmes. Or, en ce qui concerne ce deuxième point, j'ai entendu très exactement l'inverse. Voilà un aspect sur lequel il ne me reste plus qu'à retourner à la pêche aux informations.

Ensuite, les omissions. Les deux articles montrent un certain nombre de situations dans lesquelles la résistance des femmes - y compris armée - contre certains comportements des hommes est non seulement pratiquée, mais encore considérée comme légitime par la société. C'est sans aucun doute le cas. Mais qu'est-ce que cela prouve, exactement ? Que les femmes ne sont pas les victimes passives de l'arbitraire des hommes ? Que la société australienne ne présente pas le visage de la famille dite patriarcale, où le père puis le mari, possèdent sur elles tous les droits, ou presque ? Certes. Mais peut-on conclure pour autant à l'absence d'oppression et à l'égalité des conditions entre les sexes, c'est une autre affaire.

- les fillettes australiennes sont mariées (disons plutôt, promises) avant même d'être nées. Dans ces conditions, faut-il préciser qu'elles ne choisissent pas leurs maris ?

- si l'adultère est un droit reconnu par la société australienne, je ne crois pas qu'une femme puisse en revanche se soustraire aux "devoirs conjugaux".

- en cas d'enlèvement d'une femme par son amant, d'ailleurs, seule la mise à mort de celui-ci est considérée comme légitime... preuve que la femme n'est pas considérée comme responsable de ce crime à la même hauteur que l'homme.

- par ailleurs, si les femmes ont un mari et un seul (à la fois), les hommes, en revanche, consacrent leur existence à accumuler les femmes (plus de dix pour les plus débrouillards). Il y a polygynie généralisée, mais la polyandrie est inconnue, ce qui indique rarement une situation flatteuse pour les femmes.

- en cas de raid sur une tribu voisine et de meurtre des hommes, les femmes de ces derniers sont immédiatement possédées (dans tous les sens du terme) par les vainqueurs, et ramenées au camp (à noter qu'avant le viol, chacun s'enquiert de la "section" matrimoniale de chacune, afin que les règles soient scrupuleusement respectées. En cas d'incompatibilité de section, la femme est ramenée au camp et attribuée à un parent placé dans la bonne section).

Bien entendu, aucun de ces faits ne possède son équivalent dans l'autre sens. Je ne sais pas si ce bref tableau suffira à convaincre ceux qui l'auront lu, mais pour ma part, je le trouve convaincant. :hinhin:
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Message par sylvestre » 25 Avr 2006, 15:24

a écrit :Ensuite, les omissions. Les deux articles montrent un certain nombre de situations dans lesquelles la résistance des femmes - y compris armée - contre certains comportements des hommes est non seulement pratiquée, mais encore considérée comme légitime par la société. C'est sans aucun doute le cas. Mais qu'est-ce que cela prouve, exactement ? Que les femmes ne sont pas les victimes passives de l'arbitraire des hommes ? Que la société australienne ne présente pas le visage de la famille dite patriarcale, où le père puis le mari, possèdent sur elles tous les droits, ou presque ? Certes. Mais peut-on conclure pour autant à l'absence d'oppression et à l'égalité des conditions entre les sexes, c'est une autre affaire.


Avant même de considérer si oui ou non il y a oppression dans tel ou tel cas, il faut que nous mettions d'accord pour considérer la question de manière historique. Ce que je trouve particulièrement convaincant dans l'article de Leacock en particulier c'est qu'il faut abandonner l'idée qu'il s'agit de sociétés "sans histoire". "La société australienne" est un concept complètement inopérant. Quelle société quand ?

S'il s'agit de reconstituer ce qu'étaient les différentes sociétés en Australie, disons au dix-septième siècle, soit avant l'arrivée des blancs, force est de constater que la tâche est ardue, car il n'y a pas de trace écrite, et que celles qui nous ont été laissées par les colonisateurs (génocidaires) doivent être interprétées avec précaution, en gardant en tête leur racisme et leur sexisme. Quant aux récits du vingtième siècle, quand ils ne souffrent pas des mêmes biais, ils décrivent de toutes façons des sociétés traumatisées par le colonialisme. C'est valable y compris pour une société pouvant apparaître comme relativement préservée comme les Walpiri, ainsi que le rappelle Barbara Glowcsewski. Sandra Bloodworth a écrit un excellent article sur ce sujet.

Tu demandais il y a quelques posts quel était le sujet du fil. A mon avis la vraie question qui nous préoccupe de c'est celle de l'analyse d'un processus, pas celle de telle ou telle société "statique", ce qui est de toute façon une contradiction dans les termes.

D'autre part - et c'est lié avec ce qui précède - pour répondre à tes objections spécifiques, il faudrait préciser de quel peuple aborigène parles-tu ? A quelle époque ? Quelles sont tes sources ?

Sur un point de détail, révélateur d'un problème global :

a écrit :- les fillettes australiennes sont mariées (disons plutôt, promises) avant même d'être nées. Dans ces conditions, faut-il préciser qu'elles ne choisissent pas leurs maris ?


Comme le note Sandra Bloodworth, cela veut dire aussi que les maris ne choisissent pas leurs femmes ! C'est justement un bon exemple de comment notre perception d'une institution donnée (comme le mariage arrangé) est orientée par ce avec quoi nous l'associons dans notre culture et notre histoire (la société patriarcale bourgeoise du dix-neuvième siècle), et qui n'est pas pertinent dans la société que nous étudions, et en l'occurence n'est pas du tout une preuve d'un moindre statut des femmes.

Dernier point : y'a-t-il selon toi un seul exemple de société sans domination masculine ? Si non, pourquoi ? Et s'il n'a pas perduré, pourquoi ?
sylvestre
 
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