Le cas de conscience d’un petit-bourgeois.

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par manitas » 25 Oct 2005, 08:59

(nicorpz @ mardi 25 octobre 2005 à 00:39 a écrit :

3. Mais précisémént, s'il est un petit-bourgeois, son intérêt réel, c'est-à-dire immédiat et à court-terme, et non un vague intérêt philosophique tel que le souci de l'avenir de l'humanité, est de défendre la propriété et l'Etat en tant qu'ils sont les meilleures garanties de sa survie à court-terme. Si je ne me trompe pas, le marxisme a toujours enseigné que l'homme est d'abord guidé dans son action par ses interêts matériels les plus concrets, et nons par de grands idéaux. C'est même la base du marxisme: "ce n'est pas la conscience qui fait la vie, c'est las vie qui fait la conscience" (Marx).
Non.

Je ne prétends pas connaitre grand chose au marxisme, mais le matérialisme n'est pas de la mécanique. L'environnement agit sur l'homme, mais l'homme agit sur l'environnement. Sa conscience synthétise les informations venant du monde extérieur et lui permet d'agir de différentes manières sur lui. Mais c'est la conscience qui est le moteur de ce mécanisme, le monde extérieur n'est que le carburant. Si les choses étaient si simples que cela, tous les prolos seraient révolutionnaires. Le marxisme ne se borne pas à la mécanique de la société où à un déterminisme qui ne fait pas débat. Il introduit la contradiction qui exite entre l'homme et son environnement, et plus largement entre les hommes et l'"état social" (qui agit le premier sur qui? C'est un peu comme la poule et l'oeuf), et d'ailleurs résout cette contradiction.

Voilà. Si d'autres intervenants voient de grossières erreurs dans ce que je viens d'écrire qu'ils ne se fassent pas prier.

PS: Ton copain, il est pas prolo ni bourgeois (petit ou grand), c'est un étudiant. Il va à la fac prendre des cours et rentre chez lui pour les travailler. Qu'est-ce qui là dedans en fait un petit-bourgeois? Je suis moi aussi étudiant, venant d'un milieu prolo, et je n'estime pas avoir changé de classe sociale! Après, effectivement, s'il vient d'un milieu petit-bourgeois, ou le fréquente, il est normal que ce milieu déteigne sur lui. Mais milieu et classe sociale sont deux notions différentes.
manitas
 
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Message par titi » 25 Oct 2005, 09:27

(manitas @ mardi 25 octobre 2005 à 09:59 a écrit : Je ne prétends pas connaitre grand chose au marxisme, mais le matérialisme n'est pas de la mécanique.
(avec les mêmes précautions quant à mes capacités)

le marxisme n'est pas de la mécanique, certes, mais quand même de la thermodynamique...

le raisonnement est valable sur les grandes masses
après, il peut y avoir des particules, euh pardon, des êtres humains, qui se révoltent, pour des raisons x ou y, et qui peuvent franchir leur barrière de classe.

certes, comme nicorpz le suggère, il arrive aussi des moments dans l'histoire où une partie d'une classe "bascule" dans l'autre camp, ou tout au moins devient neutre.
titi
 
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Message par Matrok » 25 Oct 2005, 19:21

a écrit :Ton copain, il est pas prolo ni bourgeois (petit ou grand), c'est un étudiant. Il va à la fac prendre des cours et rentre chez lui pour les travailler. Qu'est-ce qui là dedans en fait un petit-bourgeois? Je suis moi aussi étudiant, venant d'un milieu prolo, et je n'estime pas avoir changé de classe sociale! Après, effectivement, s'il vient d'un milieu petit-bourgeois, ou le fréquente, il est normal que ce milieu déteigne sur lui. Mais milieu et classe sociale sont deux notions différentes.


Ce qui montre que les questions que se posent son copain ne sont pas que des interrogations individualistes : ça soulève aussi la question plus générale "qu'est-ce qu'appartenir à une classe sociale ?", question que je pose d'ailleurs ici parce car j'avoue humblement ne jamais avoir eu de réponse claire à cette question pourtant très basique.
J'ajoute que je me pose à peu près les mêmes questions que son copain, à ceci près que je ne milite pas...
Matrok
 
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Message par Gaby » 25 Oct 2005, 20:04

[quote=" (Matrok @ mardi 25 octobre 2005 à 20:21"]
Ce qui montre que les questions que se posent son copain ne sont pas que des interrogations individualistes : ça soulève aussi la question plus générale "qu'est-ce qu'appartenir à une classe sociale ?", question que je pose d'ailleurs ici parce car j'avoue humblement ne jamais avoir eu de réponse claire à cette question pourtant très basique.
J'ajoute que je me pose à peu près les mêmes questions que son copain, à ceci près que je ne milite pas...
Ce n'est pas tant son interrogation sur la realite de la lutte des classes qui m'a fait dire ca (meme si la personne part de son histoire individuelle pour extrapoler sur des conclusions universelles, et c'est pas rien comme indicateur des interrogations qui la travaillent)... C'est surtout la premiere partie de sa "reflexion" : je traine dans un milieu eduque, donc je devrais vouloir etre du cote de l'etat bourgeois. C'est, pour moi, effarant comme question tant pareille pensee meprise toute generosite, meprise la morale (quelque chose de "fragile"), et place au centre de l'existence d'une personne pourtant consciente, la defense des interets egoistes...
Ca a beau etre une veritable question, elle n'en raconte pas moins une histoire sur la personne, dans les termes employes.
Ca me blase... meme s'il ne s'agit pas d'un crime mais d'une des psychologies possibles d'un membre des "classes moyennes" dans une societe toujours plus traversee par les inegalites.

Ca me fait penser... A prendre comme une contribution...
Dans les quelques notes ecrites par Paul Lafargue en memoire de Karl Marx, je crois me souvenir que Lafargue nous raconte leurs ballades dans le parc... Et Marx confiait a son gendre Paul que toute personne objective, c'est-a-dire detachee de tout interessement et de conditionnement par son existence, devrait etre d'accord avec ses theses. Bien sur, pareil homme est une impossibilite sociale, mais meme un membre des classes possedantes peut tendre vers cette position, porte par son ideal de justice et une morale l'incitant a comprendre le monde tel qu'il est. C'est utopique. Mais pas moins une ambition pour toute personne "juste"...
Gaby
 
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Message par Matrok » 26 Oct 2005, 21:33

a écrit :
a écrit :J'ajoute que je me pose à peu près les mêmes questions que son copain


Ben peux-tu les formuler quand même ? Telles que tu te les poses toi précisément ?


Pas facile ! L'extrait de lettre retranscrit par nicorpz m'avais l'air assez clair, si on s'en tient au fond et non pas à ce qu'on peut en tirer comme conclusions sur la "psychologie" de son auteur... Mais je veux bien essayer de reformuler.

Et d'abord en reposant la question qui me semble centrale dans tout ça : "Que signifie appartenir à une classe sociale ?" On pourrait trouver un tas de réponses toutes faites, seulement aucune ne me permet apparemment de répondre à la question suivante : "Et moi j'appartiens à quelle classe sociale ?" Evidemment si je suis incapable de répondre à cette question là je ne me vois pas trop y répondre pour d'autres individus...

Ceci dit je ne me tord pas les boyaux de la tête pour si peu, je pense bien savoir à quelle classe sociale j'appartiens, même si cette réponse me paraît plus être une hypothèse plausible que l'application rigoureuse d'une théorie. J'appartiens donc à la petite bourgeoisie : Alors quand Arlette s'adresse aux "travailleuses" et aux "travailleurs" je ne suis pas forcément dans le coup. Plus grave, quand Marx écrit :
a écrit :Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre social passé. Que les classes dirigeantes
tremblent à l'idée d'une révolution communiste ! Les prolétaires n'y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner.

je ne suis pas concerné directement non plus.

Si moi je militais, alors moi non plus
a écrit :je ne pourrais parler et lutter en tant que prolétaire, ni a fortiori parler et lutter au nom des prolétaires. Mais cela ne signifie pas que je doive parler et lutter « à partir de ma position propre » (...) laquelle position est celle de la petite-bourgeoisie mondiale. A partir de ma position propre, je n’aurais finalement aucun intérêt réel, objectif, autre que moral, à désirer la destruction de l’Etat et du capital ; bien au contraire...

Voila, ça me paraît si clair que j'ai cité texto, juste un verbe remis au conditionel.

Sur l'absence d'intérêts "objectifs", de militer pour le communisme pour un bourgeois, il peut y avoir un malentendu. Gaby nous rappelle que
a écrit :Marx confiait a son gendre Paul que toute personne objective, c'est-a-dire détachée de tout intéressement et de conditionnement par son existence, devrait être d'accord avec ses thèses.

Voila pour l'objectivité, mais c'est en se plaçant du point de vue de l'humanité entière, en rejettant toute considération personnelle ; en particulier c'est un positionnement où la "conscience de classe" ne joue aucun rôle, au contraire. C'est évidemment un point de vue tout à fait justifié, mais il a pour conséquence de me faire passer de l'autre côté de la barricade. D'où mon interrogation (que je retrouve dans la lettre du copain de nicorpz) sur le sens de l'expression "lutte des classes" : s'il existe dans cette "lutte des classes" un côté dont l'intérêt coïncide avec celui de l'humanité toute entière, alors parler simplement de "lutte des classes" pour désigner cela apparaît curieusement réducteur.

Bon, j'ai la vague impression que j'ai été très verbeux et pas clair du tout... mais c'est difficile ce que m'a demandé Zelda !
Matrok
 
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Message par piemme » 28 Oct 2005, 11:55

C'est vrai que, dans le Livre III du Capital, Marx définit les classes sociales par l'origine des revenus des individus qui les composent (la vente de la force de travail pour le prolétariat, la plus-value pour la bourgeoisie, la rente foncière pour l'aristocratie). Mais il ne se contente pas de dire ça. Ainsi quand il parle des paysans dans le 18 Brumaire, il complète : "Les petits paysans constituent une masse énorme dont les membres vivent tous dans la même situation, mais sans avoir de contacts multiples les uns avec les autres (...) C'est ainsi que la grande masse de la nation française est constituée par une simple addition de grandeurs équivalentes, à peu près comme les pommes de terre dans un sac forment un sac de pommes de terre". Il ajoute : "La propriété parcellaire, dont le développement l'entraîne inévitablement à cet asservissement par le capital, a transformé la masse de la population française en troglodytes. Seize millions de paysans (femmes et enfants inclus) vivent dans des cavernes, dont un grand nombre n'a qu'une ouverture, d'autres deux seulement, et les plus favorisés trois ouvertures seulement. Or, les fenêtres sont pour une maison ce que les cinq sens sont pour la tête" (18 Brumaire).

La petite bourgeoisie me fait penser à ce sac de pomme de terre : une multitude (pour reprendre le terme cher à Negri, qui ignore les classes sociales), éparpillée, sans "position propre", sans sentiment d'appartenance commune, sans autre projet que sa propre reproduction. Mais pas n'importe quelle reproduction : une reproduction troglodyte, laquelle ne peut donner que des pommes de terre cacochymes, sous-développées.

D'où l'alternative suivante : regarder du côté du capital et travailler à son propre asservissement (c'est-à-dire garder quelques fenêtres ouvertes, avec vue sur les cars de CRS et un ipod nano pour le fond sonore, mais beaucoup de prétentions et d'illusions ; une histoire d'amour qui finit mal en général).

Ou, en faisant preuve d'un peu plus de dignité, viser beaucoup plus grand (et pouffer rien qu'à l'idée d'une "régulation économique" possible...).

Et c'est là que ça devient intéressant : car il s'agit de reconnaitre que la petite-bourgeoisie, sans révolution prolétarienne, ne restera fondamentalement qu'une population troglodyte, infirme (bien que très contente d'elle-même).

Ce n'est donc pas tout à fait qu'une question de morale, mais c'est reconnaitre son intéret. Et ça passe effectivement par la nécessité d' "admettre l'existence d'autrui" et de "s'interesser" à la condition prolétarienne", de "se soucier de l'égalité et de l'interet collectif". C'est-à-dire une certaine manière de percevoir le monde, sans illusion. Non pas "désirer la destruction de l’Etat et du capital", mais en reconnaitre la nécessité pour l'avenir de l'humanité.

Le petit-bourgeois qui choisit cette voie ne se transformera pas en ouvrier, mais il y a des chances qu'il devienne révolutionnaire. Fini alors le "cas de conscience"... :roll:
piemme
 
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Message par Gaby » 28 Oct 2005, 18:29

La il y a plusieurs questionnements qui se chevauchent dans ce fil...

Assez d'accord avec piemme quant au morcellement de la petite bourgeoisie... Elle forme un ensemble qui n'en est pas un, et n'est porteuse de rien.
Par ailleurs, le poids d'une population formee par une classe sociale, aux yeux du revolutionnaire comme de la societe entiere, depend de son role dans le processus de production. Trotsky a une phrase limpide a ce sujet dans un de ses ecrits de jeunesse, je crois que c'est Bilans et Perspectives. Dans ma memoire defaillante, il dit, que "L'importance sociale d'un travailleur croit proportionnellement aux forces productives qu'il met en mouvement". L'intermitemps du spectacle ne participe pas a une creation de richesse, le caissier McDo non plus, mais leur activite (necessaire) est rendue possible par la production prealable de plus-value. En revanche un ouvrier d'une usine a la pointe de la technologie est pour l'humanite plus important.
C'est au moins aussi vieux que Marx, mais certains a l'extreme gauche ne l'ont pas encore compris, s'etonnant que LO donne la priorite de son militantisme a la classe ouvriere.

Ca ne fait pas du proletariat industriel un amas de surhommes, loin de la les jugements de valeur. Ca en fait la classe sociale a meme de changer le monde tant la societe toute entiere repose sur son labeur. De sa prise de conscience depend le moteur de la revolution qui balaiera l'exploitation de l'homme. Parceque c'est la que tout se joue, dans la propriete. Le reste suit. Tout juste ce "reste" est-il capable de foutre le bordel.


Pour en revenir directement au fil, il faudrait un peu revenir a ce qu'est la petite bourgeoisie et se detartrer le cerveau... Dans le tableau social depeint dans ce fil, la petite bourgeoisie vit dans un monde bisounours, fait de richesses abondantes et de plaisirs sans fin. Dites les gars vous planez ? Moi quand je pense petite-bourgeoisie ou middle-class, je vois Willy Loman de Death of a Salesman, un commercial dechu dont la fin est agonisante... Detresse affective, desolation generale, pas foutu de payer son refrigerateur.
Quand je pense a la petite-bourgeoisie, je vois des types qui aux Etats-Unis sortent de leur universite avec une dette qui se compte en dizaines de milliers de dollars, parceque les parents n'ont pas pu se saigner assez le sang pour payer les 4 annees entieres. Je vois les journaux du monde entier s'inquieter de la baisse du pouvoir d'achat des classes moyennes. Je vois le chomage qui desormais, bien qu'a differents degres, menace tout le monde. Je vois qu'un enseignant est de moins en moins le "monsieur" du XIXeme siecle...
Les exemples sont infinis.

Et la voila la dure realite du capitalisme, il s'agit d'un monde qui faillit irremediablement, et ne peut meme nourrir ses adjudants-chefs quand ses generaux, eux, se petent la panse. Et je parle meme pas du haut etat-major...

Et dans le grand developpement historique d'un mode de production dont les contradictions ne font que croitre, la crise pour tous est un de ses effets. La bourgeoisie, et la je parle de la haute, conduit l'humanite toute entiere a sa perte, et cela on le voit deja aujourd'hui : que ce soit par le developpement des guerres, ou la precarisation pour tous.
C'est cela aussi la proletarisation des classes moyennes. Des types qui se jettent du haut des buildings de Wall Street...

Et comme on l'a dit plus haut, nul besoin d'etre un Tanzanien pauvre pour etre lucide. La conscience revolutionnaire, ca devrait etre a ce stade de developpement historique, l'affaire de tous.
Gaby
 
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