Engels et les origines de la société humaine

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par roudoudou » 12 Avr 2006, 20:44

a écrit :(comme pour des autres sur d'autres sujets).


Et dit don du calme monsieur je sais tout mieux que tout le monde sur le forum . :x
Je trouve que SHADOKO est patient avec toi :x
“J'ai décidé d'être heureux parce que c'est bon pour la santé.”
Voltaire
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Message par Jacquemart » 13 Avr 2006, 07:03

a écrit :De tout ceci, il y a deux choses qui me sautent aux yeux: la première est le relativisme de la formulation; "ça existe bien dans certains cas...et ça n'existe pas dans d'autres" et l'autre est que on ne donne pas des exemples clairs ce qui transforme la discusion en un débat d'histoiren spécialisées et laisse les intéressés à se demander ce que Jaquemart à bien voulu dire.

Je me doutais bien qu'on n'allait pas rester longtemps dîner entre nous sans qu'un convive prenne part aux agapes, convive qui s'il est de pierre ne reste pas longtemps de bois. Pour ma part, il y a deux choses qui me sautent aux yeux dans son intervention.

La première, c'est que le convive parle de relativisme dans ma formulation, alors que le problème n'est pas la formulation, mais les faits. Faits que certains s'obstinent à nier, ou à ignorer, parce qu'ils ont le défaut impardonnable de ne pas cadrer avec leur schéma (schéma qu'ils appellent "marxisme", confondant ainsi la méthode de raisonnement et une affirmation historiquement datée).

La deuxième, c'est que des exemples d'oppressions chez les Baruya et chez les Aborigènes, j'ai le souvenir d'en avoir donné à plusieurs reprises afin que chacun puisse juger par lui-même. Mais sur ce sujet comme sur d'autres, je peux retourner le compliment à certains, qui font comme si on ne leur répondait rien, et qui un peu plus tard, crient qu'on ne leur a jamais répondu en pensant que tout le monde a oublié. Je copie-colle donc un morceau d'un ancien post qui parlait des :

a écrit :aborigènes australiens, chasseurs-cueilleurs qui étaient systématiquement polygames, qui pratiquaient le rapt et le viol des femmes, chez qui celles-ci étaient mariées (par les hommes) avant d'être nées, et qui étaient punies de mort si elles voyaient un objet sacré appartenant aux hommes (l'inverse n'existant pas)
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Message par sylvestre » 13 Avr 2006, 17:04

Jacquemart :
a écrit :Or, on connaît aujourd'hui plusieurs exemples de sociétés, parfaitement documentées, qui sont des sociétés non seulement sans classes, mais même sans inégalité matérielle (ce n'est pas la même chose), et où les femmes sont manifestement dans une position subordonnée par rapport aux hommes. Je ne dis pas que c'est le cas partout dans les sociétés primitives (d'ailleurs, on connait des contre-exemples). Je dis que c'est parfois, ou souvent, le cas. J'ai cité précédemment le cas des Baruya, ou celui des aborigènes d'Australie. Ces cas existent-ils, oui ou non ? Peut-on sérieusement nier que les femmes y soient opprimées par les hommes ? Et ensuite, faut-il élaborer une théorie marxiste qui tienne compte de ces faits, ou s'accrocher à tout prix à un schéma élaboré il y a 140 ans, alors qu'on les ignorait ?



Les baruya sont bien sympathiques, mais il y a quelques problèmes à les prendre comme contre-exemple pour critiquer les théories d'Engels :

Tout d'abord ce n'est pas un peuple de chasseurs-cueilleurs mais un peuple pratiquant une agriculture simple, ainsi que la production de marchandises et la monnaie. Autrement dit c'est un peuple en transition vers la société de classes, quoique le peu de rendement des plantes cultivées et l'absence d'animaux de trait ait bloqué son développement jusqu'à en gros la colonisation. Je trouve d'ailleurs curieux que tu dises qu'il n'y a pas d'inégalité matériele et en même temps que les femmes sont subordonnées aux hommes. Ca me semble une contradiction dans les termes, ou alors nous n'avons pas le même sens du mot "matériel". D'autre part en tant que matérialistes (même pas forcément encore marxistes) il nous faut bien une explication à l'oppression et à son maintien en terme d'utilité sociale, en d'autres termes : pourquoi les femmes baruya ne se révoltent pas ? Je ne sais pas, mais tu as peut-être des indications.

En lien avec ce dernier point, une chose peut-être plus importante encore de notre point de vue : la nécessité d'une approche historique. Au moment où Godelier fait ses études les Baruya sont déjà en contact depuis longtemps avec le système capitaliste mondial, depuis plusieurs décennies sous sa forme coloniale. Il ne faut jamais perdre de vue le cataclysme qu'a representé le contact avec le monde développé, a fortiori la colonisation pour ces peuples. La simple disponibilité d'outils en métal de médicaments, donne un immense pouvoir aux membres du groupe qui en contrôlent l'acquisition. Là aussi je n'ai pas d'éléments pour les Baruya, sauf pour la production du sel, qui est précisément l'apanage des hommes je crois ?

A comparer avec les écrits d'Eleanor Leacock sur les Montagnais-Naskapi du Labrador. Ce peuple a été décrit dès le dix-septième siècle par les missionnaires jésuites, et Leacock est allée les étudier sur place à partir des années 1950. Cela lui a permis de tracer les changements survenus entre temps. Il ne s'agit pas pour elle de montrer qu'au dix-septième siècle l'égalité était parfaite (d'ailleurs le concept même d'égalité n'est pas forcément opérant), mais les preuves sont nombreuses d'une grande autonomie des femmes à cette époque, dont des traits importants ont survécu jusqu'au vingtième siècle. Par ailleurs le fait est que tous les changements survenus sont allés dans la direction d'une moins grande autonomie des femmes, d'un rôle accru des hommes dans les prises de décision à l'intérieur de cette population. Ce processus est lié historiquement aux changements dans l'économie des Montagnias-Naskapi, à la dissolution du groupe informel de chasseurs-cueilleurs, l'abandon d'une économie de subsistance (avec une importance particulière de la cueillette) vers la spécialisation dans la production de marchandises (fourrures), la place de la famille comme unité économique, l'action directe du pouvoir colonial.

Leacock remarque d'ailleurs que les sociétés mélanésiennes, en transition vers la société de classes quand la colonisation est survenue, sont souvent caractérisées par de forts conflits entre les sexes, mais où parfois ce sont les femmes qui ont le dessus, comme chez les Tchambouli étudiés par Margaret Mead.

Chez les aborigènes d'Australie, Barbara Glowczewski décrit également une grande autonomie des femmes dans ce que j'ai pu lire d'elle. Je n'ai pas énormément d'éléments là-dessus.
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Message par Jacquemart » 13 Avr 2006, 17:43

Je ne suis pas certain de trouver les Baruya sympathiques... :hinhin:

Pour parler plus sérieusement, il me semble que tu fais erreur lorsque tu caractérises leur économie et leurs rapports sociaux. Pour commencer, Godelier ne les a pas étudiés alors qu'ils étaient

a écrit :en contact depuis longtemps avec le système capitaliste mondial, depuis plusieurs décennies sous sa forme coloniale.

mais à peine quelques années (une dizaine) après leurs premiers contacts avec l'administration Australienne. Et leur économie commençait à peine à être affectée par ces contacts.

Ensuite, dire que :
a écrit :c'est un peuple en transition vers la société de classes

est une manière très tendancieuse de présenter les choses. Sachant que l'apparition des classes constitue l'aboutissement obligé de toute évolution sociale, on peut toujours dire que tous les peuples primitifs (y compris les Néanderthaliens !) sont "en transition" vers la société de classe. Le problème, c'est de savoir où ils en sont de cette transition. Et du côté des Baruya, bien qu'il s'agisse d'agriculteurs (non stockeurs), on en est fort loin... beaucoup plus loin, d'ailleurs, que chez certains peuples vivant encore de chasse et de cueillette.

Chez les Baruya, contrairement à ce que tu crois, il n'existe ni marchandise, ni monnaie. Je sais bien que Godelier s'est évertué à calculer le temps de travail social incorporé dans leurs barres de sel en les qualifiant de monnaie (pour finalement conclure que leur "valeur d'échange" n'avait rien à voir avec ce temps de travail). Mais la "monnaie" des Baruya n'en est pas une ; de surcroît, elle ne sert qu'à des échanges externes et nullement à des transactions internes. Le point crucial est celui-ci : chez les Baruya, aucune obligation sociale ne peut être réglée par des biens matériels. Il n'y a pas de transferts de biens lors des mariages (compensation matrimoniale), ni lors des meurtres (wergeld). C'est une société sans richesse, et sans inégalités matérielles.

Comment, dès lors, peut-on parler d'oppression des femmes ? Parce qu'à la différence de l'exploitation, qui suppose un travail gratuit effectué par une fraction de la société pour le compte d'une autre, l'oppression ne suppose pas nécessairement l'exploitation (même si elles sont loin d'être incompatibles). Et je le répète, autant il est facile de définir l'exploitation, autant il est difficile de définir l'oppression... même si parfois, il est très facile de la reconnaître.

Pour finir, sur les Naskapi, une rapide recherche sur Google m'a indiqué que les affirmations de Leacock sont très contestées, en particulier son utilisation des sources : elle aurait tronqué les citations pour leur faire dire tout autre chose. Faute de disposer des sources en questions, j'en suis réduit à l'expectative...
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Message par sylvestre » 21 Avr 2006, 10:56

Jacquemart :
a écrit :Chez les Baruya, contrairement à ce que tu crois, il n'existe ni marchandise, ni monnaie. Je sais bien que Godelier s'est évertué à calculer le temps de travail social incorporé dans leurs barres de sel en les qualifiant de monnaie (pour finalement conclure que leur "valeur d'échange" n'avait rien à voir avec ce temps de travail). Mais la "monnaie" des Baruya n'en est pas une ; de surcroît, elle ne sert qu'à des échanges externes et nullement à des transactions internes. Le point crucial est celui-ci : chez les Baruya, aucune obligation sociale ne peut être réglée par des biens matériels. Il n'y a pas de transferts de biens lors des mariages (compensation matrimoniale), ni lors des meurtres (wergeld). C'est une société sans richesse, et sans inégalités matérielles.



Pourtant je lis sur http://www.arte-tv.com/fr/connaissance-dec...ons/220072.html

a écrit :Cependant, comme nous l'avons vu, dans la décennie précédant l'arrivée du premier Blanc la hache d'acier et la machette étaient parvenues chez les Baruya, remontant les canaux du commerce intertribal en sens inverse de leurs barres de sel. Sans incitation ou pression extérieures, les Baruya avaient alors accru considérablement leur production de sel pour substituer ces nouveaux moyens de production aux anciens outils de pierre.
Cette substitution n'était pourtant pas totalement achevée lorsque la patrouille de Jim Sinclair entra sur leur territoire en 1951.


Il y avait donc bien contact depuis plusieurs décennies avec l'économie mondiale quand Godelier commence son étude, contact qui s'est traduit par la spécialisation dans la production de marchandises, et a forcément eu un impact sur la société Baruya.


Jacquemart :
a écrit :Pour finir, sur les Naskapi, une rapide recherche sur Google m'a indiqué que les affirmations de Leacock sont très contestées, en particulier son utilisation des sources : elle aurait tronqué les citations pour leur faire dire tout autre chose. Faute de disposer des sources en questions, j'en suis réduit à l'expectative...


Il aurait été bon que tu cites ces critiques. Je soupçonne que tu es tombé sur le texte de Robert Sheaffer Deceptions of a gender equal society. Sheaffer est un phallocrate militant qui reprend des arguments exposés par Steven Godberg, un autre ultra réactionnaire..

Cela ne suffit pas en soi pour réfuter les arguments de Sheaffer, mais ça aide quand même à situer la démarche.

Quant à la réponse à ces arguments, un chapitre du livre de Leacock, Myths of Male Dominance est consacré à un échange d'arguments avec Goldberg, je le scannerais si ça t'intéresse, car il est très intéressant. Le gros du problème est que Goldberg/Sheaffer pensent que Leacock prétend avoir trouvé chez les Naskapi une société égalitaire, et que toute leur argumentation porte sur la question de savoir si cette société était (parfaitement) égalitaire ou non.Pour détruire ce qu'ils pensent être la thése de Leacock et soutenir leur théorie selon laquelle le patriarcat a existé de toute éternité (car il est "inévitable" selon eux, ils trouvent, avec plus ou moins de bonne foi, des exemples ponctuels dans les récits des jésuites où les femmes sont maltraitées.

Ce que dit Leacock est en fait beaucoup plus intéressant : elle considère la société Naskapi de manière historique et observe que la grande autonomie des femmes, et leur rôle important dans les affaires publiques au dix-septième siècle - clairement attestée dans les récits des jésuites - a été réduite par la suite du fait de l'impact du colonialisme et du changement de l'économie Naskapi, qui d'économie de subsistance organisée autour du groupe informel est devenue économie marchande organisée autour de la famille patriarcale. Autrement dit elle a un point de vue matérialiste historique, qu'elle développe en expliquant que les sociétés humaines étant formées par les besoins de la production et de la reproduction, la thèse d'Engels suivant laquelle les sociétés de subsistance de la préhistoire étaient largement égalitaires a toutes les apparences de la probabilité, l'oppression systématique des femmes étant apparue avec le développement de l'économie marchande, et la division qui s'en est suivie entre sphère publique et sphère privée.
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Message par Jacquemart » 22 Avr 2006, 08:28

La discussion serait-elle en train de tourner au débat de spécialistes... entre non-spécialistes ?

Il me semble que ton emploi du terme de "spécialisation" et de "marchandises" à propos des Baruya est parfaitement inapproprié. Tout échange n'est pas un échange de marchandises, et je ne vois pas trop en quoi, au vu du récit de Godelier, la société Baruya aurait été notablement transformée du fait de son contact avec le "marché mondial"... en réalité, avec quelques haches de métal. Et j'insiste, les Baruya possèdent une structure sociale très primitive, sans paiement interne d'aucune sorte, chose remarquable... et fort rare.

Pour les Naskapi, je n'ai pas été plus disert, précisément parce que les critiques de Leacock sont manifestement des réacs. Cela dit, l'accusation de biais dans l'utilisation des sources est recevable, quel que soit celui qui la lance. Et faute de disposer des sources en question, je ne me prononce pas.

Pour terminer, je crois que tout le problème, au fond, est dans ton dernier paragraphe. Avoir une démarche "matérialiste", est-ce penser qu'à un niveau de développement des forces productives correspond nécessairement un type, et un seul, de rapports sociaux ? Et qu'à ce type unique, nécessaire, de rapports sociaux, correspond tout aussi nécessairement un type unique de famille et de rapports entre les sexes ? Personnellement, je ne le crois pas, et les données ethnologiques montrent que les forces productives définissent un cadre, des contraintes, mais au sein desquelles il y a souvent bien des possibilités de rapports sociaux (et de genre) assez différents. Et il me semble qu'une bonne partie des erreurs et du schématisme de certains marxistes à son point de départ dans cette interprétation étroite (et fausse) du matérialisme historique.
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Message par Jacquemart » 22 Avr 2006, 10:48

Engels n'aurait-il pas compris ce qu'il écrivait lui-même ? Toujours est-il qu'avant d'écrire sur les sociétés primitives, il avait lu, et même fort attentivement, ce que les anthropologues de son époque avaient découvert, à commencer par Morgan. Mais qu'on s'en réjouisse ou qu'on s'en désole, bien des affirmations de Morgan, qui n'étaient autre chose que des spéculations, ou qui ne reposaient que sur des observations très partielles, ont été infirmées, ou relativisées, par la suite.

Alors, la méthode du matérialisme historique, ça n'a jamais été de prétendre qu'on pouvait remplacer l'étude des faits par des pétitions de principe (plus ou moins bien comprises, d'ailleurs).
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