Samedi, entre 19h30 et 21h, à l'espace audiovisuel de la fête, Charles Reeve et Yves Pagès animeront un débat autour du livre "Marinus van der Lubbe - Carnets de route de l'incendiaire du Reichstag, et autres écrits" (Editions Verticales, mars 2003)
Publié à l'occasion du 70ème anniversaire de l'incendie du Reichstag, ce livre est le bienvenu, quelles que soient les réserves qu'on puisse formuler sur certains aspects de l'analyse politique figurant dans la présentation et la postface de l'ouvrage : peut-être contribuera-t-il à balayer une fois pour toutes les calomnies staliniennes contre Van der Lubbe... qu'on retrouvait (par ignorance du rédacteur sans doute, mais cela n'excuse pas tout) dans les colonnes de Lutte Ouvrière du 28 février dernier, où Van der Lubbe était présenté comme "un illuminé manipulé par les nazis"

Dès le soir de l'incendie (dans la nuit du 27 au 28 février 1933), les nazis déclenchèrent une vague de répression contre le parti communiste allemand, accusé d'avoir fomenté une insurrection en Allemagne, dont l'incendie du Reichstag devait donner le signal. Accusation stupide à tous points de vue (finalement, elle ne sera même pas retenue contre les responsables du KPD et du Komintern au procès de Leipzig), mais qui servit dans l'immédiat à justifier l'écrasement du PC allemand. En réponse, les staliniens attribuèrent l'incendie au nouveau régime nazi cherchant, à la faveur d'une provocation, à établir un climat de terreur en Allemagne à la veille des élections de mars... par lesquelles le KPD espérait balayer électoralement Hitler (début février 1933, Die rote Fahne, l'organe central du KPD, écrivait encore : "Hitler gouverne - mais le communisme avance" !).
Aussi les staliniens feront-ils tout leur possible - et même plus - pour présenter Marinus van der Lubbe comme un agent des nazis... quitte à inventer et falsifier des "preuves" contre toute évidence. Certes, au soir du 27 février 1933, le KPD et le Komintern pouvaient ignorer que Van der Lubbe était militant d'un groupe conseilliste hollandais, la LAO (Opposition ouvrière de gauche) d'Eduard Sirach, qu'il avait rejoint après avoir rompu, sur des bases antiparlementaires (d'où le Reichstag pour cible, d'ailleurs), avec le Parti communiste hollandais - mouvance dans laquelle il avait milité depuis l'âge de 14 ans. Mais ils n'ont pu l'ignorer bien longtemps, puisque les staliniens s'emploieront rapidement à "mener l'enquête", avec en particulier Otto Katz (alias André Simone) dans le rôle de l'"enquêteur" (il n'est d'ailleurs pas inintéressant de noter que le même Otto Katz se retrouvera après guerre comme témoin à charge dans le procès stalinien contre Rudolf Slansky !). Peu leur importera alors que l'enquête contredise point par point la thèse d'une collusion entre Van der Lubbe et les nazis : Katz se contentera de falsifier les témoignages recueillis... et Münzenberg, grand prêtre de la propagande stalinienne de l'époque (avant de tomber en disgrâce, comme bien d'autres), fera traduire en 17 langues et diffuser à des centaines de milliers d'exemplaires dans le monde le tristement célèbre Livre Brun, publié peu avant l'ouverture du procès de Leipzig, rapportant cette version frelatée de l'histoire dans laquelle Van der Lubbe "jeune pédéraste à moitié aveugle" (p. 59 de la version française) devient "l'instrument" des nazis. Les falsifications du Livre Brun sont d'ailleurs si grossières que plusieurs militants hollandais (certains même du PC hollandais) dénonceront publiquement l'utilisation mensongère de leur témoignage recueilli par Otto Katz. :bleu-vomi:
Au final, lors du procès de Leipzig, Dimitrov, co-accusé de Van der Lubbe avec d'autres responsables du KPD et du Komintern, demandera à la justice nazie "que Van der Lubbe soit condamné comme ayant travaillé contre le prolétariat" (cité dans L'Humanité du 17 décembre 1933)... voeu qui sera exhaussé, puisque Van der Lubbe sera condamné à mort, puis décapité le 10 février 1934 - depuis son arrestation dans le Reichstag en flammes jusqu'à son exécution, il avait toujours reconnu et assumé seul son geste par lequel, au moyen d'une action spectaculaire, il espérait réveiller la lutte du prolétariat allemand contre le nazisme, lutte qu'il pensait empêchée par le parlementarisme des partis ouvriers.
Dire que le geste était politiquement faux est une chose (d'ailleurs, la plupart des militants - comme Anton Pannekoek - qui prendront la défense de Van der Lubbe contre la justice allemande et les calomnies staliniennes, ne l'approuveront pas) ; calomnier son auteur et demander sa tête à la justice nazie en est une autre... Il faut croire que, bon stalinien, Gilbert Badia (parmi d'autres, certes) n'a pas vu la différence... à moins qu'il n'ait même pas pris la peine pour écrire son Incendie du Reichstag de s'intéresser à ce qui contredisait point par point la thèse stalinienne, et qui est pourtant disponible en français depuis l'époque (en particulier, le n°19 de La Revue Anarchiste, de mars 1934, consacre tout un chapitre à la dénonciation systématique des mensonges et des falsifications du Livre Brun - dossier partiellement repris dans La Révolution Prolétarienne de mars 1959).
... La publication du livre de Charles Reeve & Yves Pagès sera - je l'espère - l'occasion pour les camarades de lire, sur le sujet, autre chose que Gilbert Badia... et le débat à la fête, l'occasion d'en discuter !
