a écrit :Article paru
le 30 octobre 2008
« Le mythe du héros McCain est éminemment politique »
Le journaliste Daniel Roussel sort demain un documentaire qui contredit la version officielle sur les conditions de détention au Vietnam du candidat républicain à la présidentielle américaine. L’icône en prend un coup.
En 1992, le journaliste Daniel Roussel réalisait un documentaire sur les conditions de détention des pilotes américains au Vietnam (1) pendant la guerre. D’anciens prisonniers y commentaient des images de leur propre détention, filmées par l’armée vietnamienne. Ces recherches, à l’époque, mettaient le journaliste sur la piste d’un certain John McCain, alors sénateur aux États-Unis. Aujourd’hui candidat aux élections présidentielles, celui-ci s’est forgé, en trente-cinq ans, une image de héros, affirmant avoir été torturé à de multiples reprises dans les geôles vietnamienne durant ses cinq années d’emprisonnement. En septembre dernier, Daniel Roussel repartait au Vietnam à la recherche de nouveaux témoignages. Le documentaire qu’il en tire prend à contre-pied le « mythe McCain ». Il sort demain… sur Internet (
http://www.nouveauxmessagers.com).
Fin septembre, vous êtes reparti au Vietnam chercher des images du pilote John McCain, prisonnier à Hanoi. Qu’avez-vous récolté ?
Daniel Roussel. Surtout des témoignages. J’ai retrouvé quatre personnes dont les récits mis bout à bout racontent ce que fut, de leur point de vue, la véritable histoire de la détention de McCain. Il y a le milicien qui l’a sorti de l’eau après que son avion a été abattu ; l’infirmière, qui lui apportera les premiers soins. La cuisinière qui l’a côtoyé pendant des mois. Et enfin l’un des deux directeurs de la prison. Quant aux images, j’en avais déjà beaucoup, qui remontaient à mon premier documentaire, réalisé en 1992. Souvent filmées à l’insu des prisonniers, elles les montrent dans le cours, jouer au ballon, profiter du soleil… relativement détendus.
En quoi les récits contredisent-ils l’histoire officielle de McCain ?
Daniel Roussel. Son témoignage comprend de nombreuses invraisemblances. McCain laisse supposer que ses fractures sont liées à des tortures. Or, elles ont été causées quand il s’est éjecté de son avion. Il affirme avoir été interrogé et torturé pendant des jours à son arrivée à la prison centrale. Interrogé sur quoi ?, s’étonnent les Vietnamiens, qui affirment que les objectifs américains étaient connus et qu’ils n’avaient pas besoin des pilotes pour en savoir plus. Le plus gros étant que depuis trente-cinq ans, on lit que John McCain a été torturé quotidiennement. Or on le voit, lors d’une de ses nombreuses visites au Vietnam, en 2000, rire quand on l’interroge sur le sujet et répondre qu’il n’y a rien là— dessus, aucun film, aucune preuve. Plutôt ambigu…
Des témoignages d’anciens membres de l’armée vietnamienne, des images de propagande de guerre… Quel crédit accorder à ces documents ?
Daniel Roussel. Aux États-Unis, la parole d’un ancien directeur de prison vietnamien ne vaut rien par rapport à celle d’un candidat à la présidentielle. Ce postulat n’est pas le mien. Je ne donne pas plus de poids au récit des Vietnamiens : je mets face à face ce que disent les uns et les autres. Il appartient à chacun d’apprécier ce qui est crédible ou pas. Au vu de ces invraisemblances, je suis persuadé que McCain ment. Mêmes certains vétérans l’accusent de trahison. On est en droit de confronter son point de vue avec celui des Vietnamiens et des autres pilotes américains que j’ai interviewés en 1992. S’ils sont surpris par les images, eux ne contestent pas la grande majorité d’entre elles.
Avez-vous cherché à rencontrer McCain ?
Daniel Roussel. Oui, comme les autres, en 1992. Son cabinet m’a - retourné une fin de non-recevoir.
Quel sens donner au « mythe McCain » ?
Daniel Roussel. L’histoire de McCain en tant que telle est peu intéressante, si ce n’est que la presse et les conservateurs ont fait de lui un héros, une icône qui symbolise les valeurs de l’Amérique - une superpuissance qui se veut garante des droits de l’homme dans le monde. J’ai remonté le fil de cette histoire. Douze jours après sa capture, McCain était filmé sur son lit d’hôpital par un Français, François Chalet. Il explique qu’il est bien traité mais ces images sont indéniablement émouvantes. C’est un homme blessé, à l’hôpital : le mythe commence là. Le jour de sa libération, en mars 1973, à Hanoï, on le voit marcher d’un pas alerte, avec d’autres prisonniers, et saluer l’officier qui est devant lui - alors que j’ai toujours lu qu’il ne pouvait plus lever son bras tellement il avait été cassé. Mais quand Nixon le reçoit quelques jours après, on découvre un McCain avachi sur ses béquilles et qui fait mal à voir. Cette photo sera diffusée partout dans le monde. Encore aujourd’hui, on l’utilise pour parler de McCain au Vietnam.
L’icône McCain est difficile à déboulonner. Certaines histoires ont la peau dure. Dans les années quatre-vingt-dix, on assurait qu’il restait des prisonniers américains au Vietnam. Il y avait des campagnes de pétition, des photos circulaient, notamment celle d’un Noir dont on disait qu’il était retenu dans un endroit perdu. J’ai retrouvé ce mec : c’est le fils d’un Sénégalais mort à Dien Bien Phu. Toute cette affaire s’est arrêtée net aux alentours de 1997, quand les États-Unis et le Vietnam ont repris des relations normales. Cette mystification était éminemment politique, tout comme celle du héros McCain.
(1) Prisonniers au Hanoi-Hilton, 1992.
Pour tous renseignements, contacter [url=mailto:daniel.roussel4@hotmail.fr]daniel.roussel4@hotmail.fr[/url]. et danielroussel.blogzoom.fr
Entretien réalisé par Marie-Noëlle Bertrand