Nuit de Cristal

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par com_71 » 11 Nov 2006, 10:49

a écrit :La “Nuit de Cristal”


Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, Hitler décida de franchir une étape dans la persécution des Juifs d'Allemagne. Il lança ses nervis à l'assaut de la communauté juive en un vaste pogrom annonciateur des pires crimes à venir. Plusieurs milliers de boutiques appartenant à des Juifs furent saccagées et leurs vitrines brisées (d'où le nom qui fut donné par les Nazis eux-mêmes à leur sinistre exploit, la Nuit de Cristal). Quasiment toutes les synagogues du pays furent brûlées ou détruites, des dizaines de Juifs furent assassinés et 20 000 d'entre eux déportés dans des camps de concentration.

Un degré de plus dans la persécution

De fait depuis l'arrivée d'Hitler au pouvoir, le 30 janvier 1933, bien des mesures antisémites avaient déjà été prises visant à l'exclusion des Juifs de la vie sociale, politique ou économique.

Les lois racistes de Nuremberg en 1935 avaient retiré aux Juifs la citoyenneté allemande et prohibé les mariages entre Juifs et non-Juifs. Commencée en 1936, l' “aryanisation” s'accéléra. Les biens des Juifs (entreprises, boutiques, appartements, etc.) furent confisqués au profit du parti nazi qui les revendit à bas prix. En même temps, le 7 avril 1937 les Juifs avaient été exclus de la Fonction publique.

Toutes ces provocations antisémites avaient pour objectif de rendre la vie impossible aux Juifs d'Allemagne, pour les pousser à émigrer massivement. La Nuit de Cristal marqua de ce point de vue un tournant dans la sinistre politique antisémite du régime, en transformant les provocations en terreur à grande échelle.

Le 7 novembre 1938, l'assassinat à Paris d'un conseiller d'ambassade allemand par un jeune Juif allemand, Herschel Grynszpan, qui voulait ainsi protester contre un décret récent expulsant du territoire les Juifs de nationalité polonaise, servit de prétexte au régime pour lancer l'opération.

Un pogrom organisé par les dirigeants nazis

Le 9 novembre Goebbels, le responsable de l'information et de la propagande du Reich, donna l'ordre aux SA, les Sections d'Assaut, de déclencher le pogrom. Le 11 novembre, Goebbels devait écrire : “Hier : Berlin. Dans cette ville tout le monde a fait un travail fantastique. Incendie sur incendie. Excellente façon de procéder. Je prépare des instructions pour faire cesser l'action. Cela suffit pour l'instant [...]. La populace risque d'envahir la scène. Dans tout le pays, les synagogues sont réduites en cendres.”

Heydrich, le chef de la SD, le service de sécurité des SS, donna l'ordre d'arrêter le maximum de Juifs : “Pour l'instant on s'en tiendra aux hommes bien portants et pas trop âgés. Au moment de leur arrestation on devra contacter aussitôt les camps de concentration appropriés, afin de les faire interner dans les plus brefs délais.”

Dans son ouvrage L'Allemagne nazie et les Juifs, Saul Friedlander raconte la sinistre expédition d'un commando SS la nuit du 9 au 10 novembre dans la province d'Innsbruck dans le Tyrol (depuis l'Anschluss, l'Autriche était intégrée au Reich) : “Au 4 de la Gänsbacherstrasse, l'ingénieur Richard Graubart fut poignardé sous les yeux de sa femme et de sa fille. Au deuxième étage du même immeuble, Karl Bauer fut traîné sur le palier, poignardé et frappé à coups de crosse de pistolet ; il mourut sur le chemin de l'hôpital.”

Partout dans le Reich il y eut les mêmes scènes de terreur. Selon un rapport d'Heydrich, 36 Juifs furent tués. Mais le bilan fut bien plus lourd en réalité, presqu'une centaine de morts sans compter les centaines de suicides.

Dans la foulée des persécutions de la Nuit de Cristal, les Juifs furent rendus responsables des destructions et durent verser au parti nazi les indemnisations qu'ils avaient reçues des assurances. Le pouvoir leur interdit toute forme de distraction publique, théâtre, cinéma ou concert. Les derniers élèves juifs des écoles et universités allemandes furent exclus. L' “aryanisation” s'accéléra. On retira aux Juifs leur permis de conduire et la lettre “j” fut apposée sur leur passeport. Un tribut d'un milliard de marks fut extorqué sous prétexte de leur faire “expier” le meurtre commis par Herschel Grynszpan.

Prélude au génocide des Juifs et à l'encasernement de toute la population

La Nuit de Cristal du 9 novembre 1938 fut ainsi le prélude au déchaînement d'un autre pogrom, sur une tout autre échelle dans l'horreur, la durée et l'ampleur, celui du génocide des Juifs.

Au-delà de la population juive que visèrent les exactions antisémites, il s'agissait de transformer l'Allemagne en une gigantesque caserne encadrée par les bandes de nervis nazis et la population en chair à canon, sinon consentante en tout cas assez terrorisée pour renoncer à entretenir la moindre idée de rébellion. Ce fut cette politique qui permit à Hitler de préparer puis par la suite d'entretenir pendant six ans un effort de guerre sans précédent.

C'était d'ailleurs pour mener l'Allemagne à la guerre que les hautes sphères de la bourgeoisie allemande avaient fini par donner leur soutien à Hitler et à ses nervis. Pour l'impérialisme allemand, il était vital de remettre en question le partage du monde entre puissances impérialistes tel qu'il avait été fixé, à ses dépens, en 1919, par le traité de Versailles. Incapable d'imposer le prix de ce repartage du monde à une classe ouvrière forte de l'expérience de deux révolutions, la bourgeoisie allemande s'en remit finalement à Hitler pour mettre au pas la population, sans se préoccuper de l'engrenage infernal dans lequel elle entraînait le pays. La démission des partis de gauche et surtout le refus du Parti Communiste et du Parti Social-Démocrate de mener la classe ouvrière au combat face à la montée du fascisme firent le reste, permettant à Hitler d'arriver au pouvoir en 1933.

La démence meurtrière du génocide des Juifs, inaugurée par la Nuit de Cristal, a donné la mesure du danger mortel qu'il y a pour la classe ouvrière et la population tout entière à abandonner le pouvoir à la lie de la terre que constituent les bandes fascistes, celles d'alors comme celles d'aujourd'hui, quelles que soient les apparences plus ou moins respectables qu'elles puissent se donner.

Stéphane HENIN

Article paru dans Lutte Ouvrière N°1583 du 13 novembre 1998.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par com_71 » 11 Nov 2006, 21:26

Un texte de Trotsky rendant hommage à H. Grynszpan
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par DocStarrduck » 11 Nov 2006, 21:50

Léon Trotsky

Pour Grynszpan
Contre les pogromistes fascistes et les brigands staliniens

30 janvier 1939

Il est clair pour toute personne, même peu familiarisée avec l'histoire, que la politique des gangsters fascistes provoque directement et quelquefois délibérément des actes terroristes. Ce qui est le plus étonnant, c'est qu'il n'y ait eu qu'un seul Grynszpan [1]. Sans aucun doute, le nombre de ces actes augmentera.

Nous, marxistes, considérons la tactique du terrorisme individuel comme inopérante pour les tâches de la lutte libératrice du prolétariat ou des peuples opprimés. Un seul héros isolé ne peut pas remplacer les masses. Cependant nous ne comprenons que trop bien le caractère inévitable de ces actes convulsifs de désespoir et de vengeance. Toutes nos émotions, toute notre sympathie vont aux vengeurs qui se sacrifient, même s'ils n'ont pas trouvé la voie juste. Notre sympathie est d'autant plus grande que Grynszpan n'est pas un militant politique, mais un jeune, inexpérimenté, presque un enfant, dont le sentiment d'indignation a été l'unique conseiller.

Arracher Grynszpan des mains de la justice capitaliste, laquelle est capable de le décapiter pour mieux servir la diplomatie capitaliste, c'est le devoir élémentaire, immédiat de la classe ouvrière internationale.

La campagne stalinienne

Ce qui est le plus révoltant dans sa stupidité policière et sa bassesse inouïe, c'est la campagne actuellement menée sur ordre du Kremlin dans la presse stalinienne internationale. On essaie de le dépeindre comme un agent des nazis ou un agent des trotskystes liés aux nazis [2]. Fourrant dans le même sac le provocateur et sa victime, les staliniens prêtent à Grynszpan l'intention de créer un prétexte favorable à la politique pogromiste de Hitler.

Que dire de ces journalistes vénaux qui n'ont plus le moindre vestige de honte ? Depuis le début du mouvement socialiste, la bourgeoisie a de tout temps attribué toute démonstration violente d'indignation, et particulièrement les actes terroristes, à l'influence pestilentielle du marxisme. Sur ce point comme sur d'autres, les staliniens ont hérité des traditions les plus ignobles de la réaction. La IVe Internationale doit être à juste titre fière que les rebuts réactionnaires, staliniens compris, associent automatiquement à la IVe Internationale toute action ou protestation courageuse, toute explosion d'indignation, tout coup porté aux bourreaux. Il en était de même pour l'Internationale au temps de Marx.

Nous sommes naturellement liés par les liens d'une solidarité morale ouverte à Grynszpan et non à ses geôliers " démocratiques " ou aux calomniateurs staliniens qui ont besoin du corps de Grynszpan pour étayer, même partiellement et indirectement, les verdicts de la justice de Moscou. La diplomatie du Kremlin, complètement dégénérée, essaie en même temps d'utiliser cet " heureux " incident pour renouer ses intrigues en vue d'un accord de réciprocité international entre les divers gouvernements, y compris ceux de Hitler et de Mussolini, pour l'extradition mutuelle des terroristes [3]. Attention, maîtres faussaires ! L'application de pareille loi nécessiterait la remise immédiate de Staline entre les mains d'une douzaine de gouvernements étrangers !

Les staliniens ont glissé dans l'oreille de la police que Grynszpan fréquentait des " réunions de trotskystes ". Malheureusement, ce n'est pas vrai, car, s'il avait circulé dans le milieu de la IVe Internationale, il aurait trouvé une issue toute différente et plus efficace à son énergie révolutionnaire. Ils deviennent rares les gens qui soient même capables de s'indigner contre l'injustice et la bestialité. Mais ceux qui, comme Grynszpan, sont capables d'agir conformément à ce qu'ils pensent, prêts au sacrifice de leur vie, sont le précieux levain de l'humanité.

Trouvez une autre voie !

Du point de vue moral - et non pour ses méthodes d'action - Grynszpan peut servir d'exemple à tout jeune révolutionnaire. Notre solidarité morale avec Grynszpan nous donne doublement le droit de dire à tous les Grynszpan possibles, à tous ceux qui sont capables de se sacrifier dans la lutte contre le despotisme et la bestialité : Trouvez une autre voie ! Ce n'est pas un vengeur isolé qui peut libérer les opprimés, mais seulement un grand mouvement révolutionnaire des masses, qui ne laissera rien subsister du système de l'exploitation de classe, de l'oppression nationale et de la persécution raciale.

Les crimes sans précédent du fascisme créent une soif de vengeance parfaitement justifiée. Mais l'ampleur de ses crimes est si monstrueuse que cette soif ne peut être étanchée par l'assassinat de bureaucrates fascistes isolés. Pour cela, il faut mettre en mouvement des millions, des centaines de millions d'opprimés à travers le monde, en les menant à l'assaut contre les bases de la vieille société. Seul le renversement de toutes les formes d'esclavage, la complète destruction du fascisme, seul l'exercice de l'impitoyable justice du peuple contre les bandits et gangsters contemporains peuvent apporter une satisfaction réelle à l'indignation du peuple. Telle est précisément la tâche que s'est assignée la IVe Internationale. Elle nettoiera le mouvement ouvrier de la plaie du stalinisme. Elle organisera dans ses rangs l'héroïque jeune génération. Elle fraiera le chemin vers un avenir plus précieux et plus humain.

Notes

[1] Herschl Grynszpan (1922-19??) était un jeune Juif polonais qui, le 7 novembre 1938, dans un geste de protestation contre le sort des Juifs en Allemagne, avait abattu à Paris le conseiller d'ambassade von Rath. Son geste avait servi de prétexte à la vague de pogroms connue sous le nom de " Nuit de Cristal ".

[2] On peut se reporter à ce sujet aux commentaires de l'Humanité des 9 et 10 novembre où il est affirmé notamment que Grynszpan était en contact avec les trotskystes.

[3] C'était au lendemain de l'assassinat à Marseille du roi Alexandre de Yougoslavie que Maxime Litvinov, représentant de l'U.R.S.S. à la S.D.N. avait proposé des accords contre le terrorisme et obtenu le 10 décembre 1934 un du conseil pour une " aide mutuelle contre le terrorisme ", ce que Trotsky avait relevé à l'époque et vigoureusement souligné à plusieurs reprises lors des procès de Moscou et des accusations de " terrorisme " lancées contre lui.
DocStarrduck
 
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