
Publié :
15 Août 2004, 12:02
par Pascal
(Nadia @ vendredi 13 août 2004 à 11:26 a écrit :Bref, ça sent le bourbier yougoslave...
C'est le cas depuis l'effondrement de l'URSS dans la plus grande partie du Caucase : guerre en Tchétchénie, instabilité en Ingouchie ou au Dagestan pour le nord (en Russie), et une guerre avec nettoyages ethniques entre la Géorgie et l'Abkazie et l'Ossétie du sud dans les années 90, sans parler de la guerre entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan à propos du Haut-Karabaz.
Pour bien comprendre, il faut avoir à l'esprit que le Caucase est, non seulement une mosaïque de peuples, mais surtout un enjeu central pour les impérialistes. La mer Caspienne posséde une des plus grande réserve mondial de pétrôle (après le Moyen-Orient), et les USA rêvent de mettre en place un oléoduc transportant ce pétrôle de Bakou en Turquie, sans passer par la Russie, ce qui va bien sûr à l'encontre des intérêts russes.
Après l'indépendance de la Géorgie, des républiques comme l'Abkazie et l'Ossétie du sud ont fait scessession, et ont reçu le soutien de l'armée russe, ce qui fait que ces deux républiques ont une indépendance de fait (même si elles ne sont reconnues par officiellement par personne).
En fait, cela fait des années que la Russie et la Géorgie sont en conflit larvé (il y a à peu près un an, la Russie accusait la Géorgie de servir de base arrière aux nationalistes tchétchènes, d'où des tensions à la frontière entre troupes russes et géorgiennes par exemple).
Le nouveau président géorgien Mikhaïl Saakachvili voudrait profiter du soutien qu'il a reçu des USA pour accéder au pouvoir pour mettre fin à la défense de fait des républiques autonomes d'Abkazie et d'Ossétie. Il a ainsi déjà réussit à reprendre le contrôle de l'Adjarie (non loin de la frontière turque). Mais en essayant de contrôler l'Abkazie et l'Ossétie, il s'oppose directement au Kremlin...
Voilà, pour résumer, les différents intérêts en présence dans la région. Maintenant, pour répondre à la question de Yogik, je ne pense pas que le rôle des révolutionnaires soit de se positionner derrière telle ou telle clique, mais de dénoncer les manoeuvres guerrières dont les ouvriers et paysans de la région seront, une fois encore, les principales victimes.

Publié :
15 Août 2004, 12:20
par Pascal
Pour ceux et celles qui s'intéresse à la Géorgie, voilà un texte écrit lors de la "révolution des roses" (novembre/décembre 2003) par un réfugié géorgien. Si ce n'est pas un texte marxiste, on y trouve pas mal d'éléments intéressants sur les maîtres actuels de la Géorgie et les intérêts américains dans le Caucase :
Que c'est-il donc passé ?
Donc Chervardnadzé « est parti ». et ceux qui l’ont « renversé » sont ses enfants en politique. C’est lui qui jadis les avait fait apparaître comme contrepoids à d’autres personnages qu’il jugeait à l’époque dangereux pour lui. Avec l’aide de ces enfants-là, devenus depuis la base du parti pro-Chervadnadzé, « Union des Citoyens de Géorgie », il avait nettoyé la scène politique du pays de tout ce qui pouvait être une menace pour son pouvoir. Tout en étant certain de pouvoir se débarrasser aussi de toute cette lie le moment venu. Mais pour la première fois de sa carrière il s’est
trompé. Et les « enfants » se sont avérés bien débrouillards pour leur âge.
C’est Nino Bourdjanadzé(1) qui actuellement remplit formellement les fonctions de chef de l’Etat. Mais en fait le coup d’état a amené au pouvoir un triumvirat : Jvania(2), Saakachvili (3), Bourdjanadzé (cet ordre de succession est voulu). Le personnage le plus important dans ce triumvirat, bien qu’il reste dans l’ombre, est à l’évidence Zourab Jvania. Saakachvili est la principale « force de frappe ».
Quant à Bourdjanadzé elle aura des fonctions purement représentatives et s’efforcera de donner à ce trio de canailles un visage humain.
Le problème pour la Géorgie, c’est que ces gens-là ne sont pas seulement les dignes élèves de Chervadnadzé mais aussi (surtout Jvania) ceux à qui l’on doit les structures actuelles du pouvoir en Géorgie, les initiateurs de la politique extérieure et intérieure du pays, c’est-à-dire qu’ils portent l’entière responsabilité de l’horrible situation dans laquelle il se retrouve aujourd’hui. Ce n’est pas tout. Ils sont à l’origine des pratiques de falsification massive des résultats électoraux, surtout Jvania (une fois de plus) à l’époque où il dirigeait le parti de l’Union des Citoyens de Géorgie, et
où ses actuels sbires évoluaient dans les allées du pouvoir chervadnadzien. C’est précisément l’époque de Jvania que les commissions électorales étaient composés entièrement de membres du parti dominant (l’Union des Citoyens), Jvania contrôlait également les organes de sécurité et les falsifications s’opéraient essentiellement dans les couloirs des commissions, ce qui leur assurait une grande discrétion.
C’est précisément Jvania qui dirigea la dernière campagne électorale de Chervadnadzé, pendant laquelle les cas de fraude furent purement et simplement monstrueux. Les célèbres « tournées » pendant lesquelles les mêmes personnes allaient de circonscription en circonscription (en autobus !) et votaient chacune trente fois et plus, c’est aussi une invention de ces petits gars-là, et une pratique systématique chez eux. En ces occasions les observateurs internationaux fermaient les yeux avec indulgence sur les magouilles de nos garnements. Et cela continua de plus belle lorsque les observateurs du Conseil de l’Europe leur accordèrent le label « jeunes réformateurs ».
Selon les dispositions de la loi les élections présidentielles doivent avoir lieu dans les 45 jours. Elles vont se dérouler sous l’égide des actuels « vainqueurs », qui auront en mains tous les leviers du pouvoir et à vrai dire des possibilités d’action illimitées pour arriver à leurs fins. Il faudrait être très naïfs pour imaginer qu’ils ne s’en serviront pas. Ceci dit d’ici les élections, des rivalités internes peuvent les opposer entre eux… Les relations entre Jvania et Saakachvili sont sous le signe de la haine. Sauront-ils se mettre d’accord pour désigner un candidat unique, nul ne le sait. Encore que...
Si leurs maîtres (l’ambassade des Etats-Unis) leur en donnent l’ordre ils se mettront d’accord à nouveau. Ce qui apparaît plus problématique en revanche c’est la solidité de leur entente avec les autres partis qui se sont joints à eux. Bien que Jvania et Saakachvili disposent d’une certaine quantité de partisans tout à fait visibles et
bruyants, ils sont cordialement détestés par une partie considérable de la population, voire par des régions entières. Cette hostilité est particulièrement forte dans les régions à forte population azérie, que Saakachvili ne cesse de traiter de tous les noms dans ses interventions publiques. Et la Géorgie dans son ensemble voit d’un œil très méfiant les efforts de Saakachvili pour devenir un « second Zviad » (Zviad Gamsakhourdia était le premier président de la Géorgie). Il est possible qu’il ait
choisi cette image-là pour triompher d’une sorte de « complexe d’infériorité nationale » : on le soupçonne d’être d’origine arménienne (pour Jvania on le sait avec certitude). L’antisémitisme n’existe pratiquement pas en Géorgie, mais les relations entre Géorgiens et Arméniens, elles, sont incroyablement complexes et ambivalentes.
Tout cela pour dire que ces petits gars et leur façade (Nino Bourdjanadzé) sont totalement impopulaire dès qu’on sort de Tbilissi. Quant à leurs relations avec l’homme fort de l’Adjarie, Aslan Abachidzé, on pourrait définir cela comme une guerre froide qui parfois cesse de l’être. Cette guerre a déjà fait un nombre assez élevé de victimes. Rappelons que Jvania est persona non grata pour Aslan, suite à plusieurs tentatives de meurtre visant sa personne. A ce jour, dans la prison de Batoum est toujours enfermé un survivant de plusieurs de ces opérations, le colonel des services secrets de Géorgie, envoyé à Batoum avec la mission de liquider Abachidzé (4). C’est à dire envoyé par Chervardnadzé et Jvania !
L’Abkhazie5 et le Samatchablo sont un cas à part. Mais il faut remarquer que dans ces régions aussi nos « garnements » sont très mal considérés, à cause de leur servilité envers les Américains. Mais la grande inconnue, c’est le soutien que leur apportera une des plus importantes régions de Géorgie, la Samégrélo. C’est une région où l’on hait Chervadnadzé, et qui a apporté son soutien à quiconque
s’opposait à lui. Et puis de toutes façons cette région était (et elle l’est toujours) la patrie de l’ancien président Zviad Gamskhourdia, et en fait elle continue à échapper au contrôle du pouvoir central. Il y a quelques jours Gouram Absandzé (ancien ministre des finances dans le gouvernement de Gamskhourdia, réfugié en Allemagne après le putsch, puis livré par les Allemands à Chervadnadzé en toute illégalité, puis jeté par lui en prison et ayant réussi à s’évader il y a un an et demi) s’est emparé du bâtiment de la préfecture et Zougdidi s’est proclamé gouverneur de Samégrélo. Si l’on se rappelle que zoura Jvania avait pris une part active dans les tractations pour
obtenir que l’Allemagne livre Gouram Absandzé, puis avait préparé tout aussi activement sa liquidation une fois qu’il était incarcéré, ce qui avait rendu son évasion tout à fait impossible, il n’est pas difficile d’imaginer que Gouram Absandzé n’a rien oublié de tout ça. Enfin, il ne faut pas négliger un fait : toute la Samégrélo est à nouveau couverte de portrait de Zviad Gamsakhourdia, et Zouab Jvania avait été très actif lors du putsch de 1991-1992, qui renversa Zviad et fut à l’origine
de la guerre civile en Géorgie.
Je crains que la Géorgie ne soit au début d’une longue et douloureuse période de déclin et de guerre de tous contre tous. La personnalité de Chervadnadzé ne peut susciter que dégoût et aversion chez tout être normal, mais ses rejetons ont des physionomies tout aussi antipathiques. Et quand l’Occident s’étrangle d’enthousiasme devant les changements démocratiques dont la Géorgie serait
le siège, ou bien il ment délibérément, ou bien il ne comprend pas qu’une bande a tout simplement remplacé un chef vieillissant et en perte de vitesse. Et les « perspicaces » analystes occidentaux pourront appeler comme ils voudront les derniers événements, tout cela ne sent pas la démocratie.
Il n’y a là qu’une certaine logique historique, qui veut que Chervadnadzé, arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’état sanglant (qu’il avait préparé lui-même avec l’aide de ses amis russes) en soit chassé par un autre coup d’état (fomenté celui-là par ses amis américains). On peut seulement regretter qu’il ne risque pas de connaître le destin de Zviad : ses « enfants chéris » sont prêts à se porter garants de sa sécurité… Mais au demeurant peut-on en être sûr ?
La manière dont Edik a été éjecté du fauteuil présidentiel a suscité chez nombre de Russes un accès de joie mauvaise : ça y est, il était enfin puni de sa traîtrise envers la patrie soviétique. En fait, la Russie ne doit pas se réjouir mais bien plutôt féliciter Washington pour ce dernier en date de ses triomphes géopolitiques, qui cette fois-ci a pour cadre le Caucase. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le départ de Chervadnadzé, l’homme de Moscou et de Washington, ne fera que renforcer
la position américaine dans la région, tant il est vrai que le fond de l’affaire se ramène au remplacement d’une créature américano-russe ayant épuisé son crédit politique par une marionnette des Américains, et dire cela n’est pas un abus de langage.
Ces dernières années, dès que Chervadnadzé se heurtait à une difficulté importante, il demandait de l’aide à deux personnes : Abachidzé, l’homme des Russes, et le président de Russie. Mais en dépit de tous les serments de couloirs sur l’amitié éternelle de la Russie (serments qu’affectionnait particulièrement cet alcoolique d’Eltsine), les gardes du corps de Chervadnadzé étaient américains. Dès le début des années 90, la CIA avait pris part activement à la mise sur pied d’une garde
personnelle pour Edik. Et puis Washington lui apportait son aide financière. Naturellement ce n’était pas pour ses beaux yeux, pas plus que ça ne l’est aujourd’hui quand Washington aide le nouveau régime après le départ de Chervadnadzé. Les Etats-Unis ont en Géorgie de gros intérêts économiques et géopolitiques. C’est par la Géorgie que passe le futur oléoduc stratégique
Bakou-Jeïkhan. Pour ce qui est de la géopolitique, le contrôle de la Géorgie assure aux Etats-Unis le contrôle de tout le Proche-Orient.
Conscient de cela, Edik a fait de son mieux pour servir les intérêts des Etats-Unis, mais d’une manière ou d’une autre son passé soviétique faisait sentir son poids. Pour les Américains aussi d’ailleurs. Même Washington restait perplexe devant la carrière par trop sanglante de ce triste sire. C’est pourquoi se posa la question de son remplacement. L’ambassade des Etats-Unis développa une activité intense et on y vit fréquement nos « garnements ». Ceci étant, les Américains n’étaient
nullement troublés par les « exploits » de Jvania (c’est précisément quand il était au sommet du pouvoir que les assassinats d’opposants, les fraudes électorales, la toute puissance du MGB et de la police prirent un caractère massif), non plus que par les « intéressantes pratiques financières » de la famille Bourdjadnadzé ou par le vandalisme politique de Saakachvili. Il est tout à fait possible que ce soit justement à ce moment-là qu’ait vu le jour un plan à plusieurs variantes, destinés à remplacer un Chevik décidément usé par des candidats jeunes et moins « grillés ». Il en résulte la situation actuelle en Géorgie, situation totalement favorable aux intérêts américains.
Les trois principaux prétendants au fauteuil présidentiel (Jvania, Saakachvili et Bourdjadnadzé) sont des gens très divers. Mais ils ont un trait commun : ils mangent au même ratelier. Quel que soit le « vainqueur » aux présidentielles, Washington sera derrière cette élections. Bien sûr, actuellement, c’est Nino Bourdjadnadzé qui semble la mieux partie dans la compétition. Ella paraît avoir le plus de chances de l’emporter, ne serait-ce que parce que Saakachvili et Jvania ne peuvent pas se supporter et que chacun d’eux ne voudrait pas voir son rival occuper le fauteuil
présidentiel. Mais Bourdjadnadzé est loin d’être blanche comme neige. De toute façon, quelque soit le vainqueur des élections, nos « garnements » auront devant eux une tâche qui ne sera pas une partie de plaisir : écraser l’opposition et éliminer les indésirables. On est en droit de penser que les gars de l’ambassade américaine leur ont déjà donné le feu vert pour appliquer des mesures énergiques contre ceux qui ne pensent pas comme il faut, à plus forte raison lorsqu’ils mettent leurs actes en conformité avec leurs pensées.
On peut déjà prédire qui pendant les prochaines années deviendra la prochaine cible des Américains. C’est Abachidzé, le leader de l’Adjarie. Il se trouve devant l’alternative suivante : soit il chasse de Batoum la brigade blindée russe qui s’y trouve et déclare sa loyauté envers Washington, soit on le chasse lui-même d’une manière ou d’une autre. C’est tout à fait inévitable.
Il est prévu que vers 2006-2007 sera achevé la construction de l’oléoduc Bakou-Jeïkhan qui est de la plus haute importance pour les USA. Cet oléoduc débouche sur la mer dans le secteur de la localité géorgienne de Soupsa, située à 40/45 kilomètres de Batoum, où se sont les tanks russes ! Voilà qui est absolument intolérable pour les USA. Une pareille éventualité est devenue une réalité pour Aslan après qu’aux élections présidentielles il a activement soutenu Chervadnadzé (à l’instigation de ses copains russes) et a envoyé à Tbilissi quelques milliers de ses partisans, ce qui a provoqué des heurts avec les gardes de Jvania, Saakachvili et Bourdjanadzé.
Petit additif pour les Français, pour que les choses soient claires. Répondez à la question suivante : dans quelle mesure l’Allemagne fasciste serait-elle devenue plus démocratique si à la suite d’un coup d’Etat en 1944 c’était Himmler qui avait pris le pouvoir ? Il s’agit bien du même type de question. Qu’est-ce qui va changer en Géorgie après l’arrivée au pouvoir de Jvania, Saakachvili et Bourdjanadzé ?
Notes :
1 Nino Bourdjadnadzé : ancienne partisane de Chervadnadzé, ancienne présidente du parlement géorgien jusqu’en décembre 2003, elle s’oppose à Chervadnadzé à partir d’avril 2003.
2 Jvania (Zhvania selon la transcription anglaise) : ancien membre dirigeant de l’Union des Citoyens Géorgiens, parti de Chervadnadzé et ancien ministre de Chervadnadzé.
3 Saakachvili : chef du « Mouvement National », ancien ministre de Chervadnadzé formé à Harvard.
4 Abachidzé : leader de la région sécessionniste d’Adjarie (Sud-Ouest de la Géorgie, capitale Batoum).
5 Abkhazie : avec l’Adjarie et l’Ossétie du Sud, l’Abkhazie (au Nord-Ouest de la Géorgie, capitale Soukhoumi) est une région sécessionniste. En Abkhazie et en Adjarie se trouvent des forces militaires russes.