jamesdan a écrit :Parler de "nation juive" (ni Marx, ni Lénine, ni Trotsky ne l'ont fait)...
Un peu d'air frais, la conclusion de l'ouvrage d'Abraham Léon (La conception matérialiste de la question juive) :
La vie même montre donc que le problème qui divise si âprement le judaïsme : assimilation ou concentration territoriale, n'est essentiel que pour les rêveurs petits-bourgeois. Les masses juives ne souhaitaient que la fin de leur martyre. Cela, seul le socialisme peut le leur donner. Mais le socialisme doit donner aux Juifs, aussi bien qu'il le fera pour tous les peuples, la possibilité de s'assimiler comme la possibilité d'avoir une vie nationale particulière.
La fin du judaïsme ? Certes. Malgré leur opposition irréductible en apparence, assimilateurs et sionistes s'accordent à combattre le judaïsme tel que l'a connu l'histoire, le judaïsme mercantile de la Diaspora, le peuple-classe. Les sionistes ne cessent de répéter qu'il s'agit de créer en Palestine un nouveau type de Juif, entièrement différent de celui de la Diaspora. Ils rejettent même avec horreur la langue et la culture du judaïsme de la Diaspora. Au Birobidjan, en Ukraine et dans le bassin du Donetz, le vieil homme se dépouille aussi de sa défroque séculaire. Le peuple-classe, le judaïsme historique, est définitivement condamné par l'histoire. Le sionisme, malgré toutes ses prétentions traditionnelles, n'aboutira pas à une « renaissance nationale », mais tout au plus à une « naissance nationale ». Le « nouveau Juif » ne ressemble ni à son frère de la Diaspora, ni à son ancêtre de l'époque de la chute de Jérusalem. Le jeune Palestinien, tout fier de parler la langue de Bar Kokheba, n'aurait probablement pas été compris par ce dernier; en effet, à l'époque romaine, les Juifs parlaient couramment araméen et grec, mais ils n'avaient que de très vagues notions de l'hébreu. D'ailleurs, le néo-hébreu, par la force des choses, s'éloigne de plus en plus du langage de la Bible. Tout contribuera à éloigner le Juif palestinien du judaïsme de la Diaspora. Et lorsque, demain, les barrières et les préventions nationales commenceront à tomber en Palestine, qui peut douter qu'un rapprochement fécond ne s'opère entre travailleurs arabes et juifs, ce qui aura pour effet de les fusionner partiellement ou totalement.
Le judaïsme « éternel », qui n'a d'ailleurs jamais été qu'un mythe, disparaîtra. Il est puéril de poser en antinomie l'assimilation et la « solution nationale ». Même dans les pays où se seront créés éventuellement des foyers nationaux juifs, on assistera soit à la création d'une nouvelle nationalité juive complètement différente de l'ancienne, soit à la formation de nouvelles nations. D'ailleurs, même dans le premier cas, à moins de chasser les populations déjà établies dans le pays ou de renouveler les rigoureuses prescriptions d'Esdras et de Néhémie, cette nouvelle nationalité ne manquera pas de subir l'influence des anciens habitants du pays.
Le socialisme, dans le domaine national, ne peut qu'apporter la démocratie la plus large. Il doit donner aux Juifs la possibilité de vivre une vie nationale dans tous les pays où ils habitent; il doit également leur fournir la possibilité de se concentrer sur un ou plusieurs territoires sans léser naturellement les intérêts des indigènes. Seule, la plus large démocratie prolétarienne peut permettre de résoudre le problème juif avec le minimum de souffrances.
Il est évident que le rythme de la solution du problème juif dépend du rythme général de l'édification socialiste. L'antinomie entre l'assimilation et la solution nationale n'est que toute relative, la dernière n'étant souvent que la préface de la première. Historiquement, toutes les nations existantes sont les produits de diverses fusions de races et de peuples. Il n'est pas exclu que de nouvelles nations, formée de la fusion ou même de l'éparpillement des nations actuellement existantes, ne se créent. Quoi qu'il en soit, le socialisme doit se borner, dans ce domaine, à « laisser agir la nature ».
Il reviendra d'ailleurs ainsi, dans un certain sens, à la pratique de la société précapitaliste. C'est le capitalisme qui, par le fait qu'il a fourni une base économique au problème national, a aussi créé des antagonismes nationaux irréductibles. Avant l'époque capitaliste, Slovaques, Tchèques, Allemands, Français vivaient en parfaite intelligence. Les guerres n'avaient pas de caractère national; elles intéressaient seulement les classes possédantes. La politique d'assimilation forcée, de persécution nationale était inconnue aux Romains. C'est pacifiquement que des peuples barbares se laissaient romaniser ou helléniser. Aujourd'hui, les antagonismes nationaux culturels et linguistiques ne sont que la manifestation des antagonismes économiques créés par le capitalisme. Avec la disparition du capitalisme, le problème national perdra toute son acuité. S'il est prématuré de parler d'une assimilation mondiale des peuples, il est évident que l'économie planifiée, étendue à l'échelle de la Terre, aura pour effet de rapprocher considérablement tous les peuples de l'Univers. Cependant, il serait peu indiqué de hâter cette assimilation par des moyens artificiels; rien ne pourrait lui nuire davantage. On ne peut pas encore prévoir nettement quels seront les « rejetons » du judaïsme actuel; le socialisme veillera à ce que la « génération » ait lieu dans les meilleures conditions possibles.
Décembre 1942.
https://www.marxists.org/francais/leon/CMQJ08.htm