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Avec les jeunes Grecs, au coeur de l'université polytechnique d'Athènes
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Leur citadelle n'a pas de miradors, mais des salles de cours. Ils en ont fait leur mur d'enceinte. C'est l'université polytechnique d'Athènes, 13 000 étudiants en temps normal. Trois jours après la mort d'un jeune garçon de 15 ans, tué par un policier, le 6 décembre, à quelques centaines de mètres de là, l'université est devenue la principale place forte de ce que certains d'entre eux appellent déjà leur "guerre civile". Lire la suite l'article
"Eux", ce sont des étudiants, des jeunes actifs, des garçons, des filles. Des capuches et des foulards qui les protègent des gaz lacrymogènes, dépassent autant de joues barbues que de boucles d'oreilles.
Toute une génération, en fait : ils ont entre 15 et 35 ans. Toute une société aussi : des "smicards", des jeunes cadres, des militants d'extrême gauche, et d'autres pas engagés. Ce sont leurs tenues d'émeutiers vêtements sombres, baskets Converse qui estompent les lignes.
Leur leitmotiv, c'est la haine des "flics, porcs, assassins", équivalent local de "CRS, SS".Au pied des hauts murs beiges graffités de l'université, derrièrelesquels ils se réfugient entre deux assauts de pavés, on ne parle quecette langue. L'institution, qui leur sert de camp retranché, a de quoigalvaniser : c'est de là, en 1974, qu'est partie la révolte étudiantequi a précipité la chute du régime des colonels, la dictature militairequi a été à la tête de la Grèce de 1967 à 1974. Aujourd'hui, la loiinterdit aux forces de l'ordre d'y mettre un pied.
Cette nuit du8 décembre est la troisième nuit blanche pour certains dans ce lieud'aubaine. Ils y rêvent à leur tour de renverser un gouvernement, celuide centre-droit de Costas Caramanlis, actuellement au pouvoir.
Cegouvernement, ils le jugent responsable de corruption et d'inégalitéssociales. Responsable aussi de leurs salaires de débutants, à 650 eurospar mois, de leur obligation de cohabiter, pour beaucoup, jusqu'à 30 ansavec leurs parents. "On n'a pas de job, pas d'argent, un Etat enfaillite avec la crise, et tout ce qu'il a comme réponse, c'est dedonner des armes aux policiers, résume l'un d'eux. Alors, ce n'estpeut-être pas bien, ce que l'on fait, mais au moins, on fait quelquechose." Les feux de planches auprès desquels ils se réchauffent, àchacune des trois entrées de l'université, finissent en tout cas paréclairer plus leurs cernes que leurs barricades. Car, comme les joursprécédents, en plus de combattre, ils ont manifesté, plus tôt dans lajournée, dans les rues de la capitale.
Ce lundi, le cortège estparti de la place Omonia, en fin d'après-midi. Mais très vite, comme laveille et l'avant-veille, les événements ont dégénéré. Certains ontchoisi la méthode pacifique. Mais parmi eux, les koukoulofori (les "cagoulés") avaient envie de plus. Cela a été la nuit la plus violente depuis le 6 décembre.
Dansleur sillage, le centre-ville d'Athènes est ravagé. Dans le périmètrede plusieurs kilomètres carrés, qui avait été bouclé pour l'occasion,il n'y a pas 50 mètres de trottoir qui aient échappé à leursdestructions. Ici, un cinéma entièrement brûlé, là, des dizaines deboutiques incendiées. Les cabines téléphoniques sont systématiquementdéfoncées, comme les abribus. Les vitrines caillassées sontinnombrables. Le sapin de Noël qui ornait la grande place centrale deSyntagma a très vite terminé en brasier. Un manifestant hurle dans unhaut-parleur : "Du calme, les enfants, du calme !" En vain.
Vers22 heures, le cortège s'est dispersé, et beaucoup sont revenus au QG.Là, à l'université polytechnique, donc, où après plusieurs heures dejeu de chat et à la souris avec les "MATS" (les CRS grecs), ontousse, on crache, la gorge abrasée par les gaz lacrymogènes quiempestent tout le centre-ville. Là où ça crie, ça explose, ça hurleautour des sirènes de pompiers, aussi nombreux que les policiers. Maislà aussi où, éventuellement, à la cafétéria réquisitionnée, on peutespérer un café tiède.
"PEUT-TRE QU'IL FALLAIT QUE TU PARTES POUR QUE NOUS NOUS RÉVEILLIONS"
Dans la cour de la fac, la "guerre civile"s'organise méthodiquement. Dans un recoin, à l'abri des regards, uneéquipe fabrique des cocktails Molotov. Dans un autre, les propriétairesde scooters et Mobylette assurent à tour de rôle des rondes dans lesquartiers alentour. Dans un autre encore, c'est le carré des"koukoulofori", tous dans leur tenue noire, et peu causants.
Audernier et septième étage d'un des bâtiments en fond de cour, mêmel'administration est là, recluse. Ils sont une dizaine à veiller à tourde rôle. "Au début, on était plus nombreux, mais là, les gens commencent à fatiguer",explique le vice-président de l'université, Gerasimos Spathis. Ilveille avec bienveillance, et même avec enthousiasme, sur ce qui sepasse dans son enceinte.
Notamment parce que, de longue date, lecorps enseignant et les directeurs d'université sont profondémentopposés au gouvernement, en particulier à la politique de "privatisation"des facultés. Alors devant des "koukoulofori" qui arrachent les dallesdes terrasses du bâtiment pour les jeter du septième étage où il atrouvé refuge, M. Spathis encourage : "C'est un moindre mal, estime-t-il, si on n'était pas là, il y aurait des morts."A quelques pâtés de maisons de la citadelle, au carrefour de quatreruelles poisseuses et étroites, des fleurs et des bougies se sontaccumulées à l'endroit où le jeune Andreas Grigoropoulos est mort, le6 décembre, après le tir d'un policier. Un bloc-notes de feuillesblanches a aussi été laissé, avec un rouleau de Scotch et quatre stylos.
Depuis, des dizaines de mots ont été griffonnés et accrochés sur un pan de mur, au-dessus des cierges. Message posthume : "Bonvoyage Andreas. Peut-être qu'il fallait que tu partes pour que nousnous réveillions. Tu seras toujours dans nos coeurs, le dernier sanginnocent." Mardi, une manifestation d'élèves et une autred'enseignants étaient prévues à Athènes et dans les principales villes,ainsi que les obsèques d'Andreas Grigoropoulos. Mercredi, une grèvegénérale de vingt-quatre heures contre les réformes du gouvernement est programmée.