Un extrait:
a écrit :Le 6 avril, nous sommes à la périphérie est de Bagdad, devant un pont stratégique que les Américains appellent le Bagdad Highway Bridge. Les zones habitées sont plus nombreuses. Les snipers américains ont reçu l'ordre de tuer tout ce qui avance vers eux. Cette nuit-là, un adolescent qui traverse le pont est abattu.
Le matin du 7 avril, les marines décident de franchir le pont. Un obus tombe sur un véhicule blindé. Deux marines sont tués. Le passage prend une allure tragique. Les soldats sont stressés, fébriles. Ils crient. Pour ma part, je considère que le risque n'est pas majeur et je suis le mouvement. Eux hurlent, se crient les ordres, leurs positions, entre le fantasme, la mythologie, le conditionnement. L'opération se transforme en passage du pont de la rivière Kwaï.
Après, c'est une portion de terrain ouverte, ils progressent et prennent position, cachés derrière des buttes de terre. Ils sont toujours très tendus. Une petite camionnette bleue se dirige vers le convoi. Trois tirs de sommation, pas très ajustés, devraient la faire s'arrêter. La voiture continue de rouler, fait un demi-tour, se met à l'abri, revient doucement. Les marines tirent. C'est confus, ils tirent finalement de toutes parts. Des "Stop the fire !" (cessez-le-feu) sont criés. Le silence qui suit est accablant. Deux hommes, une femme viennent d'être criblés de balles. C'était ça l'ennemi, la menace.
Une deuxième voiture arrive, le scénario se répète. Les passagers sont tués net. Un grand-père marche lentement avec sa canne, sur le trottoir. Ils le tuent aussi (photo ci-dessus). Comme la veille, les marines tirent sur un 4 × 4 qui longe la berge du fleuve, s'approchant trop près d'eux. Criblée de balles, la voiture part en tonneau. Deux femmes et un enfant en sortent, miraculés. Ils se réfugient dans une masure. Elle est volatilisée quelques instants plus tard par un tir tendu de char.
Les marines sont conditionnés pour atteindre l'objectif à tout prix, en restant vivant, face à n'importe quel ennemi. Ils abusent d'une force inadaptée. Cette troupe aguerrie, suivie de tonnes de matériel, appuyée par une artillerie extraordinaire, protégée par des avions de chasse et des hélicoptères ultramodernes, tire sur des habitants qui n'y comprennent rien.
J'ai vu directement une quinzaine de civils tués en deux jours. Je connais assez la guerre pour savoir qu'elle est toujours sale, que les civils sont les premières victimes. Mais comme ça, c'est absurde.