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Message Publié : 19 Mars 2006, 23:36
par Barikad
Voila deux articles parus dans des numeros différents de Rouge, l'un répondant à l'autre.
Le premier:


a écrit :Hamas
Nouveau nationalisme palestinien ?


La victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes, le 25 janvier dernier, modifie la donne au Proche-Orient. Une nouvelle période historique s’est-elle ouverte ? « Rouge » ouvre le débat. Voici un point de vue, auquel il sera donné réponse prochainement.


Le vote palestinien établit une série de ruptures et de continuités, dont le Hamas est devenu peu à peu l’ultime représentant. Le vote, lors des législatives palestiniennes du 25 janvier, est un vote de continuité, en ce que la rue palestinienne a exprimé une attitude de résistance politique et de confirmation de ses aspirations nationales, tant à l’égard d’Israël qu’à celui de la communauté internationale. Le Hamas a également bénéficié d’une dynamique politique plus large, qui voit depuis quelques mois le camp impérial et ses soutiens gouvernementaux arabes mis en difficulté par la percée des Frères musulmans en Égypte, par l’impossibilité d’assainir la situation sécuritaire en Irak, et par le renforcement spectaculaire de l’axe Téhéran-Damas. Enfin, le Hamas tente de se redéfinir politiquement en tant qu’organisation à la fois islamique, nationaliste et à dimension arabe, à l’image du Hezbollah libanais, devenu depuis la fin des années 1990 le modèle même, dans la région, des mouvements de libération nationale. Tout comme son homologue libanais, son programme politique n’est pas fondé sur une hypothétique implantation forcée de la charia comme source du droit constitutionnel, mais bien sur une reprise du discours nationaliste, ce qui lui vaut une reconnaissance large dans la société palestinienne, tant au sein du camp nationaliste, qu’à gauche.

Pragmatisme

Mais le vote palestinien est également un vote de rupture : rupture, en ce qu’il s’agissait d’en finir avec une série de pratiques qui voyaient l’Autorité palestinienne, le Fatah, les services de sécurité et les institutions de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) se confondre, le tout dans une atmosphère de corruption généralisée.

Le Hamas constitue tout d’abord, au contraire du Fatah, une organisation structurée et au fonctionnement interne relativement collégial et démocratique ; sa branche armée, les Brigades Ezzedine Al-Qassam, est correctement centralisée, obéissant aux principes définis par l’organisation politique. Toutes deux ont également un corollaire indispensable : un ensemble d’institutions sociales et caritatives fortes, répondant aux déficiences de l’Autorité en la matière. Le Fatah a définitivement pâti de son incapacité à constituer une organisation politique et militaire stable, les Brigades des martyrs d’Al-Aqsa n’étant elles-mêmes qu’un ensemble disparate de groupes armés obéissant tantôt à de réels principes politiques, tantôt à des affiliations locales et à des solidarités claniques, voir maffieuses.

Le Hamas a un discours politique identifiable pour le peuple palestinien. Il pratique une triple dawa (« appel ») : une dawa religieuse et panislamique, inscrite dans un terreau culturel populaire ; une dawa nationaliste, ancrée dans l’histoire intime du peuple palestinien, reprenant à son compte une majeure partie de ses aspirations nationales ; et une dawa arabiste. En ce sens, le Hamas, à l’instar du Hezbollah libanais, est un mouvement islamo-nationaliste de résistance.

C’est une organisation pragmatique, qui a su constituer un consensus politique national autour d’elle : au cours de l’année 2005, lors des élections municipales, le Hamas a permis à d’autres forces politiques, tel que le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), d’accéder à la tête de localités et de supplanter ainsi le Fatah : ce fut le cas à Bethléem et à Ramallah, en Cisjordanie, où la maire FPLP et d’origine chrétienne bénéficia des voix des conseillers municipaux Hamas. Une partie du succès du Hamas vient du fait qu’il agit à l’inverse du Fatah, et se pose en bâtisseur de l’unité palestinienne, ce qui suppose de laisser s’exprimer l’ensemble des factions.

Paradoxes


Ce n’est pas le moindre des paradoxes d’une situation politique confuse : le Hamas bâtit son image politique sur la pluralisation de la direction politique palestinienne, et sur un triple lien résistance/démocratisation/probité. L’ironie de l’histoire est alors la suivante : s’il veut respecter son programme, il doit alors composer avec d’autres que lui. Tel est le sens de son appel à un gouvernement d’unité nationale, ouvert à l’ensemble du spectre politique palestinien. Tel est aussi le sens des débats qui naissent sur la possible réactivation de l’OLP, seule à même de représenter l’ensemble du peuple palestinien, c’est-à-dire la population des territoires occupés et les réfugiés du Liban et de l’ensemble du monde arabe.

Le Hamas est également une organisation pleine de contradictions, si caractéristiques de l’islamo-nationalisme : il garde une conception normative, voir conservatrice, des rapports de sexe, et n’en réussit pas moins à intégrer bien plus de femmes au sein de ses instances de direction et de ses listes municipales et législatives que l’ensemble des autres factions ; il fut historiquement le critique le plus virulent, avec le FPLP et la gauche radicale palestinienne, des accords d’Oslo, et se retrouve néanmoins dans l’obligation de former le gouvernement de l’Autorité palestinienne, fruit de ces accords ; il doit répondre aux demandes des classes populaires et satisfaire à celles d’une partie de la bourgeoisie palestinienne ; il doit rester l’organisation de résistance la plus active pour conserver sa légitimité politique et, en même temps, entrer dans un jeu complexe de négociations avec le Quartet1, bailleur de fonds, et l’Égypte.

Il doit se solidariser avec l’axe Iran-Syrie soutenu par le Hezbollah libanais et le courant Moqtada Al-Sadr en Irak contre l’alliance entre les États-Unis, Israël et les puissances européennes, concernant les dossiers libanais, iraniens et syriens, tout en préservant des contacts avec ces derniers.

Moins que la fin d’une période marquée par un supposé nationalisme séculier et laïc, c’est une nouvelle séquence historique qui s’ouvre, marquée par une islamisation du discours nationaliste et, inversement, par une nationalisation et une sécularisation du mouvement islamiste. Une période paradoxale, où la Palestine cherche à se conserver, dans toute sa résistance et sa pluralité, avec ses propres mots, même si déplaisant aux yeux de certains. Le Hamas n’est pas les talibans : il reflète, au contraire, les recompositions politiques de la région, qui voient l’islamisme évoluer désormais entre plusieurs courants et différentes stratégies, et qui interrogent tant ce qu’il reste du nationalisme arabe que la gauche.

Nicolas Qualander

1. États-Unis, Union européenne, Russie et ONU.

2006-02-23 22:16:27



Et le second:

ICI
a écrit :Hamas
Scrutin de crise


La victoire du parti islamiste aux législatives du 25 janvier, en Palestine, a interpellé le mouvement international de solidarité. Dans « Rouge » du 23 février, Nicolas Qualander livrait son point de vue. Christian Picquet lui répond ici.


Souvent, confrontée à des forces idéologiquement réactionnaires qui en venaient à défier l’ordre établi en s’appuyant sur l’exaspération des opprimés, la gauche révolutionnaire a tenté de se rassurer en cherchant une dynamique cachée à ces processus. La désillusion fut presque toujours à la mesure de terribles désastres. Nicolas Qualander nous propose pourtant, à son tour, une approche des plus unilatérales de la victoire du Hamas.

Sans doute, le Mouvement de la résistance islamique ne s’assimile-t-il ni aux talibans, ni à Al-Qaida. Quoique les gouvernements d’Israël aient initialement favorisé son développement pour affaiblir l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), il se sera progressivement imposé comme une alternative au Fatah créé par Yasser Arafat. Un Fatah sorti discrédité de sa gestion de l’autonomie en trompe-l’œil concédée aux Palestiniens par les accords d’Oslo, de son impuissance à relever les défis de la colonisation accélérée de la Cisjordanie et de Jérusalem, de son incapacité à faire face à l’étouffement de la perspective d’un État palestinien, de la corruption de ses élites, de sa déliquescence interne.

De ce point de vue, le succès du Hamas illustre le refus de tout un peuple de renoncer à sa souveraineté. Son enracinement social aura été tout à la fois favorisé par le prestige retiré de ses actions militaires contre Israël, par sa cohésion politique et organisationnelle, par sa probité revendiquée, par la mise en place d’un système de secours islamique, fondé sur des financements en provenance du monde musulman, lequel sera apparu comme une réponse à la paupérisation de la Palestine.

Vision totalitaire

Faut-il cependant dissocier l’analyse du verdict des urnes palestiniennes du projet de société défendu par le parti islamiste ? Ce serait s’aveugler sur le sens de l’événement. Un simple coup d’œil sur sa charte, adoptée en 1988, révélera une vision totalitaire du monde. Filiation revendiquée avec les Frères musulmans (article 2) ; volonté d’instaurer une « Palestine islamique » (article 27) ; affirmation que la « paix n’est possible que sous la bannière de l’islam » (article 31) ; assertion selon laquelle est « n ulle et non avenue » toute « procédure en contradiction avec la Charia islamique » (article 11) ; postulat selon lequel « il n’existe pas de solution à la question palestinienne excepté le Djihad » (articles 13 et 15) ; statut des femmes assimilé à celui de l’esclave (article 12) et ramené aux tâches familiales ou à l’éducation des enfants pour « les préparer au rôle de combattants » (article 18) ; dénonciation des Juifs comme ayant été derrière « la Révolution française, la révolution communiste et toutes les révolutions » (article 22) et allant jusqu’à une référence au Protocole des sages de Sion, le célèbre faux antisémite (article 32) ; appel à la mort des Juifs justifiée par la promesse divine (article 7) : telles en sont quelques dimensions saillantes.

Nicolas Qualander chausse, par conséquent, de singulières lunettes lorsqu’il crédite cette organisation, « au contraire du Fatah », d’un « fonctionnement relativement démocratique ». Que le Hamas ait d’abord bâti sa fortune électorale sur son aptitude à incarner, mieux que ses concurrents, la revendication nationale, plutôt que sur son dessein d’islamisation de la Palestine, est une chose. En conclure que son programme politique n’aurait rien à voir avec sa démarche fondatrice revient à berner le lecteur... ou à se berner soi-même. Ainsi, la triple dawa - religieuse et panislamique, nationaliste et arabiste -, évoquée pour justifier l’analyse d’un mouvement à la réalité complexe et au devenir incertain, n’est que la reprise de l’article 14 de la charte : « La question de la libération de la Palestine est liée à trois cercles : le cercle palestinien, le cercle arabe et le cercle islamique. »

Un tournant historique

Vraisemblablement, traversé de contradictions qu’aiguisera nécessairement son accession aux affaires, ce parti devra-t-il composer, s’ouvrir à d’autres composantes, faire preuve de pragmatisme en matière de diplomatie. Il n’empêche ! Le simple fait que l’aspiration des Palestiniens, et leur désespoir, se soient traduits dans un tel résultat, donne la mesure d’une impasse. Comme le relevait Michel Warschawski dans ces colonnes1, nous sommes là en présence d’une « terrible défaite de la lutte pour un État laïque et démocratique ».

On doit même ajouter que la population des territoires n’y gagnera rien sur le plan de ses conditions d’existence. Partout, dans l’aire arabo-musulmane, l’islamisme politique partage, en effet, avec les néolibéraux de Washington ou de Tel-Aviv, une commune valorisation de la libre entreprise et de la culture managériale, la religion, la morale et les œuvres étant appelées à se substituer à l’action redistributive de l’État. Le (petit) business palestinien n’aura d’ailleurs pas tardé à faire le siège des vainqueurs pour les convertir à l’idée d’une ouverture accrue au marché...

Indéniablement, l’ascendant pris par le Hamas sur la scène palestinienne ouvre un nouveau cycle historique à l’échelle de toute la région. Non, comme le suggère Nicolas Qualander, que cela ouvrirait des possibilités de recomposition des mouvements de résistance à l’impérialisme, lesquels trouveraient désormais leur expression à travers le Hezbollah libanais, le parti de Al-Sadr en Irak ou les Frères musulmans égyptiens, et se trouveraient renforcés par l’axe Damas-Téhéran... Plus simplement, la décomposition du Fatah - qui symbolisa longtemps les courants en rupture au moins partielle, avec les régimes arabes à partir de la guerre des Six Jours, en 1967 -, au seul bénéfice d’une force religieuse et conservatrice, vient couronner une longue suite de défaites du nationalisme progressiste et de la gauche arabe.

La crise de perspective ne peut que s’en trouver approfondie en Palestine. De la stratégie de lutte armée qui prévalut jusqu’à l’échec de Beyrouth en 1982, à la gestion du processus d’Oslo dix ans plus tard, et à la militarisation de la deuxième Intifada qui aura conduit à l’épuisement de la lutte populaire, une double question n’aura pas trouvé de réponse viable : celle de la reconnaissance des droits fondamentaux d’un peuple, et celle de la coexistence de deux réalités nationales - palestinienne et israélienne - sur la même terre. Entre un Hamas qui va devoir gérer sa nouvelle prépondérance mais dont l’horizon fait pendant à celui de l’ultrasionisme en Israël, un Fatah qui arrive au terme de sa trajectoire, et une gauche marginalisée parce qu’héritière de ses déroutes passées, le peuple palestinien voit s’ouvrir devant lui une phase de grandes difficultés.

Le mouvement de solidarité se voit dès lors fixer sa feuille de route : en conservant plus que jamais son indépendance, poursuivre le combat pour la souveraineté palestinienne - ce qui passe immédiatement par le refus de toute logique de punition de la population des territoires en raison de son vote -, et faire preuve de la plus extrême vigilance quant au respect de ses droits civils et démocratiques.

Christian Picquet

1. Rouge n° 2144.

2006-03-09 22:39:38

Message Publié : 20 Mars 2006, 10:11
par artza
Voilà bien deux articles pas si opposés que ça quand au fond qui illustre bien le renoncement du courrant international, j'ai lu récemment qu'il s'agissait d'un réseau, auquel se rattache la LCR à l'impérieuse nécessité pour tous les opprimés et les exploités d'avoir leur propre force politique indépendante de la bourgeoisie, de l'impérialisme et de toutes les réactions.

Même la nécessité n'en est pas affirmée alors l'entreprendre :whistling_notes:

Michel Warshawski parle d'une terrible défaite de la lutte pour une Palestine laïque et démocratique.

Il serait quand même un peu ouf de songer que le Hamas puisse tout à coup promouvoir la laïcité et la démocratie mais je ne vois pas qui menait cette lutte auparavent. A moins de donner du crédit à des déclarations pour la galerie des publics occidentaux comme aujourd'hui on commence à nous raconter que les Hamas ne sont pas ce qu'on croit mais des braves types.

Après le Fatah démocratique et laïque on nous joue le Hamas honnête et intégre :sygus: