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a écrit :La directive Bolkestein entre les mains du Parlement européen
LE MONDE | 13.02.06 |
BRUXELLES BUREAU EUROPÉEN
Après avoir rejeté la directive dockers en janvier, le Parlement européen a de nouveau l'occasion de montrer qu'il joue un rôle déterminant dans le processus législatif. Mardi 14 février, il doit examiner la directive sur la libre circulation des activités de services au sein de l'Union européenne. Il fera la preuve de son pouvoir s'il parvient à réunir la majorité nécessaire pour modifier en profondeur le projet initial, comme le lui demandent ses deux négociateurs, la rapporteure Evelyne Gebhardt, socialiste allemande, et le négociateur britannique du groupe du Parti populaire européen (PPE/droite), Malcolm Harbour.
Le Parlement s'imposerait alors face à la Commission, qui lui demandait d'approuver un texte d'inspiration libérale, rédigé par l'ancien commissaire en charge du marché intérieur, le Néerlandais Fritz Bolkestein, et approuvé par le collège de Romano Prodi en janvier 2004. Pour éradiquer les obstacles protectionnistes que les Etats mettent aux prestations de services transfrontalières, ce texte dit que les opérateurs qui exécutent une mission temporaire seront soumis au "principe du pays d'origine", c'est-à-dire au droit du pays dans lequel ils sont établis, et non au droit du pays dans lequel ils veulent exercer leur activité. Compte tenu des différences de niveau de vie entre l'ouest et l'est de l'Europe, récemment intégré, nombre de syndicalistes et d'hommes politiques ont décelé dans cette proposition un risque de dumping social, contre lequel ils ont protesté.
Mme Gebhardt et M. Harbour se sont entendus pour supprimer ce principe du pays d'origine, contre lequel 25 000 manifestants devraient défiler, à Strasbourg (Bas-Rhin), mardi, à l'appel de la Confédération européenne des syndicats. Le texte tel qu'ils l'ont amendé permet néanmoins de supprimer les barrières protectionnistes que les Etats mettent à la libre prestation transfrontalière : il codifie la jurisprudence que la Cour de justice de Luxembourg a développée, sur la base du traité instituant la Communauté européenne, lorsqu'elle était saisie par des opérateurs lésés.
Il introduit en outre des dispositions qui faciliteront l'établissement définitif, comme le "guichet unique", qui devrait devenir obligatoire d'ici au 1er janvier 2009 : un opérateur pourrait s'y adresser pour régler ses formalités administratives.
Si le Parlement parvient à trouver une majorité pour voter ce compromis, il s'affirmera face au Conseil, où les pays qui refusent le principe du pays d'origine — France, Belgique, Grèce — ne constituent pas une minorité de blocage. Six pays favorables à ce principe — Pologne, Hongrie, République tchèque, Espagne, Pays-Bas et Royaume-Uni — ont d'ailleurs mis en garde le président de la Commission, José Manuel Barroso, vendredi 10 février, contre un affaiblissement de la proposition originelle.
M. Barroso a pourtant fait savoir qu'il accepterait le compromis du Parlement si celui-ci est voté. "Nous ne voulons pas camper sur nos grands principes et ignorer qu'il y a eu un référendum en France et aux Pays-Bas", a déclaré le porte-parole de Charlie McCreevy, successeur de M. Bolkestein. C'est dans un souci d'apaisement que la Commission s'apprête à faire ces concessions, mais aussi dans le but de sauver un texte qui, même modifié, contribuera à l'amélioration du marché intérieur.
L'Unice, organisation patronale européenne présidée par Ernest-Antoine Seillière, a dénoncé le compromis, que John Monks, président de la Confédération européenne des syndicats, a approuvé. Il permet en effet d'exclure toute espèce d'ambiguïté en matière de droit du travail.
Le projet Bolkestein originel proclame certes qu'il ne remet pas en question les règles du "détachement" des travailleurs, qui veulent qu'un salarié envoyé dans un pays étranger pour une durée limitée gagne au moins le salaire minimum de ce pays et n'y fasse pas plus d'heures (35 en France). Il supprime toutefois la possibilité de contrôler le respect de ces règles : il confie à l'Etat d'origine (la Pologne pour le Polonais parti en France) le soin de le faire, et interdit à l'Etat de destination toute demande d'autorisation ou même de déclaration préalable, qui lui permettrait d'intervenir. Elle a ainsi créé la peur du "plombier polonais", qui a alimenté le "non" à la Constitution en France.
Le compromis trouvé entre Mme Gebhardt et M. Harbour chasse toute espèce de menace, puisqu'il supprime le principe du pays d'origine. Il précise en outre que le droit du travail n'est pas affecté par la directive services, et il écarte les agences d'intérim de son champ.
Rafaële Rivais
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Chronologie
13 JANVIER 2004
La commission Prodi adopte la proposition de directive Bolkestein, qui entend supprimer les obstacles mis par les Etats à la libre circulation des services. En cas de prestation de services temporaires, l'opérateur respecte les normes de son pays et non celles du pays dans lequel il travaille. En cas d'établissement définitif, il respecte les lois du pays de destination.
Son installation est facilitée par l'instauration d'un guichet unique et l'interdiction d'exigences discriminatoires.
Ce projet de directive s'adressait aux services publics marchands (services d'intérêt économique général, qui peuvent être des services sociaux, comme les HLM).
22 NOVEMBRE 2005
La commission du marché intérieur du Parlement européen modifie la proposition : elle en exclut le droit du travail et les soins de santé. En matière de consommation, les contrats conclus entre un professionnel et un client relèveront du droit international privé — à la différence de ceux conclus entre deux professionnels, soumis au principe du pays d'origine.
8 JANVIER 2006
Le compromis trouvé par les rapporteurs du Parlement supprime le principe du pays d'origine.