L'article sur le site du NPA provient en fait de Contretemps-web (c'est précisé à la fin).
Un bémol : l'origine exacte du virus n'est pas connue. On sait qu'il est très proche d'un virus retrouvé chez une chauve-souris locale mais qu'il manque à ce dernier quelque chose qui lui permette de devenir pathogène pour l'homme. On a retrouvé chez le pangolin (lequel ? il y en a 8 espèces dont 4 africaines et toutes se retrouvent sur les étals de Wuhan) un virus qui est MOINS proche du virus humain que celui de la chauve-souris, mais qui possède ce qu'il faut pour contaminer l'homme. Il doit y avoir d'autres animaux (des mêmes espèces ou d'autres espèces), dans lesquels ces virus se seraient recombinés pour donner le SARS-CoV-2. Même en admettant que ce soit le pangolin, la thèse que ce soit en "mangeant" du pangolin n'est pas démontrée et est peut-être moins vraisemblable que le fait d'avoir manipulé ou dépecé un pangolin mort quelle qu'en soit la raison (viande ou écailles). Enfin, le plus ancien patient contaminé connu a déclaré ne pas avoir mis les pieds au marché de Wuhan...
Cela n'enlève rien à l'intérêt de l'article sur le fond, c'est une réalité que la mise en coupe réglée d'un nombre croissant de milieux naturels par le capitalisme ainsi que sa façon de faire de l'élevage industriel représentent un risque accru d'émergence de nouveaux agents pathogènes.
Je reviens sur ce passage qui m'a un peu surpris (parties mises en gras par moi) :
L’explication culturaliste renverrait inévitablement ces modes alimentaires à une tradition chinoise pluriséculaire et ne manquerait probablement pas, pour finir, d’insister sur la nécessité de mettre fin à ces pratiques pour juguler les risques pandémiques. Pourtant, s’il est exact que l’on retrouve en Asie des pratiques traditionnelles pouvant expliquer la consommation de ces animaux (les écailles de pangolin étant par exemple utilisées dans la médecine chinoise), ce fait masque un détail bien plus troublant : l’explosion nouvelle du marché des animaux dits sauvages. Entre 2004 et 2018, le chiffre d’affaires de l’industrie des animaux sauvages est passé, en Chine, de 100 à près de 150 milliards de yuans.
Cette consommation d’animaux sauvages n’a ainsi rien d’immuable : elle a une histoire et cette histoire est récente. On peut la découper en deux temps. Le premier nous renvoie aux années 1970. Le régime chinois doit alors gérer une famine qui aura fait plus de 30 millions de morts, et ne parvient pas à produire suffisamment de nourriture pour alimenter toute sa population (qui compte alors 900 millions d’habitantEs). Il décide alors de réformer un système agricole jusque-là complètement étatisé : il autorise le développement de fermes d’élevage privées. Des petites exploitations paysannes, frappées de plein fouet par la famine, se tournent alors vers les animaux sauvages, comme la tortue, pour tenter de survivre. Cela reste cependant très marginal et le deuxième temps de cette histoire est probablement bien plus décisif. En 1988, le gouvernement chinois décide de définir les espèces sauvages comme des « ressources naturelles », ouvrant de fait la voie à leur exploitation par de grandes fermes de type capitaliste visant à dégager du profit : c’est à partir de cette date que la consommation d’animaux sauvages a commencé à exploser. Et c’est à ce moment également (et non avant) que se développent pleinement les discours mettant en avant les bénéfices médicaux que le consommateur peut espérer tirer de la consommation de ces animaux. Loin d’un discours issu de la médecine traditionnelle, il s’agit donc d’une banale stratégie commerciale produite par les grandes fermes exploitant ces espèces dans le but d’augmenter les profits tirés de l’exploitation de cette nouvelle « ressource naturelle ». C’est ce qui explique qu’on observe une expansion de la demande, notamment de la part des classes moyennes aisées vivant en ville. Ainsi, le pangolin et autres espèces dites « sauvages » ont été l’objet d’une marchandisation les intégrant aux chaînes de valeurs agro-alimentaires20. Sous cet angle, le pangolin nous paraît bien moins étrange qu’au départ : il n’est finalement qu’une banale marchandise comme une autre (à ceci près, certes, que la marchandise en question est soupçonnée d’être à l’origine d’une pandémie particulièrement dangereuse).
Je ne sais pas d'où proviennent ces informations. La consommation de ces animaux sauvages en Chine a-t-elle fortement augmenté ? Peut-être. L'a-t-elle fait proportionnellement à l'augmentation de la population chinoise ou à un rythme plus rapide ? S'est-elle imposée dans les villes au rythme de l'urbanisation chinoise ou plus vite ? Je l'ignore. Mais elle ne date certainement pas de cette époque.
Sur les pangolins, extrait de mon
tome IV des mammifères dans ma vieille collection Larousse de 1971 elle-même reprise d'une édition italienne de
1968 (bien dans le style de l'époque, et antérieur à la période incriminée par l'article) :
"A l'état sauvage, ils sont chassés par les indigènes qui considèrent leur chair comme très savoureuse. Diverses tribus utilisent la cuirasse comme ornement pour les ustensiles domestiques, tandis que certaines populations de l'Afrique centrale attribuent aux écailles une valeur de talisman. Quant aux Chinois, ils en font un large emploi à des fins médicinales."
Cela fait longtemps que, n'en déplaise à quelques bobos parant la médecine traditionnelle chinoise de toutes les vertus, celle-ci est un désastre pour de nombreuses espèces sauvages. La chasse aux rhinocéros pour leur corne, ça ne date pas d'aujourd'hui. La chasse au pangolin non plus. Je comprends l'argument qui consiste à relativiser la tradition par rapport à une situation récente et par rapport à des discours qui incriminent la tradition pour mieux
dédouaner le système. Mais il ne faut pas faire l'inverse non plus. La tradition était déjà sur la pente conduisant à un risque de disparition des espèces et à un risque accru de "faire sortir du bois" un nouveau virus. On peut très bien mettre en avant les ravages du capitalisme dans sa période récente, sans pour autant
dédouaner la médecine chinoise traditionnelle et ses croyances absurdes (et néfastes depuis longtemps sur les faunes d'Asie et d'Afrique) dans les vertus de la poudre d'écaille de pangolin ou de corne de rhinocéros.
D'autre part, on retrouve en fin de texte l'utilisation d'un terme qu'il faudrait bannir lorsque l'on parle de la nature : les
"équilibres".
Pour que le confinement ne soit pas notre nouveau mode de vie, pour que les pandémies ne deviennent pas notre quotidien, il est temps d’imposer une organisation sociale nouvelle qui, par l’autogestion des ressources, serait à même de rétablir les équilibres que l’accumulation infinie a dangereusement menacés.
Il n'y a aucun équilibre dans la nature (et donc aucun équilibre à rétablir), sauf à renouer avec l'approche mystique qui était dénoncée au début de l'article.
J'espère juste qu'il s'agit de maladresses et que la volonté de dédouaner la médecine chinoise traditionnelle d'une part, la convocation de l'idée du nécessaire "rétablissement des équilibres" d'autre part, ne sont pas une concession à un certain milieu.