Florent Menegaux, PDG de Michelin : « Nous sommes en condition de redémarrer »
Par Eric Béziat Publié aujourd’hui à 02h59, mis à jour à 11h03
Dans un entretien au « Monde », le président du groupe de Clermont-Ferrand explique comment il envisage une reprise d’activité : « le monde ne peut pas rester confiné », dit-il.
Parmi les premiers à avoir fermé ses usines en Europe, le 16 mars, le groupe de Clermont-Ferrand (24 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019) est, avec ses 69 usines dans dix-sept pays, sur tous les fronts de la pandémie de Covid-19.
Ses usines fonctionnent en Asie (sauf en Inde) et en Amérique du Sud. Elles sont pour la plupart à l’arrêt ou en production très limitée en Europe, aux Etats-Unis et au Canada. Florent Menegaux, le président du groupe depuis un peu moins d’un an, explique comment il envisage les conditions d’un redémarrage.
Quand envisagez-vous de reprendre en France ?
Dès maintenant. Lundi 30 mars, j’ai lancé, dans une vidéo adressée à tout le groupe, le signal de la reprise des activités en France et en Europe. L’usine de Troyes a commencé à cuire son premier pneu mercredi 1er avril au matin. C’est un pneu agricole, parce que le monde agricole, lui, continue à fonctionner fortement et a besoin de nos pneumatiques.
Il est important de comprendre que le redémarrage d’activités industrielles comme celles de Michelin prend du temps. Nous montons graduellement en cadence les capacités de production. Cette semaine [du 30 mars au 3 avril], nous nous sommes concentrés sur les activités répondant aux besoins essentiels de la population : l’agriculture à Troyes, le génie civil au Puy-en-Velay. Avec, à partir de la semaine prochaine, les sites qui produisent des matériaux de base pour nos pneus : le mélangeage à Montceau-les-Mines [Saône-et-Loire], les câbles métalliques à Golbey [Vosges]. Et nous sommes en train de nous synchroniser avec les constructeurs automobiles pour pouvoir les servir quand leurs chaînes redémarreront.
Nous sommes aussi en train de reprendre graduellement en Italie et en Allemagne. En Espagne, c’est impossible pour le moment, car notre usine de Vitoria [dans le nord du pays] est en plein dans un foyer épidémique, et nous ne sommes pas en condition d’y redémarrer tout de suite dans de bonnes conditions.
Justement, n’est-ce pas un peu tôt ? Une grande partie de l’Europe est encore en plein confinement...
Le monde ne peut pas rester confiné. Je comprends très bien qu’il puisse y avoir de l’inquiétude, de l’anxiété. Ce virus qu’on ne voit pas, qu’on sait présent, génère une réelle angoisse. Mais ce que tout le monde peut comprendre, c’est que le confinement n’est qu’une solution transitoire. Nous le disons au gouvernement : il ne peut pas être éternel.
Nous devons nous habituer à vivre avec un coronavirus qui n’aura pas disparu après la fin du confinement. Nous n’allons pas pouvoir vivre enfermés sans limite de temps ou en attendant pendant des mois qu’un médicament soit mis au point ou qu’un vaccin soit trouvé. Car, à ce moment-là, à la crise sanitaire s’ajouteraient une crise économique et une crise sociale majeures.
Le confinement n’était pas une bonne idée, alors…
Au contraire, il a été absolument nécessaire pour traiter l’urgence sanitaire et hospitalière. La grande vertu du confinement, c’est qu’il permet de nous mettre en capacité de définir des protocoles sanitaires, pour ensuite repartir. C’est ce que nous avons fait chez Michelin. Nous avons arrêté les usines pour nous mettre en condition de travailler en sécurité. Maintenant que nous sommes en position de le faire, on peut redémarrer.
C’est cela que nous montrent actuellement la Corée du Sud, le Japon ou même la Chine. Dans ces pays, aujourd’hui, le virus n’a pas disparu. En revanche, des mesures d’organisation sociale ont été mises en place et elles permettent de reprendre une vie hors confinement.
Là est le principal enjeu pour nous, Européens, aujourd’hui. Il est temps de penser à comment nous allons nous organiser et comment nous allons fonctionner après.
C’est un discours qui risque d’avoir du mal à passer auprès des salariés...
Il est de notre responsabilité de démontrer à nos salariés que nous mettons en œuvre un environnement de travail ultrasécurisé. Nous pouvons déjà les rassurer, en nous fondant sur notre expérience en Chine. Dans ce pays, nous avons eu l’occasion d’expérimenter différentes manières de sécuriser nos opérations, et nous avons pu reprendre dès le 10 février nos fabrications industrielles. Nous n’avons d’ailleurs aucun cas déclaré.
Les mesures que nous prenons sont conformes aux recommandations nationales, et parfois même supérieures, comme la distance entre deux salariés, qui ne peut pas être inférieure à deux mètres dans nos usines. Nous organisons la désinfection des machines à chaque prise de poste, nous procédons à des mesures de température du personnel à l’entrée des sites et nous incitons au lavage des mains le plus fréquent possible.
Les masques dont nous disposons sont distribués en priorité aux hôpitaux et aux services d’urgence. Nous en mettons aussi à la disposition de tous les salariés, avec obligation de les porter dans certains endroits où il n’est pas possible d’appliquer les mesures de distanciation. Nous ferons réaliser des audits externes, afin de valider de manière indépendante nos mesures sanitaires.
Il n’est en aucun cas dans l’intérêt de Michelin d’avoir au travail, dans nos équipes, des personnes en situation d’anxiété ou d’angoisse. D’ailleurs, dans les pays comme la France, où le confinement est encore de mise, ceux qui, malgré toutes les précautions mises en place ne souhaitent pas travailler, n’y sont pas obligés.
Que nous apprend cette crise ? Est-ce la fin de la mondialisation, comme l’annoncent certains ?
Elle nous apprend d’abord qu’une vie confinée, ce n’est pas une vie, et que – eh bien oui – la mobilité est vitale pour l’humanité et son développement. Et là, on est au cœur de ce que Michelin promeut depuis des années : la mobilité durable. L’absence de mobilité, c’est terrible pour un être humain. Et, en plus, c’est dangereux pour l’économie.
Quant à la mondialisation, ce serait une erreur de la rejeter d’un bloc. Je pense qu’il faut résister à cette idée de fermer les frontières, qui signifierait de la récession. En la matière, l’excès est nuisible. Évitons de tout internationaliser, en niant l’intérêt du local, mais aussi de tout localiser, en niant l’intérêt de l’international.
Je vais vous donner un exemple des avantages de cette interaction. La mondialisation a accéléré le développement de la technologie des imprimantes 3D, et [celles-ci] permettent de fabriquer des pièces au niveau local. D’ailleurs, grâce à ces techniques, Michelin participe à la lutte contre le virus en fabricant un capteur de débit pour les respirateurs d’Air Liquide.
Mais il est vrai que la crise nous a appris qu’il pouvait être dangereux de ne pas produire certains biens localement. C’est le cas des masques. C’est pour cela que, chez Michelin, nous nous lançons [la semaine qui commence le 6 avril] la production de nos propres masques, en Pologne, en Roumanie, en France et, bientôt, aux États-Unis.
Quelles seront les conséquences pour la santé économique de Michelin ?
Il est encore illusoire de faire des prévisions sérieuses. Nous avons étudié différents scénarios. Michelin peut faire face à chacun d’eux. Nous sommes suffisamment solides pour ne pas avoir recours aux aides de l’État en France, comme les reports de charges sociales et fiscales, et nous ne demandons pas de soutien particulier.
La seule aide que nous utiliserons, c’est le chômage partiel, quand nous aurons épuisé les mesures internes de solidarité (prise de congés, compte épargne temps, jours de repos), mais avec la plus grande parcimonie. Il vaut mieux que le soutien public arrive en priorité vers les artisans, les PME, qui n’ont pas les moyens d’un grand groupe.
Le patronat a des hommes de main tout de même plus sérieux que l'auteur de la note de Natixis...