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La peur des réactions du réacteur 3
Récit
A Fukushima, les autorités redoutent que le cœur en fusion explose ou s’enfonce dans le sous-sol. La zone d’évacuation a été élargie à 30 km.
La tension est remontée d’un cran, vendredi, à Fukushima. Comme en témoigne la décision de porter à 30 kilomètres la zone évacuée autour de la centrale nucléaire et l’annonce qu’il y aurait un danger accru au réacteur numéro 3. Dans le même temps, l’Agence de sécurité nucléaire japonaise (la Nisa) annonçait qu’il «est hautement probable que le réacteur 3 de Fukushima Daichi ait été gravement endommagé et rejette une quantité importante de substances radioactives».
Le propos peut sembler étrange car il n’est pas vraiment différent de ce que l’on savait déjà. Mais, alors que les spécialistes français l’assurent depuis plusieurs jours, la Nisa n’avait pas admis que l’enceinte de confinement du réacteur, en acier et béton, fuyait. Une perte d’étanchéité à l’origine de rejets radioactifs continus et non filtrés. La réelle nouveauté se trouve ailleurs : dans l’hypothèse d’une rupture de la cuve du réacteur. Une rupture non avérée pour l’instant, mais qui pourrait avoir commencé.
Eaux souterraines. Le scénario qui en découlerait ? Selon Thierry Charles, de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), il dépend en grande partie de ce que le corium (le cœur fondu du réacteur) rencontrerait après avoir percé la cuve. D’abord, quelques mètres de vide. Sont-ils plein d’eau ? De vapeur ? Les ingénieurs japonais eux-mêmes ne le savent pas. Puis, 8 mètres de béton, avant la roche. Que peut-il se passer avec la chute du corium en fusion ? «Cela dépend de sa dispersion, de la quantité d’eau. Mais le pire scénario, c’est une explosion de vapeur, suivie d’une explosion d’hydrogène», explique Thierry Charles. Cela pourrait ébranler une nouvelle fois les structures du bâtiment et relâcher des gaz et aérosols radioactifs. Tout dépend ensuite de ce qui reste de puissance thermique. En attaquant le béton, le corium va se refroidir, mais aussi libérer des gaz inflammables (monoxyde de carbone et hydrogène). S’il se refroidit assez, il va rester coincé dans le béton. Mais s’il lui reste assez de puissance, il va le percer et se retrouver coincé dans la roche qui se trouve en dessous. Le risque est alors de voir les eaux souterraines charrier petit à petit ces matières vers la mer. «Pour l’instant, souligne Charles, nos calculs favorisent l’hypothèse où le corium reste coincé dans le béton.»
Reste «l’affaire du plutonium». Les radionucléides «légers» se dispersent sous forme de gaz ou d’aérosols (1) dans l’atmosphère. Mais qu’en est-il de la matière principale du combustible - uranium et plutonium - et des actinides mineurs (neptunium, américium et curium), atomes plus lourds formés par capture de neutrons ? Le réacteur numéro 3 comporte plus de plutonium que les autres. Il a été partiellement chargé en MOX, qui en comporte environ 7%. Le plutonium est très chimiotoxique et radiotoxique. Mais, rappelle Thierry Charles, «l’uranium et le plutonium sont lourds. Même à Tchernobyl, où ils étaient poussés par le brasier, ils ne se sont pas dispersés au-delà de 30 km. A Fukushima, c’est un enjeu de contamination important, mais local».
Dévastation. Vendredi midi, ce scénario noir ne semblait pas encore engagé… tout au moins au vu des niveaux de radioactivité mesurés à la porte du site de Fukushima Daichi : 0,2 millisievert par heure, contre 10 au moment des relâchages de vapeur d’eau contaminée les 13 et 14 mars, ou 2 millisieverts lundi dernier.
A court terme, le scénario du pire serait une aggravation de la radioactivité sur le site, interdisant d’y continuer les travaux. L’objectif de Tepco est de remettre en marche les circuits de refroidissement des piscines et des réacteurs. Depuis vendredi, les Japonais utilisent enfin de l’eau douce, apportée en grande quantité et stockée sur des barges ancrées à proximité, avec l’aide de l’armée américaine. Les réacteurs numéros 1 et 3 sont passés à ce régime qui va permettre de diminuer la teneur en sel de l’eau. Un sel qui menace vannes, moteurs, tuyaux… Le réacteur numéro 2 devrait, lui, passer à l’eau douce ce samedi.
Mais si la lumière est revenue dans les salles de contrôle, la remise en route des systèmes de refroidissement se heurte à la dévastation du site. Il faut vérifier les armoires électriques, les connexions, les pompes, les moteurs afin que la tentative de les redémarrer ne fasse pas «sauter les plombs partouten déclenchant des courts-circuits» et ne ruine tout espoir de stabiliser les réacteurs. Tepco, après avoir plusieurs fois annoncé la mise en route des systèmes, ne donne plus de délais.
La catastrophe en cours à Fukushima continue de faire tanguer le monde nucléaire. Nicolas Sarkozy a promis vendredi de «fermer les centrales» qui ne passeraient pas les tests de résistance prévus par l’Union européenne… Bien que personne ne sache encore en quoi ils consistent.
(1) Xénon, krypton, tellure, iode, césium, technétium, lanthane, strontium…