le Kremlin et les oligarques

[pelon]

Le Kremlin reprend le contrôle de la politique énergétique russe aux oligarques
LE MONDE | 27.07.04 | 13h45
Des partenaires de Ioukos mis sur la touche.

Londres de notre correspondant

Alors que l'étau se resserre sur la première compagnie pétrolière russe, Ioukos, toutes les grandes décisions en matière d'hydrocarbures sont désormais prises par le Kremlin et non plus par les oligarques. Le président Vladimir Poutine a ainsi donné le feu vert, la semaine dernière, à ConocoPhillips pour prendre une participation de 7,6 % dans Lukoïl, le numéro deux russe de l'or noir."J'aimerais que les relations entre les milieux d'affaires russes et américains se développent à un rythme rapide, en particulier dans le secteur stratégique de l'énergie", a-t-il déclaré, à cette occasion, au patron de la société américaine, James Mulva.

En revanche, le maître du Kremlin entend punir les compagnies américaines qui avaient directement négocié, en 2003, avec l'ancien patron de Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski - actuellement jugé à Moscou pour escroquerie et évasion fiscale -, afin d'investir massivement dans sa compagnie. Ainsi, Moscou menace de mettre en vente une licence d'exploration en Sibérie orientale consentie à ExxonMobil, sous prétexte que le géant américain n'a pas suffisamment investi dans ce projet. ChevronTexaco, qui avait aussi tissé des liens avec les anciens dirigeants de Ioukos, est mise sur la touche. A l'inverse, le Français Total, lié à la compagnie d'Etat Rosneft, et le Britannique BP, associé à TNK dans une co-entreprise, devraient bénéficier du bon choix de partenaire. Un atout, lorsque M. Poutine statuera sur le sort de Sibneft, après sa séparation programmée de Ioukos. Proche du Kremlin, replié sur Londres, l'actionnaire principal de Sibneft, Roman Abramovich, aimerait se désengager de cette entreprise, qui suscite les convoitises des groupes étrangers.

M. Poutine ne desserre pas pour autant la pression sur Ioukos, aujourd'hui menacée de faillite. Trois sociétés russes, dont les dirigeants sont liés au pouvoir, Sourgoutneftgaz, Rosneft et Gazprom, entendent se partager les actifs d'exploration-production les plus rentables. Numéro trois russe, Sourgoutneftgaz est favorite à la reprise éventuelle de la principale filiale du géant pétrolier, Iouganskneftgaz, que le ministère de la justice veut mettre en vente. Le siège de Sourgoutneftgaz est situé à proximité de celui de Iouganskneftgaz et son PDG, Vladimir Bogdanov, passe pour proche des services de sécurité.

Une mainmise des sociétés proches du pouvoir sur Ioukos permettrait aussi de renforcer le très fructueux système de trading organisé depuis Genève par Guennadi Timchenko. Via la nébuleuse Gunvor international (capital 40 millions de dollars), ce conseiller de l'ombre, originaire comme M. Poutine de Saint-Pétersbourg, achète le pétrole à un prix préférentiel pour le revendre à un tarif légèrement inférieur à celui du marché. Le différentiel pourrait atteindre de 5 à 8 dollars par baril. Cherchant un compromis à l'amiable, le directeur-général de Ioukos, Steven Theede, multiplie les concessions de dernière minute. Pour éviter la banqueroute de la société, il propose au fisc - qui lui réclame 3,4 milliards de dollars d'arriérés d'impôts - la vente d'actifs aujourd'hui gelés par la justice.

M. Theede aurait aussi offert de démanteler le réseau de négoce genevois de Ioukos, la société Petroval, pour laisser aux filiales de production en Russie le soin de commercialiser la production. Le fisc pourrait ainsi mieux contrôler les ventes à l'étranger. Curieusement, quand on consulte le registre de commerce du canton de Genève, on constate que loin de réduire son activité, Petroval a augmenté, le 14 juin, son capital de 166 000 euros à 4 millions d'euros...

Parallèlement, Ioukos, qui se prépare au pire, s'est dit prêt à engager une procédure contre toute entreprise qui achèterait Iouganskneftgaz à bas prix. A cet effet, un groupe de banques moscovites a été chargé de valoriser les actifs du groupe. Pour sa part, Bob Amsterdam, l'un des avocats de Mikhaïl Khodorkovski, nous a laissé entendre qu'il envisage de traîner la Russie devant les tribunaux français, britanniques et allemands pour violation des accords bilatéraux.

Marc Roche