Voici, la réponse d'Idriss Chraibi, journaliste marocain,
aux textes et interviews de Tariq Ramadan, dans lesquels ce dernier
justifiait le moratoire concernant l'interdiction des châtiments corporels
et de la lapidation, sous prétexte que la "condamnation vient de
l'occident".
Idriss Chraibi est d'accord pour la diffusion de son texte
Appel International à refuser
de mettre les formes avec les lapidateurs.
Par Idriss C.
Ainsi faudrait-il, pour s’adresser aux lapidateurs, se rendre audible ?
Est-ce bien cela que propose, Tarik Ramadan, sur la terrible question des châtiments corporels ?
Se rendre audible ?
Ceux que Ramadan entend coacher, n’ont-ils pas entendu, ou n’entendent-ils pas, le battement de cœur qui s’emballe, la respiration bloquée, d’une femme que l’on traîne, attachée, en place publique ?
De cette femme que l’on enterre à moitié, - technique d’immobilisation, pour qu’elle n’échappe pas à ces exécuteurs, alors qu’ils caressent, chacun patiemment, la pierre du massacre qui s’annonce ?
N’entendent-ils pas, ceux, auprès desquels il faudrait se rendre audible, les cris de douleur et d’épouvante de cette femme cagoulée, cherchant désespérément dans la nuit de son linceul, le moyen d’esquiver le nombre, hystérique, des roches qui déjà arrachent son visage ?
N’entendent-ils pas, ces lapidateurs, le claquement des ventres qui se fendent, le bruit -assourdissant pour qui sait entendre, d’une côte, qu’une pierre, grosse comme deux poings d’homme, brise ?
N’entendent-ils pas la résonance affreuse d’une cage thoracique que la pierre fait éclater, ou les craquements insoutenables d’un corps de femme, colonne vertébrale désagrégée, qui tournoie, au rythme d’une agonie, rythmée par la sauvage délectation des lanceurs de pierres ?
Et s’ils n’entendent pas, ne peuvent-ils, au moins, voir ce sang qui jaillit, à chaque fois qu’un jet de haine compensatoire a atteint sa proie : la femme adultère.
Adultères ? Oui, nous dit-on. Pour avoir prit le risque d’en aimer, furtivement, un autre. Un garçon, sans doute plus jeune et plus beau, ou tout simplement préféré au mari imposé par la règle -divine, des Docteurs de la Loi.
Adultères, ces femmes, souvent nubiles, ayant succombées à la beauté de l’amour, pour oublier l’instant d’un baiser ou d’une étreinte, le temps du viol officialisé par ceux qui, à terme, formeront le cercle des juges devenus assassins. Ou des assassins, devenus juges.
Adultère. Oui, c’est le nom que Docteurs, scribes et pharisiens d’un l’Islam dévoyé, et qui n’en est plus un, ont choisi, en leurs âmes et consciences pour désigner les femmes aimantées par la Beauté et la Liberté.
Et lorsque ce ne sont pas des femmes, ce sont des voleurs à la tire, dont on tranche des mains. Ce sont des adolescents, des gosses, dont on attache l’avant-bras à un billot pour sectionner le membre qui s’est rendu coupable du terrible méfait qui aura peut-être consisté à voler pour se nourrir. Ou à voler tout court.
Ainsi le pardon ne prévaut-il guère ici, comme ne compte jamais la possibilité, pour le voleur, de retrouver le droit chemin. Pas de rédemption possible, donc.
Alors, Un moratoire.
Car il s’agit, nous dit-on, de se rendre audible auprès d’une caste de meurtriers.
Car bien sûr, ceux, avec qui Tarik Ramadan entend négocier, sont aussi les mêmes qui n’entendent pas, le vendredi, à l’heure de la prière qui devrait unir autour de la compassion, le bruit des murmures de la foule, rassemblée autour de l’exécution.
Ils n’entendent pas le crissement des roues du fourgon qui déboule à tombeau ouvert, la course du bourreau sorti du véhicule qui se jète sur la nuque de l’homme agenouillé qui depuis l’aube, attend la mort au milieu des insultes. Ils n’entendent pas le sifflement du sabre qui tranche, ni la clameur du public Saoudien. À moins que ce cri de joie qui monte, lorsqu’un corps est coupé en deux, ne soit plus au contraire, tout ce qu’ils sont en mesure d’entendre, ceux dont il faudrait se rendre audible.
Alors, si ces docteurs, scribes et pharisiens d’un Islam qui ne l’est plus Musulman, parce qu’il a perdu toute humanité, tout sens de l’Homme, n’entendent pas, n’entendent plus, c’est bien que les cœurs de ces exécuteurs et janissaires d’un verbe, soit-disant Divin, sont devenus sourds à ces membres écartelés, ces os brisés, ces membres déchirés. C’est donc bien qu’un moratoire, au-delà du fait qu’il ne peut rien changer à cette surdité qui exclue une catégorie d’individus hors du cercle de l’Humanité, doit être compris comme une forme de complaisance vis-à-vis des lapidateurs.
Car n’en doutons pas, ceux qui lapident sont les mêmes que ceux qui égorgent en direct. Et s’ils ne sont pas les mêmes, une matrice psychologique, aujourd’hui similaire, les produit, les reproduit, libère la violence pour eux légitime, qu’il déploient, et qu’ils déploieraient bien plus encore.
Quel sens donner, dans ce cas, à un moratoire ?
Celui qui consisterait à se dire, - pragmatiquement, qu’il faudrait mettre les formes, avec ces docteurs qui jugent qu’un Droit Universel respectueux de la personne humaine, (dont se prévaut, il faut le dire, un Islam purement spirituel qui en est, ontologiquement, de cet Amour, de ce respect psychologique et physique, de la personne humaine), n’a rien à leur dicter, et rien à faire, dans le champ de la Charia.
De la Charia ? Ou tout simplement de règles, terribles, froidement édictées contre des corps, par des juristes qui savent trop bien que les supplices ont pour fonction politique - Foucault l’aura montré, d’inscrire, dans la chair du supplicié, la souveraineté de l’Etat.
Ce qui vaut pour Damiens, - lui régicide, vaut aussi pour ces femmes, elles innocentes, lapidées, excisées ; cela vaut pour tous ces corps découpés, ces chairs écartelées. Si ce n’est que dans le cas de ces « sombres fêtes punitives » là, il est fort possible qu’il s’agisse d’inscrire, dans des corps, la souveraineté d’une loi, que des bourreaux voudraient faire passer pour divine.
On connaît bien cette perversion, dans certains Etats se disant Musulmans et chez certains oulémas, perversion qui consiste à frapper, ou autoriser que l’on frappe, que l’on tue, puis dire, que rien ne se fait sans que le Divin n’y ait auparavant consenti.
On connaît ce détournement de sens, criminel, qui fait que l’on plie la divinité, elle-même, à la soif de sang des bourreaux.
Ainsi, ce pragmatisme, voire cette empathie dont Tarik Ramadan voudrait user, relayé malheureusement par quelques médias occidentaux que l’on dit démocratiques ou républicains, cette volonté de s’adresser poliment aux lapidateurs, en se parant des habits de l’ouverture, confine-t-elle donc au cynisme.
De même que confine au cynisme, et à la volonté cruelle de se moquer de l’Homme et de son universelle dignité, l’argument fallacieux qui prétend prendre appui sur la susceptibilité des docteurs, avec lesquels, nous dit-on en définitive, il faudrait mettre les formes. Ces juristes-assassins, il nous est en fait, demandé de ne pas les vexer, de ne pas les froisser, car ils pourraient, eux, nous reprocher de ne pas savoir les prendre, de n’avoir pas su choisir le bon moment, pour leur parler des crimes contre l’Homme, qu’ils perpétuent.
On pourrait, et c’est le comble, nous reprocher, à nous qui croyons qu’il appartient à toute religion, toute doctrine, toute pensée, dans ce qu’elle ont de grand et d’absolu, de se donner pour but, ultime, la sacralité de la personne humaine, on pourrait bien nous reprocher d’avoir, par notre manque de tact, fait que n’aboutisse pas, toute la belle stratégie qui consiste, au bout du compte, à prendre les meurtriers avec des pincettes.
Alors, à ces docteurs, scribes et pharisiens, qui mériteraient, si elle existait en Islam, l’excommunication avant le prétoire, nous dirons, car nous ne craignons pas de le leur dire, que nous refusons de nous rendre audible à leur surdité assassine, comme nous disons à leur, leurs conseillers en communication, que nous refusons de mettre les formes et ce, à jamais, avec les lapidateurs.
Et qu’enfin, ce n’est pas un Moratoire, qu’il faut dans leur cas proposer, mais bien les lois qui châtient les crimes contre l’Humanité, qu’il faut leur appliquer